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« Oh, s’exclama-t-il en faisant un aller-retour du regard entre les inermes et Tancrède, tu as décidé de sauver deux petits classe zéro, c’est ça ? »

Il éclata d’un rire sonore un peu surjoué, puis s’adressa à sa troupe de légionnaires en désignant Tancrède du doigt.

« Hé les gars, monsieur le fils de comte se prend pour un putain de héros ! »

Les cinq hommes ricanèrent à leur tour, d’un rire profondément mauvais qui révulsa Tancrède. La colère grandissait en lui et il savait qu’il allait devoir l’épancher d’un instant à l’autre.

« Tu te prends pour un héros, reprit Argant, décidé à porter l’estocade, mais je vais te dire ce que tu es : juste un minable sous-officier de seconde zone qui laisse tuer ses propres hommes. Alors, barre-toi d’ici ! Ne viens pas jouer les redresseurs de torts ! »

Tancrède prit une longue inspiration avant de répondre d’une voix glaciale : « Erreur, moi, je ne joue pas. »

Puis, sans laisser à Argant le temps de répondre, il se rua vers lui et lui décocha un puissant coup de pied frontal en plein thorax qui le projeta violemment contre le mur. Réagissant aussitôt à l’attaque de leur chef, les cinq miliciens se précipitèrent sur Tancrède.

Aucune règle de fair-play, aucun code d’honneur n’ont jamais eu cours dans un pugilat, et celui-ci n’allait pas déroger à la règle. Les assaillants attaquèrent ensemble et firent pleuvoir les coups sur Tancrède dans l’objectif de l’envoyer rapidement au sol et de finir le travail à coups de pied jusqu’à ce qu’il ne soit même plus en état de se protéger la tête avec les bras. En tout cas, cela se passait ainsi d’habitude. Mais Tancrède était un guerrier Méta.

Quelques coups l’atteignirent et lui meurtrirent le visage, mais ceux qu’il donna en retour étaient le fruit d’un long et laborieux entraînement de plusieurs années. Un entraînement si poussé que le corps réagissait spontanément sans que l’esprit ait besoin de le coordonner. En quelques instants, trois hommes se retrouvèrent tour à tour au tapis, mâchoires et côtes brisées, inconscients ; les deux autres reculèrent prudemment.

Toussant, suffoquant, le souffle encore coupé par le coup, Argant se releva péniblement en prenant appui sur le mur. Son visage était empourpré par la honte.

« Soldat ! parvint-il à articuler entre deux quintes. Il t’est… interdit de te servir… de ces techniques de combat… en dehors des champs de bataille, c’est… considéré comme un délit ! »

La partie encore rationnelle de l’esprit de Tancrède s’amusa de voir ce truand lui faire un rappel à la loi, tandis que la partie obscurcie par la fureur restait déterminée à faire payer Argant.

« Fais-moi un procès ! » gronda-t-il en marchant sur l’homme de main de Robert.

Toute assurance quitta alors le visage d’Argant pour laisser place à la peur. Comprenant qu’il allait devoir vendre chèrement sa peau, il sortit un couteau des replis de sa veste, avec davantage de dextérité que Tancrède ne s’y serait attendu. Celui-ci vit que la lame luisait faiblement dans la pénombre. C’était le signe d’une lame ionisée, dont le tranchant était accentué par un influx d’ions négatifs, plus dangereuse qu’un rasoir. S’il n’hésita qu’un instant à la vue de cette arme, cela suffit aux deux miliciens encore valides pour se jeter sur lui et tenter de l’immobiliser tandis que leur chef s’approchait, un sourire mauvais aux lèvres, faisant jouer le couteau dans sa main comme un expert du meurtre.

« Tu vas crever, connard ! »

La voix d’Argant s’était réduite à un sifflement, ses yeux étrécis brillaient de haine. Tancrède savait que son assaillant était déterminé à le tuer. Il avait trop souvent vu ce masque figé que devenait le visage d’un homme sur le point de supprimer une vie. Il effectua alors une prise complexe qui lui permit de se libérer de la poigne de l’un des miliciens, puis de son bras libre, plaça plusieurs coups secs et rapides dans les flancs des deux brutes qui crièrent de douleur en s’effondrant. Le bref enchaînement des mouvements l’avait contraint à se positionner dos à Argant. Il était évident qu’un homme comme lui n’hésiterait pas à frapper en traître.

L’esprit de Tancrède avait prolongé la trajectoire de son adversaire : celui-ci n’avait plus qu’un pas à faire pour l’atteindre. Le Méta-guerrier n’avait plus le temps de se tourner, ni de se mettre en position. Mû par un réflexe de survie, il fit basculer ses épaules d’un quart de tour vers l’arrière et se pencha sur le côté au moment où Argant, en fin de course, se fendait vers l’avant pour frapper. La lame acérée transperça sa veste, emportant la poche droite sans même un bruit de tissu déchiré. Tancrède saisit aussitôt l’avant-bras qui venait de passer sous son aisselle, puis se retourna dans le même mouvement en faisant pivoter le bras d’Argant autour de son propre coude, afin d’éloigner la lame. Mais le déplacement du chef des miliciens était trop rapide et son articulation cassa net dans un craquement sonore, positionnant le couteau dans l’axe de sa course. Tancrède comprit soudain ce qui allait se passer et tenta de dévier le bras de son assaillant, qu’il tenait encore. Mais, emporté par son élan, Argant s’empala sur sa propre lame ionisée qui pénétra ses chairs juste sous le plexus, sans plus de difficulté que s’il n’était fait que d’eau, tranchant net tout ce qui se trouvait sur son passage. Même la colonne vertébrale ralentit à peine cette lame qui la sectionnait, interrompant aussitôt le flux d’informations qui aurait permis au cerveau d’Argant de ressentir la douleur, de comprendre l’imminence de sa fin. Le visage de celui-ci n’exprima rien d’autre qu’une immense stupéfaction, avant que toute expression ne le quitte définitivement.

Le lieutenant de Robert de Montgomery s’écroula au sol sans un bruit, mort.

VII

1er septembre 2205 TR

Fidèle à son habitude, le major Hutbert réveilla tous les occupants de la cabine collective n°48-57 en criant à en perdre le souffle, traitant les hommes de tous les noms pour les inciter à se presser.

Liétaud, qui n’aimait pas traîner au lit, se leva aussitôt et passa ses vêtements du matin : chemise blanche et veste courte pour le haut, pantalon de treillis brun et chaussures de sport légères pour le bas. Pour le premier repas du jour, la tenue décontractée était tolérée ; il enfilerait son uniforme réglementaire après l’ordinaire. Tandis qu’il fermait les boutons de sa chemise un à un, il s’approcha de la couchette de Tancrède qui semblait avoir du mal à se lever.

« Alors, Tancrède, on est rentré tard cette nuit ? dit-il d’une voix forte en lançant un clin d’œil à la cantonade. J’en déduis que ta soirée a été bonne ! »

Sa plaisanterie ne déclencha aucun rire. Au réveil, l’humeur générale était plutôt maussade.

« Épargnez-nous vos blagues minables, Liétaud Tournai ! beugla le major. Et magnez-vous de vous préparer si vous ne voulez pas recevoir quelques baffes pour vous motiver !

— Oui, Major », répondit Liétaud sans pouvoir s’empêcher de sourire à l’idée du vieux Hutbert essayant de lui mettre des claques.

Pendant ce temps, Tancrède s’était enfin redressé sur sa couchette et rejetait son drap sur le côté pour se lever. Liétaud remarqua alors les contusions sur le visage de son lieutenant. Son sourire s’évanouit instantanément. Il s’assit à côté de lui et parla plus bas.

« Oh, je vois que tu as eu des ennuis, mon ami. Des inconscients ont essayé de se mesurer à toi ? Je suppose qu’ils le regrettent à l’heure qu’il est. »