Выбрать главу

Et les hommes de son unité ! Comment pourrait-il désormais les commander avec des galons arrachés ?

Ses démons ! Révélateurs de ses perversions ! Il aurait dû davantage s’en méfier, davantage les combattre. Il avait eu l’orgueil de penser qu’il pourrait les dominer, mais en fin de compte, c’étaient eux qui l’avaient contrôlé. Il n’avait jamais été que leur jouet !

Subitement, il eut l’impression d’étouffer. D’un bond il se mit debout et, levant les bras au ciel, poings serrés, il hurla. Un hurlement rentré, de douleur, les mâchoires serrées. Puis, quand il eut épuisé tout l’air contenu dans ses poumons, il sortit précipitamment de la cabine et se rua dans les artères du navire, marchant droit devant lui sans autre but que de se vider l’esprit.

Un peu partout, les nombreuses plaques qui diffusaient en permanence les programmes de l’Intra, annoncèrent, parmi les autres nouvelles du jour : « Le lieutenant Tancrède de Tarente, Méta-guerrier et figure des champs de bataille, vient d’être officiellement rétrogradé pour motifs disciplinaires au rang de sous-lieutenant et toutes ses décorations militaires lui ont été retirées. Par ailleurs, selon nos sources, Urbain IX l’a inscrit au livre des blâmes du Vatican pour les mêmes raisons. »

Il n’aurait su dire combien de temps il marcha ainsi dans les allées, ni comment il se retrouva dans l’église St. Séverin, l’un des nombreux lieux saints du bord où n’importe qui pouvait entrer à tout moment pour se recueillir ou prier.

Assis seul sur l’un des bancs du fond, il murmurait toutes les prières qu’il connaissait, les enchaînant les unes aux autres sans ordre logique en fixant d’un regard brûlant le Christ crucifié au-dessus de l’autel. Il serait probablement resté encore longtemps dans cette posture si une voix ne l’avait tiré de sa transe.

« Tout va bien, mon fils ? »

Tancrède tourna la tête sur sa droite et découvrit un curé au visage austère qui le dévisageait d’un air réprobateur. Aucune réponse ne lui vint. Pourquoi était-il là, à réciter mécaniquement des prières au lieu d’aller rejoindre son unité ? Il remarqua alors le confessionnal, derrière le curé, dans la travée droite, et comprit qu’il était venu pour ça. Sans un mot, comme pris d’une impulsion subite, il se leva, le rejoignit à grandes enjambées puis s’y agenouilla. Bien que déconcerté par ce comportement, le prêtre lui emboîta le pas et s’installa à son tour dans l’étroite cabine afin de remplir ses obligations envers ce chrétien visiblement en détresse.

« Bénissez-moi mon père parce que j’ai péché, récita le pénitent.

— Je t’écoute, mon fils. »

Bien que le ton du curé fût un peu sévère, Tancrède le sentit attentif.

« Mon père, se lança-t-il sans trop savoir par où commencer, j’ai commis le péché d’orgueil. Et cet orgueil a jeté le trouble et le désordre dans ma vie.

— C’est déjà bien d’en avoir pris conscience, mon fils. Quels actes inconsidérés cet orgueil t’a-t-il fait commettre ? »

Les mots venaient difficilement. Tancrède ne s’était pas confessé depuis longtemps et jamais il n’avait eu autant de choses à se reprocher.

« J’ai commis de nombreux actes d’indiscipline et je pense que j’ai compté sur mon nom pour échapper à la punition… Je n’ai pas obéi aux injonctions de mes supérieurs et je… me suis arrogé le droit de mener moi-même une enquête sur une affaire dont la police s’occupait déjà… malgré les mises en garde de ma hiérarchie et de mon propre oncle.

— Tout ceci est certes répréhensible, répondit le confesseur un peu machinalement, mais il n’y a là rien de dramatique, mon fils. J’ai entendu bien pire depuis le début de ce voyage. Tu ne dois pas te mettre dans un tel état pour si peu.

— C’est-à-dire… ce n’est pas tout, mon père. » Tancrède ne pouvait repousser indéfiniment les sujets difficiles.

« J’ai aussi entretenu des contacts réguliers avec une certaine catégorie de l’équipage… des contestataires, parmi les inermes. J’ai même encouragé ce genre de pensées chez quelques-uns de mes hommes, de mes amis proches… » Honteux, il s’exprimait de plus en plus lentement.

« J’ai menti, je me suis laissé aller à la colère, à la violence. La plus grande violence… J’ai tué un homme… » Le prêtre ne disait plus rien. « Je l’ai certes fait pour me défendre, mais peut-être aurais-je pu l’éviter ? Peut-être aurais-je pu au moins essayer… »

Tancrède réalisa soudain qu’il ne lui restait plus qu’une chose à avouer, celle qu’il avait toujours craint de devoir révéler. Quoi que sans importance d’un point de vue judiciaire, c’était la plus grave au plan moral. Cette fois, il était au pied du mur, c’était le moment ou jamais de débarrasser sa conscience de ce fardeau.

« Le pire, mon père… c’est que depuis longtemps déjà, je me suis mis à douter… »

Il passa nerveusement la main sur son visage et s’aperçut que ses joues étaient mouillées. Le confesseur laissa passer de longues secondes avant de répondre, comme s’il pesait soigneusement ses propos.

« Tu as fait le plus dur, mon fils. Dieu t’a envoyé une épreuve, la plus dure de toutes, celle qui contient toutes les autres en elle-même : le doute. Quand le doute s’installe dans l’esprit de l’homme, sa vision se trouble et tout ce qu’il voit par ce prisme s’en trouve déformé, biaisé. Dès lors, toutes sortes de raisonnements pernicieux viennent embrumer son esprit, des concepts envoyés par le malin lui-même tels que la raison, la logique, l’esprit critique… Coupable égarement ! Misérables jouets de l’erreur ! Nous nous livrons en aveugles au moindre espoir qui nous flatte et nous abuse*. À toutes ces tentations, le véritable chrétien ne connaît qu’une seule réponse : la foi ! »

Des bruits de chaises montèrent de la nef, probablement des gens qui s’installaient pour prier.

« Oui, mon père, reprit Tancrède d’une voix enrouée, j’ai confiance en votre parole, mais aujourd’hui, je suis perdu, je ne sais plus où j’en suis. Mes pairs et mes amis me rejettent, tout se dérobe sous mes pieds ! Que dois-je faire ? »

Le prêtre répondit sans hésiter, comme s’il disposait d’une réponse toute prête :

« Que toujours la main de Dieu nous conduise ; cette main qui pénètre, qui amollit les cœurs, les échauffe et les embrase ! C’est elle qui, à travers mille périls, a guidé nos pas, qui a devant nous abaissé tous les obstacles ; elle aplanit les montagnes, elle dessèche les fleuves, pour nous elle ouvre et foudroie les remparts, pour nous elle moissonne et disperse les armées.* Tout est là, mon fils. La foi est la seule réponse ! Ce n’est que lorsqu’elle t’a quitté que tu t’es égaré. »

Nouveau silence. Tancrède gardait la tête baissée, les mains jointes.

« Néanmoins, sois rassuré, reprit le curé plus chaleureusement, car aujourd’hui, tu as fait le pas le plus grand, tu as compris que tu étais dans l’erreur et que tu suivais la voie du péché. Il te faudra encore quelque temps pour que les voiles de l’aveuglement se déchirent entièrement, mais je te le répète : aujourd’hui, tu as pris conscience de ton égarement et c’est tout ce qui importe.

— Oui, mon père.

— Répète après moi, mon fils :

Mea culpa, mea maxima culpa,

Ô mon Dieu, qui lis dans les cœurs, je viens à toi avec un esprit de repentir. Je regrette toutes mes fautes et à l’avenir, je renonce à tout autre péché, tout acte honteux.