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« C’est de la vapeur, leur dit-il. C’est de ça que vous avez vécu, bande de salopards ; maintenant, absorbez celle-là et crevez. »

Dès la conception du plan, il avait su que si les choses ne se produisaient pas très vite à ce moment-là, il n’aurait jamais la chance de vivre pour mesurer sa réussite, mais jamais il n’aurait imaginé que tout se déroulerait aussi rapidement. La rougeole, qui les avait déjà affaiblis, dut y contribuer car certains résistèrent un peu plus longtemps que d’autres. Mais néanmoins tout fut terminé en quelques secondes.

Il les entendit hurler dans sa tête comme des loups à l’agonie. Ce bruit l’épouvanta, mais nullement sa compagne.

« Bien fait ! » hurla Abra. Elle agita les poings. «  Vous trouvez ça bon ? Elle a bon goût, ma Momo ? Elle est bonne ? Mangez-en tant que vous voudrez ! ELLE EST TOUTE POUR VOUS !  »

Ils commencèrent à cycler. À travers la brume rouge, Dan en vit deux s’étreindre, front contre front, et malgré tout ce qu’ils avaient fait — malgré tout ce qu’ils étaient —, cette vision l’émut. Il vit les lèvres de Popote Eddie former les mots je t’aime ; vit Mo Ka commencer à répondre ; puis ils disparurent et leurs vêtements flottants tombèrent sur le sol. C’est vous dire à quel point ce fut rapide.

Dan se tourna vers Abra pour lui dire qu’ils devaient en finir au plus vite, mais c’est alors que les cris stridents de Rose Claque retentirent et, durant quelques secondes — jusqu’à ce qu’Abra puisse la neutraliser —, ses cris de rage et de chagrin dément oblitérèrent tout le reste pour lui, y compris le super soulagement d’être libéré de la souffrance. Et, espérait-il avec ferveur, du cancer aussi. Mais de cela, il ne serait vraiment sûr que lorsqu’il pourrait se regarder dans une glace.

16

Rose était encore en haut des marches quand la brume tueuse déferla sur le Nœud Vrai, les restes de la Momo d’Abra accomplissant rapidement leur œuvre létale.

Un éclair blanc d’agonie la foudroya. Des hurlements fusèrent dans sa tête comme des obus. Les cris des Vrais mourant rendaient ceux de Skunk et des trois de Cloud Gap insignifiants par comparaison. Rose tituba, comme sonnée par un gourdin. Elle heurta le garde-fou, rebondit et tomba à la renverse sur les lames de bois. Quelque part au loin, une femme — une vieille femme, vu le tremblement de sa voix — psalmodiait non, non, non, non, non.

C’est moi. Ce doit être moi, puisqu’il ne reste que moi.

Ce n’était pas sur la fillette que s’était refermé le piège de l’excès de confiance mais sur Rose elle-même. Elle pensa à quelque chose

(sauter avec ton propre pétard)

que la petite bâtarde avait dit. Elle en brûlait de rage et de confusion. Ses vieux amis et compagnons de voyage de longue date étaient morts. Empoisonnés. Mis à part les lâches qui avaient déserté, Rose Claque était la dernière du Nœud Vrai.

Mais non, voyons, ce n’était pas vrai. Il restait Sarey.

Affalée sur le belvédère et grelottant sous le ciel froid de la fin d’après-midi, Rose chercha à la capter.

(Sarey t’es encore)

La pensée qui lui fut retournée était emplie d’horreur et de confusion.

(oui mais Rose ils sont sont-ils)

(t’occupe souviens-toi juste Sarey est-ce que tu te souviens)

(m’oblige pas à te filer ta raclée)

(bien Sarey bien)

Si la fillette ne détalait pas… si elle commettait l’erreur d’essayer de terminer son travail meurtrier de la journée…

Elle essaierait. Rose en était sûre et elle en avait assez aperçu dans l’esprit du compagnon de la petite bâtarde pour savoir deux choses: comment ils avaient accompli ce massacre et comment leur connexion même pouvait être retournée contre eux.

La rage est puissante.

Les souvenirs d’enfance aussi.

Elle se remit péniblement sur ses pieds, replaça sans même réfléchir son chapeau sur sa tête selon l’angle hardi requis, et se dirigea vers le garde-fou. Le type à la camionnette rouge avait les yeux levés vers elle mais c’est à peine si elle lui accorda un regard. Son petit travail de traîtrise était accompli. Elle s’occuperait peut-être de lui plus tard, mais pour l’heure elle n’avait d’yeux que pour l’Overlook Lodge. La fillette s’y trouvait, mais elle était très loin aussi. Sa présence physique au camping des Vrais n’était guère plus qu’un spectre. Celui qui était intégralement là — un individu réel, un pecno — était un homme qu’elle n’avait jamais vu auparavant. Et c’était une tronche-à-vapeur. Sa voix dans sa tête était froide et claire.

(salut Rose)

Il existait un endroit tout proche où la fillette cesserait d’apparaître et de disparaître. Où elle endosserait son corps physique. Et où elle pourrait être éliminée. Que Sarey s’occupe de l’homme tronche-à-vapeur, mais pas avant que le tronche-à-vapeur se soit occupé de la petite bâtarde.

(salut Danny salut p’tit garçon)

Chargée de vapeur jusqu’à la gueule, elle pénétra en lui et, d’un revers, le chassa vers le moyeu de la roue, entendant à peine le cri de stupeur et de terreur d’Abra lorsqu’elle se retourna pour le suivre.

Et lorsque Dan fut là où Rose le voulait, un instant trop surpris pour maintenir sa garde, elle lui insuffla toute sa fureur. La lui insuffla comme de la vapeur.

CHAPITRE 20

MOYEU DE LA ROUE, TOIT DU MONDE

1

Dan Torrance ouvrit les yeux. Le soleil s’y engouffra, transperçant son crâne douloureux, menaçant de mettre à feu son cerveau. Gueule de bois de première. Un ronflement bruyant à côté de lui: bruit désagréable et écœurant qui ne pouvait venir que d’une nana bourrée cuvant sa cuite du mauvais côté de l’arc-en-ciel. Dan tourna la tête et vit la femme étalée sur le dos près de lui. Vision vaguement familière. Cheveux bruns répandus autour d’elle comme un halo. Vêtue d’un T-shirt trop grand des Braves d’Atlanta.

C’est pas réel. Je suis pas ici. Je suis dans le Colorado. Je suis sur le Toit du Monde et je dois en finir.

La femme roula sur le côté, ouvrit les yeux et le regarda. « Ouille, ma tête, dit-elle. Va me chercher un peu de cette coke, papa. Elle est dans le salon. »

Il la fixa avec stupeur et une fureur grandissante. Une fureur qui semblait surgie de nulle part, mais est-ce que ça n’avait pas été toujours le cas ? C’était sa marque de fabrique, une devinette enveloppée d’une énigme. « Quelle coke ? Qui a acheté de la coke ? »

Elle eut un rictus qui révéla une bouche ne contenant qu’une seule dent jaunie. Alors il comprit qui elle était. « Toi, papa. Allez, va me la chercher. Dès que ma tête ira mieux, je te promets une baise d’enfer. »

Ça alors, voilà qu’il était de nouveau dans cet appartement pouilleux de Wilmington, à poil, à côté de Rose Claque.

« Comment vous avez fait ? Comment je suis arrivé ici ? »

Elle rejeta la tête en arrière en riant. « T’aimes pas cet endroit ? Tu devrais: je l’ai meublé à partir du modèle que t’as dans la tête. Maintenant, fais ce que je t’ai demandé, trouduc’. Va me chercher cette foutue coke.