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Aujourd’hui, il était vêtu d’un lourd manteau d’étoffe beige dont les plis tombaient droit le long de ses pantalons noirs, resserrés aux chevilles à la manière d’un treillis militaire. Le blason lorrain était brodé au niveau du cœur, trois alérions facilement reconnaissables et la devise « Casuve, Deuove[2] » clairement inscrite sur une bannière entourant l’ensemble. Juste en dessous, la ligne discrète de décorations militaires semblait être la seule entorse à la sobriété de l’ensemble que le duc s’était résigné à tolérer. Parmi elles, un observateur attentif pouvait remarquer le fameux Calice d’Or, récompense suprême, toujours remise par le pape en personne.

Godefroy remarqua que le léger sifflement qui comprimait ses oreilles avait cessé. La cabine venait d’être dépressurisée.

« Permettez-moi de vous souhaiter un bon séjour à bord, Monsieur le Duc, fit le pilote.

— Merci, et bravo pour cette manœuvre d’approche parfaitement exécutée », répondit courtoisement Godefroy tandis que le Véhicule de Transfert Orbital achevait de se poser sur l’un des docks du Saint-Michel.

Dès que les portes de la navette s’ouvrirent, Godefroy demanda à l’enseigne qui se présenta de le mener immédiatement au commandant de bord, Hugues de Vermandois. Le jeune soldat le guida à travers les couloirs jusqu’au Tube, le moyen de transport horizontal du vaisseau qui leur permettrait de couvrir la distance depuis les ponts d’embarquement, situés à l’arrière, jusqu’au poste de commandement, à l’avant.

Les couloirs et les imposantes salles défilèrent rapidement à travers les baies vitrées du transport qui filait comme une flèche. La rame dans laquelle ils étaient montés était un express ne marquant que quatre arrêts sur toute la longueur du navire ; pourtant, même ainsi, il leur fallut près de dix minutes pour traverser celui-ci de part en part.

Une fois la proue atteinte, l’enseigne précéda Godefroy sur l’escalier d’accès à la passerelle principale, présenta son messageur à la plaque de contrôle du garde – lequel sursauta en voyant qui l’accompagnait – puis entra dans le poste de commande en annonçant le duc de Basse-Lorraine. La plupart des officiers et techniciens, concentrés sur leur travail, ne bronchèrent pas, mais un homme aux cheveux grisonnants se retourna et vint à eux du fond de la salle. Son allure et son uniforme ne laissaient aucun doute sur sa fonction, ni sur son origine sociale : Hugues de France, comte de Vermandois, commandant de bord du Saint-Michel, membre du Conseil Croisé et surtout, frère du roi de France. Un large sourire aux lèvres, il ouvrit les bras pour donner une chaleureuse accolade à Godefroy.

« Cher ami, soyez le bienvenu à bord !

— Voilà un accueil peu protocolaire, Monsieur le Comte, répondit Godefroy, riant à son tour, mais fort agréable. Je suis heureux de vous revoir, Hugues.

— Et moi donc. Il est bon d’avoir des hommes de votre valeur dans une telle campagne.

— Vous me flattez.

— Absolument pas. » Il le prit par le bras et l’entraîna un peu à l’écart de l’atmosphère affairée des postes de commandes. « Alors, comment se porte madame votre mère ?

— À merveille. Elle n’a pas souhaité m’accompagner à l’embarquement de peur que son enthousiasme pour mon départ ne fléchisse à la dernière minute, mais je sais qu’elle est heureuse que je me sois croisé. Comme vous le savez, Ida est fort pieuse.

— Je le sais en effet. C’est une femme exemplaire. Elle a beaucoup intrigué auprès de mon frère pour qu’il s’engage personnellement dans cette croisade, mais finalement, c’est à moi que cette charge a échu. »

Godefroy inclina la tête avec un léger sourire aux lèvres. Il savait que Hugues le taquinait en insinuant qu’Ida l’avait indirectement contraint à se croiser : à la vérité, pour rien au monde le frère du roi de France n’aurait refusé le poste de commandant de bord du Saint-Michel.

De fait, la mère de Godefroy avait exercé d’intenses pressions auprès de nombreux seigneurs, considérant que c’était son devoir de convaincre les barons de s’engager dans une sainte cause. Mais le roi de France, Philippe IX, n’avait jamais eu l’intention d’abandonner son royaume pendant plusieurs années et avait plaidé officiellement pour que son frère le remplace. Officieusement, il était clair pour tout le monde que le roi ne souhaitait pas s’inféoder au pape avec lequel il entretenait des relations difficiles depuis longtemps déjà. Hugues avait donc toujours su que c’était à lui que reviendrait la charge de porter au front les couleurs de la maison France.

« Le ravitaillement du navire se déroule-t-il comme vous le souhaitez ? demanda Godefroy en redevenant plus sérieux.

— Ma foi, pour l’instant, oui. Aussi incroyable que cela puisse paraître, nous devrions tenir les délais et appareiller demain à 17 h comme prévu.

— Je n’en ai jamais douté, Hugues. Vous n’êtes pas homme à promettre ce que vous ne pouvez tenir.

— C’est à votre tour de jouer les flagorneurs. »

Godefroy lui donna une tape amicale sur l’épaule en éclatant de rire. Ils s’étaient connus huit ans auparavant sur un théâtre d’opérations en Nouvelle-Guinée et avaient immédiatement sympathisé. La simplicité de Hugues, pourtant frère du roi de France, et son expérience, avaient séduit Godefroy qui, à son tour, avait impressionné le comte par son courage et sa droiture. Cependant, au-delà de ces traits de caractère connus de tous, les deux hommes avaient en commun une sensibilité et un goût pour la culture assez peu répandus en ces temps troublés.

Souvent, lors des longues soirées de veille durant le siège d’Irian, ils avaient partagé leur passion pour la poésie épique, se récitant mutuellement de longs passages du Tasse ou de l’Arioste, et devisant longuement sur les qualités des nouveaux poètes de l’après-guerre. Le genre avait en effet connu un renouveau inattendu à la suite de la disparition des réseaux de divertissement mondiaux lors de la grande conflagration de 2061.

« Vous nous arrivez juste après Raymond de St. Gilles, Godefroy. Je commençais à craindre qu’un contretemps fâcheux ne vous ait retenu à la dernière minute, vous privant de l’occasion de briller pendant cette campagne.

— N’ayez crainte, rien n’aurait pu me dissuader de me croiser pour servir le Très Haut. Seules quelques contrariétés administratives m’ont retardé in extremis. Tous les seigneurs sont-ils déjà montés à bord ?

— Tous… sauf un. Robert de Montgomery n’est pas encore parmi nous. »

À l’évocation de ce nom, Godefroy sentit se faner la joie qu’il éprouvait à retrouver un vieil ami. « Robert le Diable, soupira-t-il.

— Vous ne devriez pas l’appeler ainsi, cela pourrait vous échapper devant lui.

— Je ne crains pas cet homme.

— J’en suis convaincu. Il a néanmoins énormément d’influence auprès de la plupart des grands féodaux français et jusque dans les autres cours européennes.

— Je sais, mais il n’est pas le seul. Nous ne devons pas nous laisser intimider par les rodomontades de cet ultra. Après tout, c’est plutôt lui qui devrait s’habituer à entendre ce surnom. Ne dit-on pas qu’il l’a amplement mérité ?

— Il semble bien que oui, acquiesça Hugues. D’ailleurs, c’est probablement parce que ce surnom lui convient si bien qu’il le supporte si mal. Combien de fois l’ai-je vu, au cœur même de la cour de mon frère, éprouver toutes les peines du monde à se contenir juste parce qu’il avait cru entendre quelqu’un l’appeler ainsi dans son dos. »

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2

« Soit le hasard, soit Dieu. »