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Danny attrapa sa brosse à dents et ouvrit la porte. « Je suis cent pour cent cool, tu vois ? » Il lui décocha un grand sourire. Fastoche, maintenant que Mrs. Massey était partie.

Sa mère cessa d’avoir l’air inquiet. « D’accord. Fais aller la brosse bien au fond. C’est là que va se cacher la nourriture.

— D’ac’, m’man. »

De l’intérieur de sa tête, très loin à l’intérieur de sa tête, là où le frère jumeau de son coffre-fort spécial était rangé tout en haut d’une étagère spéciale, lui parvenaient des cris étouffés. Il s’en fichait. Ça ne durerait pas, pensait-il, et il avait raison.

11

Deux ans plus tard, la veille des vacances de Thanksgiving, au beau milieu d’un escalier désert de l’école primaire d’Alafia, Horace Derwent apparut à Danny Torrance. Il avait des confettis sur les épaules de son costume. Un petit masque noir pendait de sa main putréfiée. Il dégageait une odeur de tombe. « Merveilleuse soirée, n’est-ce pas ? » demanda-t-il.

Danny lui tourna le dos et s’éloigna, en marchant très vite.

À la fin de sa journée d’école, il téléphona à Dick au restaurant de Key West où il travaillait. « Un autre mort-vivant de l’Overlook m’a retrouvé. Combien de coffres-forts je peux avoir dans ma tête, Dick ? »

Dick lâcha un petit rire. « Autant que tu voudras, petit. Voilà la beauté du Don. Tu crois peut-être que mon Grand-Pa Noir est le seul que j’aie jamais eu à enfermer ?

— Est-ce qu’ils meurent une fois qu’on les a bouclés ? »

Cette fois, aucun petit rire ne lui parvint. Cette fois, il entendit dans la voix de Dick une froideur qu’il ne lui connaissait pas. Ça ne le dérangea pas. « Tu te fais du souci pour eux ? »

Non, Danny ne s’en faisait pas.

Lorsque l’ancien propriétaire de l’Overlook reparut peu après le Nouvel An — dans le placard de la chambre de Danny, cette fois —, Danny était prêt. Il entra dans le placard et referma la porte derrière lui. Bientôt, un deuxième coffre-fort mental rejoignit sur sa haute étagère mentale celui dans lequel Mrs. Massey était enfermée. Des coups sourds retentirent, et quelques invectives remarquables que Danny retint pour son utilisation personnelle ultérieurement. Peu de temps après, tout s’arrêta. Le silence régna dans le coffre-fort Derwent comme il régnait dans le coffre-fort Massey. Qu’ils soient ou non vivants (à leur façon de morts-vivants) n’avait plus d’importance.

Ce qui comptait, c’était qu’ils n’en sortent jamais. Danny était en sécurité.

C’était ce qu’il pensait à l’époque. Bien sûr, il se croyait aussi à l’abri de l’alcool. Surtout après avoir vu ce que l’alcool avait fait à son père.

Mais des fois, on se gourre complètement.

SERPENT À SONNETTE

1

Elle s’appelait Andrea Steiner. Elle aimait le cinéma, mais elle n’aimait pas les hommes. Pas étonnant, puisque son père l’avait violée pour la première fois à l’âge de huit ans. Il avait ensuite continué pendant le même nombre d’années. Puis Andrea y avait mis un terme, d’abord en lui crevant les couilles, l’une après l’autre, avec une des aiguilles à tricoter de sa mère, puis en enfonçant cette même aiguille, rouge et dégoulinante, dans l’orbite gauche de son géniteur-violeur. Pour les couilles, ç’avait été facile, parce qu’il dormait, pourtant la douleur avait été assez forte pour le réveiller, malgré le talent spécial d’Andrea. Mais c’était une fille costaude, et il était ivre. Elle avait pu l’immobiliser le temps de lui administrer le coup de grâce[2].

Aujourd’hui, elle avait quatre fois huit ans, elle vagabondait sur toute la surface de l’Amérique, et un ex-acteur avait remplacé le planteur de cacahuètes à la Maison-Blanche. Le nouveau avait une chevelure d’acteur d’un noir invraisemblable et un sourire d’acteur charmant et faux comme le Diable. Andi avait vu un de ses films à la télé. L’homme qui deviendrait président y jouait un type amputé des deux jambes par un train. Andi aimait bien ça, l’idée d’un homme sans jambes ; un homme sans jambes, ça pouvait pas te courser pour te violer.

Le cinéma, ça c’était quelque chose. Le cinéma te faisait décoller. Tu pouvais toujours compter sur le pop-corn et une fin heureuse. Tu te prenais un homme pour t’accompagner, comme ça c’était tout bénef: tu sortais et il payait. Ce film-ci était vraiment bien, avec des bagarres, des baisers et de la musique à plein tube. Ça s’appelait Les Aventuriers de l’Arche perdue. Son bonhomme lui avait passé la main sous la jupe et l’avait remontée jusqu’en haut de sa cuisse nue, mais c’était pas un problème ; une main, c’est pas une bite. Elle l’avait rencontré dans un bar. Elle rencontrait la plupart des mecs qu’elle levait dans des bars. Il lui avait payé un verre, mais un verre à l’œil, c’est pas un rancard ; c’est juste une touche.

Ça veut dire quoi ? il lui avait demandé en promenant le bout de son doigt sur le haut de son bras gauche. Elle portait un bustier sans manches, et son tatouage se voyait. Elle aimait que son tatouage se voie quand elle sortait draguer. Elle voulait que les hommes le voient. Ils le trouvaient érotique. Elle se l’était fait faire à San Diego, un an après avoir liquidé son père.

C’est un serpent, qu’elle avait répondu. Un serpent à sonnette. Tu vois pas ses crochets ?

Bien sûr qu’il les voyait. Ils étaient géants, ces crochets, totalement disproportionnés par rapport à la tête. Une goutte de venin était suspendue à l’un d’eux.

Ce type-là était de l’espèce Homme-d’Affaires, costard de prix, abondante chevelure présidentielle coiffée en arrière, et libre pour l’après-midi du quelconque boulot de merde qu’il effectuait dans un bureau de merde. Avec ses cheveux plus blancs que noirs, il avait au moins soixante balais. Soit près du double d’elle. Mais ça, les hommes s’en foutaient. Il y aurait pas regardé à deux fois si elle en avait eu seize au lieu de trente-deux. Ou huit. Elle se souvenait de quelque chose que son père lui avait dit un jour: Si elles sont assez grandes pour faire pissette, elles sont assez grandes pour ma quéquette.

Bien sûr que je les vois, lui avait dit l’homme qui se trouvait maintenant assis à côté d’elle au cinéma. Mais ça veut dire quoi ?

Peut-être que tu le découvriras, avait répondu Andi. Elle s’était passé la langue sur la lèvre supérieure. Et j’en ai un autre. Dans un autre endroit.

Je pourrais le voir ?

Peut-être. T’aimes le cinéma ?

Le type avait froncé les sourcils. Qu’est-ce que tu veux dire par là ?

T’as envie de sortir avec moi, hein ?

Ça, il savait ce que ça voulait dire — ou ce que c’était censé vouloir dire. Il y avait d’autres filles, dans ce bar, quand elles te parlaient de sortir avec elles ça voulait dire une seule chose. Mais c’était pas ça qu’Andi voulait dire.

Ouais, bien sûr. T’es jolie.

Alors, sors-moi. Une vraie sortie. Ils passent Les Aventuriers de l’Arche perdue au Rialto.

Je pensais plutôt à ce petit hôtel à deux rues d’ici, chérie. Une chambre avec bar et balcon, ça te dirait pas ?

Elle avait approché les lèvres de son oreille et laissé ses seins peser sur son bras. Peut-être plus tard. Emmène-moi d’abord au cinéma. Offre-moi le billet d’entrée et du pop-corn. L’obscurité me rend amoureuse.

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2

Les termes en italique suivis d’un astérisque sont en français dans le texte original.