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— Message reçu, dit Dan. On peut parler des Red Sox maintenant ? »

Casey consulta sa montre. « Une autre fois. Faut que je rentre chez moi. »

C’est ça, songea Dan. Retrouver ton chien et ton poisson rouge.

« D’accord. » Il ramassa l’addition avant Casey. « Une autre fois. »

4

Revenu dans sa chambre de la tourelle, Dan regarda longuement le tableau noir avant d’effacer lentement ce qui y était écrit:

Ils sont en train de tuer le p’tit gars du base-ball !

Lorsque le tableau fut redevenu vierge, il demanda: « De quel petit gars tu me parles ? »

Pas de réponse.

« Abra ? Tu es encore là ? »

Non. Mais elle avait été là ; s’il était rentré dix minutes plus tôt de son rendez-vous éprouvant avec Casey, il aurait pu apercevoir sa forme fantomatique. Mais était-elle venue pour lui ? Dan ne le pensait pas. C’était complètement fou, mais il pensait qu’elle était probablement venue pour Tony. Tony qui, il était une fois, avait été l’ami invisible de Danny. Celui qui lui apportait parfois des visions. Celui qui le prévenait parfois. Celui qui s’était révélé être une version plus profonde et plus sage de lui-même.

Pour le petit garçon terrifié qui avait tenté de survivre à l’hôtel Overlook, Tony avait été un grand frère protecteur. Aujourd’hui, l’ironie voulait que, sa vie d’alcoolique derrière lui, Daniel Anthony Torrance soit devenu un vrai adulte alors que Tony était resté un enfant. Peut-être même ce légendaire enfant intérieur auquel les gourous New Age faisaient tout le temps référence. Dan était plus ou moins convaincu que cette histoire d’enfant intérieur n’était bien souvent qu’un stratagème pour excuser quantité de comportements égoïstes et destructeurs (ce que Casey aimait appeler le syndrome du je-veux-tout-tout-de-suite), mais il était aussi convaincu que les adultes, hommes et femmes confondus, abritent quelque part dans leur cerveau tous les stades de leur développement — pas juste l’enfant intérieur, mais le nouveau-né intérieur, l’adolescent intérieur, le jeune adulte intérieur. Et si cette mystérieuse Abra venait le trouver, n’était-il pas naturel qu’à l’intérieur de lui, passant outre son esprit d’adulte, elle recherche quelqu’un de son âge ?

Un copain ?

Un protecteur, même ?

En ce cas, c’était un boulot que Tony savait faire. Mais avait-elle besoin de protection ? Certes, il y avait de l’angoisse

(ils sont en train de tuer le p’tit gars du base-ball)

dans son message, mais comme Dan l’avait découvert dans un passé lointain, le Don était naturellement générateur d’angoisse. Les enfants ne sont pas faits pour en voir et en savoir autant. Il pouvait tenter de la rechercher, peut-être d’en apprendre davantage, mais que dirait-il aux parents ? Salut, vous ne me connaissez pas, mais moi je connais votre fille, elle vient parfois me rendre visite dans ma chambre et on est devenus copains comme cochons ?

Dan ignorait s’ils lui lanceraient le shérif du comté aux trousses (et il ne leur en voudrait pas s’ils le faisaient), mais, vu son passé bigarré, il n’était pas tellement pressé de le savoir. Mieux valait laisser Tony être l’ami longue distance d’Abra, si c’était vraiment de ça qu’il retournait. Tony était peut-être invisible, mais lui au moins avait à peu près l’âge adéquat.

Dan reprit le morceau de craie. Il réécrirait plus tard les noms et les numéros de chambres sur son tableau. Pour le moment, il écrivit: Tony et moi te souhaitons une heureuse journée d’été, Abra ! Ton AUTRE ami, Dan.

Il observa un moment son message, hocha la tête et alla se poster à la fenêtre. Une belle journée de fin d’été et il était en congé. Il décida d’aller marcher pour tenter d’oublier sa dérangeante conversation avec Casey. Oui, il supposait qu’il avait touché le fond dans l’appartement de Deenie à Wilmington. Mais si avoir gardé ça pour lui ne l’avait pas empêché d’enquiller dix ans de sobriété, il ne voyait pas pourquoi continuer de le garder pour lui l’empêcherait d’en enquiller dix de plus. Ou vingt. Et pourquoi penser en années, alors que la devise des AA c’était un jour à la fois  ?

Wilmington remontait à perpète. Cette partie de sa vie était loin derrière lui.

Il verrouilla sa porte en sortant comme il le faisait toujours mais une serrure n’empêcherait pas la mystérieuse Abra d’entrer si elle le voulait. À son retour, il risquait de trouver un autre message d’elle sur le tableau noir.

Peut-être qu’on peut devenir correspondants.

Ouais, c’est ça, et peut-être qu’une coalition de modèles de lingerie Victoria’s Secret percerait le secret de la fusion de l’hydrogène.

Un sourire sardonique aux lèvres, Dan sortit.

5

C’était le jour de la braderie d’été à la bibliothèque publique d’Anniston et lorsque Abra manifesta le désir d’y aller, Lucy fut ravie de remettre à plus tard ses corvées de l’après-midi pour partir à pied avec sa fille jusqu’à Main Street. On avait installé sur la pelouse des tables pliantes garnies d’ouvrages donnés par les abonnés. Pendant que Lucy examinait le stand des livres de poche (1 $ PIÈCE, 5 $ LES 6 AU CHOIX), en quête de titres de Jody Picoult qu’elle n’avait pas lus, Abra alla se pencher sur les tables « JEUNES ADULTES ». Elle était loin de l’âge adulte même dans sa section la plus jeune, mais elle était une lectrice vorace (et précoce) avec une prédilection pour la fantasy et la science-fiction. Son T-shirt préféré avait pour motif une énorme machine fumante très compliquée avec écrit au-dessous EN AVANT POUR LE FUTUR À VAPEUR !

Juste au moment où Lucy allait se décider à se rabattre sur un vieux Dean Koontz et un Lisa Gardner légèrement plus récent, Abra vint la retrouver en courant. Elle souriait.

« M’man ! Maman ! Il s’appelle Dan !

— Qui s’appelle Dan, mon cœur ?

— Le papa de Tony ! Il m’a souhaité une heureuse journée d’été ! »

Lucy regarda autour d’elle, s’attendant presque à voir un inconnu tenant un enfant de l’âge d’Abra par la main. Il y avait en effet quantité de gens inconnus — c’était l’été, après tout — mais aucun duo de ce genre.

La voyant faire, Abra pouffa. « Mais non, il est pas ici !

— Où est-il alors ?

— Je sais pas vraiment. Mais pas loin.

— Bon… alors, j’imagine que tu es contente, mon chou. »

Lucy eut juste le temps d’ébouriffer les cheveux de sa fille avant qu’elle ne retourne au galop à sa chasse aux fuséologues, remonteurs de temps et autres ensorceleurs. Lucy la suivit des yeux, ses propres trouvailles oubliées à la main. Devait-elle raconter ça à David quand il appellerait de Boston ou non ? Elle décida que non.

Les ondes de la drôle de radio, c’était tout.

Pas de quoi se frapper.

6

Dan décida de faire un saut à Java Express prendre deux cafés sur un plateau et d’en porter un à Billy Freeman à Teenytown. Dan n’était resté son collègue que très peu de temps au Service technique municipal de Frazier mais ça n’empêchait pas les deux hommes d’être amis depuis dix ans. C’était en partie lié au fait d’avoir Casey — patron de Billy et parrain de Dan — en commun, mais c’était surtout dû à une affection mutuelle. Dan aimait le côté simple et sans chichi de Billy.

Il aimait aussi piloter le Helen Rivington. Sans doute encore cette histoire d’enfant intérieur… C’était à tous les coups ce qu’aurait dit un psychiatre. Billy lui confiait volontiers les commandes et, durant la saison d’été, le faisait même avec soulagement. Entre le 4 juillet et Labor Day, le Riv effectuait dix fois par jour le circuit de quinze kilomètres jusqu’à Cloud Gap et retour, et Billy n’était plus tout jeune.