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Alors, dans un élan d’amitié sincère, il lui posa la main sur l’épaule et se pencha pour lui dire à voix basse :

« Tu verras, je suis sûr que lorsque nous serons sur Akya, tout redeviendra comme avant. Nous serons à nouveau comme des frères, toi et moi. »

Ce fut comme si Liétaud aspirait une bouffée d’air frais. Il se redressa et son ébauche de sourire s’élargit. Comprenant la force du sentiment qui venait de traverser Tancrède, il sut qu’il n’y avait rien à répondre. Spontanément, il passa son bras autour des épaules de son ami et lui prit la nuque dans sa large main pour l’attirer à lui. Leurs fronts s’entrechoquèrent avec un bruit mat et ils restèrent ainsi plusieurs secondes, saisis par l’émotion. En entendant le major se racler la gorge, ils se rendirent compte qu’ils bloquaient toute la colonne. Gênés, les hommes regardaient ailleurs. Un peu confus, mais heureux de ce rapprochement, ils se séparèrent et Liétaud reprit sa place dans la file d’attente, tandis que Tancrède filait d’un pas rapide vers le répartiteur, un air sévère sur le visage, mais le cœur léger.

Sept heures plus tard, toutes les unités destinées à débarquer sur Akya du Centaure avaient rejoint leurs postes. Les hommes et les femmes constituant la vaste armée croisée avaient été installés dans de gigantesques cabines pressurisées tout en longueur, assis les uns à côté des autres sur deux rangées dos à dos et solidement harnachés. Pas un bruit ne troublait le silence de mort qui régnait dans les rangs en attendant que le compte à rebours finisse de s’égrener. Puis, le signal final retentit et un son aussi puissant qu’étrange – telle une corde à piano titanesque qui viendrait de casser – se propagea dans tout le navire tandis que les arches gravitationnelles étaient temporairement désactivées pour permettre aux parties mobiles de s’éloigner.

Tous sentirent leurs corps se soulever dans les harnais, en même temps que la perception de leur propre poids disparaissait. Puis un immense et terrible claquement fit trembler tout le bâtiment, presque comme si le Saint-Michel venait d’être percuté par un objet massif. Un crissement métallique monstrueux s’ensuivit pendant de longues secondes, si intense, si effrayant, que des cris de stupeur se firent entendre, même dans les rangs des soldats les plus aguerris. Soudain, chacun fut livré à une sorte de tangage, sensation étrange après un an et demi relatif passé sur un vaisseau si grand qu’on se serait presque cru sur la terre ferme. Cela ne signifiait qu’une seule chose, même pour tous ceux qui se trouvaient dans les salles sans hublots : les parties mobiles flottaient désormais librement dans l’espace.

Ainsi, une semaine après l’injection orbitale du Saint-Michel autour d’Akya, dix-huit morceaux du colosse venaient de le quitter, telle une mitose cellulaire démesurée, s’éloignant avec lenteur du vaisseau mère pour entamer une périlleuse descente dans l’atmosphère. Ces éléments, représentant plus d’un cinquième de la masse totale du Saint-Michel, allaient permettre de descendre au sol l’intégralité des forces actives de l’armée croisée ainsi que son matériel et constitueraient, une fois déployés, les bâtiments principaux d’un gigantesque camp militaire.

Le site d’atterrissage avait été soigneusement sélectionné depuis la Terre par les ingénieurs militaires, avant même le lancement du Saint-Michel, grâce aux multiples satellites placés autour d’Akya par la mission précédente. Un grand plateau circulaire dont les versants abrupts dépassaient une centaine de mètres de haut, planté au milieu d’une vaste plaine désertique, avait été retenu pour l’évident avantage défensif qu’il procurait. D’un diamètre de plusieurs kilomètres, on pouvait aisément y déployer toute l’infrastructure croisée, puis y élever les fortifications nécessaires.

Cependant, l’atterrissage des parties mobiles était une manœuvre complexe et dangereuse. Faire descendre ces milliers de tonnes de métal à travers l’atmosphère présentait de multiples difficultés, dont l’échauffement et la vulnérabilité n’étaient que les principales.

Concernant l’échauffement, on avait retenu la solution la plus simple : la lenteur. Des dizaines de rétroréacteurs situés sous les dix-huit parties mobiles du Saint-Michel ralentissaient la descente, réduisant ainsi l’élévation de température jusqu’à une limite acceptable au prix d’une consommation d’énergie considérable.

Quant à la vulnérabilité, les parties mobiles n’étant pas conçues pour la guerre, aucun système ne leur permettait d’assurer leur propre défense lors de cette descente pendant laquelle il était évident que des ennemis ne manqueraient pas de les voir. Les intercepteurs H6 avaient donc été déployés depuis l’orbite haute pour les accompagner durant tout le trajet. Ils tournoyaient autour de ces monstres de métal comme un essaim de frelons furieux, effectuant des piqués chacun leur tour jusqu’à la surface de la planète pour détecter d’éventuels ennemis embusqués, survolant les vallées alentour, frôlant les sommets et rasant la plaine afin de se faire bien voir et de dissuader toute tentative d’attaque.

Toutefois, à la grande déception des pilotes de chasse, aucun ennemi ne se montra durant les trois heures que dura la descente et les parties mobiles parvinrent sans encombre à leur destination finale, la surface.

Des bâtiments gris longilignes se dressaient désormais au centre du plateau, apparitions étrangères dans un monde inconnu offrant le spectacle incongru de blocs de métal brillant dans un paysage minéral. Quelle que soit l’issue de la croisade, ces superstructures resteraient là où elles s’étaient posées puisqu’elles n’avaient pas été conçues pour redécoller.

Les longs corridors abritant les soldats se dépressurisèrent dans un sifflement sonore, causant au passage quelques douleurs aux tympans sensibles, puis les hommes purent enfin se lever. Une certaine agitation parcourut alors les rangs à l’idée que le terme de ce si long voyage était là, qu’il n’y avait que quelques portes à franchir pour le découvrir. Il fallut toute l’énergie et l’expérience des sous-officiers pour empêcher une ruée vers la sortie et obliger les hommes à respecter les ordres.

À l’intérieur de chaque partie mobile, les soldats se massèrent fiévreusement devant les grands sas des baies de débarquement, menaçant d’écraser les premiers rangs sous la pression, pendant que le commandement s’assurait que nul danger ne guettait dehors. Enfin, une corne retentit, des gyrophares se mirent à tourner, puis les portes s’ouvrirent, s’abaissant lentement afin de constituer pour la suite de grandes rampes de déchargement.

Les hommes se figèrent alors, reculant tous d’un pas tandis que l’air et la lumière d’un monde nouveau se déversaient sur eux, s’engouffraient dans les couloirs de leurs navires et inondaient leurs sens.

Tels on voit de hardis navigateurs qui sur une mer ignorée, sous un pôle inconnu, vont chercher de nouveaux rivages : ils ont erré longtemps à la merci d’une onde trompeuse et de vents infidèles ; enfin, ils découvrent la terre désirée ; de loin ils se la montrent les uns aux autres, et à cet aspect, ils oublient leurs ennuis, leurs travaux et leurs peines*.

* * *