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(Dan je dois repartir une toute petite minute je dois rafraîchir ma)

Une image se dessina dans son esprit: un champ de tournesols s’ouvrant tous en même temps. Il fallait qu’elle prenne soin de son être physique, et c’était bien. C’était normal.

(vas-y)

(je reviens dès que)

(vas-y Abra ça ira)

Et avec un peu de chance, tout serait terminé quand elle reviendrait.

5

À Anniston, John Dalton et les Stone virent Abra inspirer profondément et ouvrir les yeux.

« Abra ! cria Lucy. C’est fini ?

— Bientôt.

— Qu’est-ce que tu as au cou ? Des bleus ?

— Maman, reste où tu es ! Je dois y retourner. Dan a besoin de moi. »

Elle tendit la main vers Pippo, mais avant qu’elle ait pu se saisir de son vieux lapin en peluche, ses yeux s’étaient refermés et son corps immobilisé.

6

Prudemment penchée par-dessus le garde-fou, Rose vit Abra disparaître. Alors comme ça, la petite bâtarde pouvait pas rester si longtemps que ça, en fin de compte, il fallait qu’elle s’en retourne prendre un petit congé détente. Sa présence au Bluebell Campground n’était pas très différente de ce qu’elle avait été au supermarché, à ceci près que cette manifestation-ci était beaucoup plus puissante. Et pourquoi ? Parce que le tronche-à-vapeur l’assistait. La stimulait. Mais s’il était mort quand la môme revenait…

Baissant les yeux vers lui, Rose cria: « Si j’étais toi, Danny, je partirais tant que t’en as encore la possibilité. M’oblige pas à te filer ta raclée. »

7

Sarey la Muette était tellement concentrée sur ce qui se passait sur le Toit du Monde — écoutant avec tous les points de son QI reconnu limité autant qu’avec ses oreilles — qu’elle ne s’aperçut pas tout de suite qu’elle n’était plus seule dans la remise. C’est l’odeur qui finit par l’alerter: une odeur de pourri. Mais pas d’ordures. Elle n’osait pas se retourner, parce que la porte était ouverte et que l’homme dehors risquait de la voir. Elle resta immobile, la faucille à la main.

Sarey entendit Rose dire à l’homme de partir tant qu’il en avait encore la possibilité et c’est là que la porte de la remise se remit à tourner toute seule sur ses gonds pour se refermer.

« M’oblige pas à te filer ta raclée ! » cria Rose. C’était sa réplique signal pour qu’elle bondisse et plante la faucille dans le cou de la petite emmerdeuse, mais comme la petite emmerdeuse avait disparu, elle devrait se rabattre sur l’homme. Mais avant qu’elle ait pu lever le petit doigt, une main froide glissa par-dessus le poignet qui tenait la faucille. Glissa et se referma solidement dessus.

Sarey se retourna — plus aucune raison de ne pas le faire, puisque la porte était fermée — et ce qu’elle vit dans la pénombre éclairée par les rais de lumière filtrant entre les vieilles planches arracha un hurlement à sa gorge d’ordinaire muette. À un moment ou un autre pendant qu’elle se concentrait, un cadavre l’avait rejointe dans la remise. Son visage de prédateur, souriant, était d’un vert blanchâtre luisant d’avocat gâté. Ses yeux semblaient quasiment lui pendre hors des orbites. Son costume était barbouillé d’antique moisissure… mais les confettis multicolores saupoudrés sur ses épaules étaient neufs.

« Merveilleuse soirée, n’est-ce pas ? » dit-il. Et lorsqu’il sourit, ses lèvres craquèrent et se fendirent.

Sarey poussa un second hurlement et lui planta la faucille dans la tempe gauche. La lame incurvée s’y enfonça profondément et y resta suspendue, mais il n’y avait pas de sang.

« Embrassez-moi, chère », dit Horace Derwent. Entre ses lèvres pointa un reste de langue blanc frétillant. « Ça fait si longtemps que je n’ai point connu de femme. »

Et lorsque sa bouche déchiquetée, luisante de corruption, se fixa sur celle de Sarey, ses mains se refermèrent autour de sa gorge.

8

Rose vit la porte de la remise tourner sur ses gonds, entendit le hurlement et comprit que désormais elle était véritablement seule. Bientôt, probablement dans quelques secondes, la môme reviendrait et ils seraient à deux contre un. Elle ne pouvait pas se le permettre.

Elle regarda l’homme en bas et concentra toute sa force amplifiée par la vapeur.

(étrangle-toi toi-même vas-y MAINTENANT)

Elle le vit élever ses mains vers sa gorge, mais trop lentement. Il luttait contre elle, et avec un degré de réussite horripilant. Elle se serait attendue à une lutte de la part de la petite bâtarde, mais ce pecno, là en bas, était un adulte. Elle aurait dû être capable de disperser le peu de vapeur encore accrochée à lui comme de la brume.

Pourtant, elle gagnait.

Il éleva les mains jusqu’à son torse… ses épaules… enfin sa gorge. Là, les mains hésitèrent: elle l’entendait haleter sous l’effort. Elle accentua la pression jusqu’à ce que les mains se referment, jugulant la trachée artère.

(c’est bien salopard empoisonneur serre serre SERR)

Quelque chose la frappa. Pas un poing ; ça ressemblait davantage à un souffle d’air comprimé. Elle chercha des yeux et ne vit rien qu’un chatoiement furtif, là l’instant d’avant, disparu l’instant d’après. Moins de trois secondes, mais cela suffit à briser sa concentration et, quand elle se retourna vers le garde-fou, la môme était revenue.

Cette fois, ce ne fut pas un souffle d’air ; ce furent des mains qui lui parurent simultanément grandes et petites. Elles étaient posées dans le bas de son dos. Elles poussaient. La petite bâtarde et son copain conjuguant leurs efforts: exactement ce que Rose avait voulu éviter. La terreur commença à dérouler son ver dans son ventre. Elle tenta de s’éloigner du garde-fou mais c’était impossible. Elle avait besoin de toute sa force pour leur résister et sans le surcroît de puissance des Vrais pour l’aider, elle ne pensait pas pouvoir tenir bien longtemps. Pas longtemps du tout.

Sans ce souffle d’air… c’était pas lui et elle était pas là…

Une main quitta le bas de son dos et, d’une claque, fit culbuter son chapeau. Rose hurla sous l’affront — personne ne touchait à son chapeau, personne  ! — et retrouva brièvement assez de puissance pour s’éloigner en titubant du garde-fou et se rapprocher du centre de la plate-forme. Puis les mains revinrent dans le bas de son dos et recommencèrent à la pousser en avant.

Elle regarda en bas. L’homme avait les yeux clos et se concentrait si fort que les tendons saillaient dans son cou et que la sueur ruisselait comme des larmes sur ses joues. Les yeux de la môme, par contre, étaient grands ouverts et sans pitié. Elle les tenait fixés sur Rose. Et elle souriait.

Rose s’arc-bouta en arrière de toutes ses forces, mais c’était comme s’arc-bouter contre un mur de pierre. Un mur de pierre qui la poussait inexorablement en avant jusqu’à ce que son ventre appuie contre le garde-fou. Elle entendit le bois grincer.

Juste une seconde, elle pensa essayer de marchander. Dire à la fillette qu’elles pouvaient travailler ensemble, démarrer un nouveau Nœud. Qu’au lieu de mourir en 2070 ou 2080, Abra Stone pourrait vivre mille ans. Deux mille. Mais à quoi bon ?

Quelle adolescente s’est jamais sentie rien moins qu’immortelle ?

Alors au lieu de marchander, de supplier, elle leur cracha dans un hurlement de défi: « Allez vous faire foutre ! Vous faire foutre tous les deux !  »

Le terrible sourire de la môme s’élargit. « Oh, non, répondit-elle. C’est vous qu’êtes foutue ! »