Il se leva de son bureau (sans avoir omis de cliquer sur Enregistrer) et courut dans l’entrée. Du bas des escaliers, il appela: « Abra ! T’as senti ça ? »
Abra sortit de sa chambre, pâle et l’air un peu effrayé. « Ouais, un peu. Je… je crois que je…
— C’était un tremblement de terre ! l’informa David en souriant jusqu’aux oreilles. Ton premier tremblement de terre ! C’est pas génial ?
— Oui, fit Abra d’un ton beaucoup moins enthousiaste. Génial. »
David regarda par la fenêtre du salon et vit que ses voisins, dont son bon ami Matt Renfrew, étaient sortis sur leur perron ou leur pelouse. « Je vais en face parler avec Matt, chérie. Tu veux venir ?
— Je crois que je vais plutôt finir mes devoirs. »
David se tourna vers la porte d’entrée, puis se retourna vers Abra. « Tu n’as pas peur, dis-moi ? Tu n’as plus de raisons d’avoir peur. C’est fini. »
Abra aurait bien aimé que ce soit vrai.
Rose Claque faisait des courses pour deux parce que Grand-Pa Flop était encore mal foutu. Apercevant quelques autres membres des Vrais chez Sam, elle les salua d’un signe de tête. Elle s’arrêta un moment au rayon des conserves pour parler avec Barry le Noiche, qui avait la liste de sa femme en main. Barry se faisait du mauvais sang pour Flop.
« Y va rebondir, lui dit Rose. Tu connais le Vieux. »
Barry lui sourit. « Plus coriace qu’un hibou bouilli. »
Rose hocha la tête et poussa son caddie pour repartir. « Je te le fais pas dire. Bien le bonjour à Petty de ma part.
— J’y manquerai pas, Rose. »
C’était juste un après-midi de semaine ordinaire au supermarché et, tandis qu’elle prenait congé de Barry, Rose crut tout d’abord que ce qui lui arrivait était un phénomène banal, peut-être une crise d’hypoglycémie. Elle y était sujette et avait toujours une barre chocolatée dans son sac, au cas où. Puis elle s’avisa que quelqu’un se trouvait à l’intérieur de sa tête. En train de regarder.
Aussitôt, Rose — qui n’était pas parvenue à la tête du Nœud Vrai en étant indécise — fit halte, son caddie dirigé vers le rayon viande (sa prochaine destination), et s’engouffra dans le conduit ouvert par cet individu fouinard et potentiellement dangereux. Ce n’était pas un membre de la Tribu — elle aurait immédiatement identifié n’importe lequel d’entre eux — mais pas non plus un pecno ordinaire.
Non, ça c’était tout sauf ordinaire.
Le supermarché bascula, et disparut ; soudain, voilà qu’elle contemplait une chaîne de montagnes. Pas les Rocheuses, elle les aurait reconnues. Non, des montagnes plus petites. Les Catskill ? Les Adirondacks ? Celles-là, ou d’autres encore. Quant à l’observateur… Rose pensait que c’était un enfant. Presque à coup sûr une fille. Et une fille qu’elle avait déjà rencontrée.
Je dois voir à quoi elle ressemble. Pour pouvoir la retrouver quand je voudrai. Je dois la pousser à se regarder dans une gl…
Mais c’est là qu’une pensée aussi assourdissante qu’un coup de feu dans une pièce fermée
(NON ! SORS DE MA TÊTE !)
lui vida instantanément la cervelle et l’envoya dinguer contre la paroi de boîtes de conserve, qui se répandirent en cascade par terre et roulèrent dans toutes les directions. Pendant quelques secondes, Rose crut qu’elle allait faire de même, s’évanouir comme l’héroïne ingénue d’un roman à l’eau de rose. Puis elle revint à elle. La môme avait rompu la connexion, et d’assez spectaculaire façon.
Saignait-elle du nez ? Elle passa les doigts sous ses narines pour vérifier. Non. Heureusement.
Un des employés occupé au réassort du magasin se précipita. « Vous n’avez rien, madame ?
— Je vais bien. Juste un instant de faiblesse. Sans doute à cause de la dent que je me suis fait arracher hier. Mais ça va, maintenant. On dirait que j’ai causé quelques dégâts ? Désolée. Heureusement que c’étaient des boîtes et pas des bouteilles.
— Il n’y a pas de problème, aucun problème. Voulez-vous que je vous accompagne à l’entrée, vous asseoir un peu sur le banc d’attente des taxis ?
— Non, ce ne sera pas nécessaire », répondit Rose. Et c’était vrai. Mais elle en avait terminé avec les courses pour aujourd’hui. Elle poussa son caddie deux allées plus loin et le laissa là.
Pour descendre de leur camping d’altitude à l’ouest de Sidewinder, Rose Claque avait pris sa vieille camionnette Tacoma (fiable malgré son âge). Dès qu’elle fut montée dans la cabine, elle sortit son téléphone de son sac et pressa la touche d’appel rapide. Une seule sonnerie suffit.
« Oui, ma Rosie ? répondit Papa Skunk.
— On a un problème. »
Naturellement, c’était aussi une opportunité. Une môme avec assez de vapeur dans la chaudière pour déclencher une secousse pareille — pour non seulement avoir détecté Rose mais l’avoir fait tomber — c’était pas seulement une tronche-à-vapeur, c’était la découverte du siècle. Rose se sentait tel le capitaine Achab la première fois qu’il avait repéré sa baleine blanche.
« Vas-y, raconte. » Sérieux comme un pape maintenant, le Skunk.
« Y a un peu plus de deux ans… Le môme de l’Iowa. Tu te souviens de lui ?
— Oui, bien sûr.
— Tu te rappelles, je t’avais dit qu’on avait un intrus ?
— Ouais. Côte Est. Probablement une fille, tu pensais…
— Une fille, absolument. Elle vient de me retrouver. J’étais chez Sam, je faisais mes courses, et d’un seul coup elle était là.
— Pourquoi, après tout ce temps ?
— J’en sais rien et je m’en fous. Mais on doit la choper, Skunk. On doit la choper.
— Elle sait qui tu es ? Où nous sommes ? »
Rose avait réfléchi à ça en regagnant sa camionnette. L’intruse ne l’avait pas vue, de ça elle était sûre. La môme était au-dedans et regardait au-dehors. Quant à savoir ce qu’elle avait réellement vu… Une allée de supermarché. Combien en existait-il de semblables en Amérique ? Probablement un million.
« Je ne crois pas, mais c’est pas ça l’important.
— C’est quoi alors ?
— Tu te souviens quand je t’ai dit que c’était de la grosse vap’ ? de la super vap’ ? Ben, cette môme, c’est encore plus que ça. Quand j’ai essayé de retourner la situation à son désavantage, elle m’a éjectée de sa tête comme on souffle sur des aigrettes de pissenlit. Jamais il m’était arrivé un truc pareil. J’aurais juré que c’était impossible.
— Vraie en puissance, ou bouffe en puissance ?
— J’sais pas. » Mais elle savait. Les Vrais avaient bien plus besoin de vapeur — de réserve de vapeur — que de nouvelles recrues. Et Rose ne voulait personne doué d’un si grand pouvoir dans la Tribu.
« D’accord. Comment on fait pour la trouver ? T’as une idée ? »
Rose repensa à ce qu’elle avait vu par les yeux de la gamine avant d’être éjectée et réexpédiée dans le supermarché Sam’s de Sidewinder. Pas grand-chose, mais il y avait ce petit magasin…
« Les jeunes l’appellent le Lickety-Spliff.