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Réalisant qu’il ne disait rien alors qu’elle était suspendue à ses lèvres, il répondit en bafouillant :

« Je… euh. Que penserais-tu si je demandais… que… si je contactais ton tuteur… en séance tachy pour… enfin…

— Mais oui ! Je veux t’épouser, moi aussi ! » s’exclama-t-elle en se jetant à son cou.

Ils s’embrassèrent avec fougue, prolongeant leur étreinte suffisamment longtemps pour provoquer quelques haussements de sourcils réprobateurs chez leurs voisins de tablée.

7 novembre 2205 TR

Le paysage défilait à toute vitesse derrière les vitres de la barge de transport de troupes qui emmenait l’unité de Tancrède sur le front. Ces barges lui rappelaient de douloureux souvenirs puisque c’étaient les mêmes qu’à Surat. Cependant, même s’il avait pris place avec les autres officiers dans la cabine de contrôle, il n’avait cette fois d’autre commandement opérationnel que celui de son unité. Et c’était tant mieux.

À ses côtés, plusieurs lieutenants et capitaines écoutaient le marquis de Villeneuve-Cassaignes rappeler une dernière fois les instructions concernant le déroulement des opérations. Tancrède connaissait un peu Thibault de Villeneuve-Cassaignes. Beau-frère de Raymond de St. Gilles, c’était un ultra notoire, en parfait accord avec la ligne dure prônée par Robert de Montgomery. Il le savait arrogant et peu disposé à écouter l’avis d’autrui. Toutefois, il devait admettre qu’il ne connaissait pas encore ses capacités de commandement, ni ses compétences tactiques. S’il dirigeait correctement les opérations sur le terrain, alors ses convictions politiques n’avaient aucune importance.

La tâche que l’on attendait des troupes ce jour-là consistait à se rendre maître de trois villes atas de taille moyenne, qui faisaient partie d’un ensemble plus vaste de cinq faubourgs entourant la « capitale ». Ceux-ci participant au ravitaillement en vivres – et probablement en soldats – de la grande ville, il fallait commencer par les neutraliser afin de pouvoir ensuite livrer bataille, quartier par quartier, jusqu’au sanctuaire chrétien qui dominait les environs du haut d’un mont rocailleux, situé au cœur de la capitale.

Une trentaine d’intercepteurs faisaient le va-et-vient entre les quatre-vingts barges, les uns couvrant du hurlement de leurs réacteurs le bourdonnement de la sustentation magnétique des autres. Hormis les étranges guerriers volants aperçus la veille lors du premier contact, les Atamides n’avaient pas montré de capacité aérienne particulière. Mais, l’état-major désirant ne prendre aucun risque, le croiseur lourd Torquato escortait les troupes à une vingtaine de kilomètres d’altitude, prêt à faire pleuvoir des Akantes par milliers sur d’éventuelles unités volantes dont les intercepteurs ne viendraient pas à bout.

Après une heure et demie de vol, les barges se posèrent dans un large canyon érodé, à portée de vue des faubourgs visés. Les troupes débarquèrent en ordre de bataille et bientôt, plus de cent mille hommes s’alignaient sur un front en arc de cercle. Au même moment, de l’autre côté de la ville, autant de soldats exécutaient la même manœuvre dans le but de couper toute retraite à l’ennemi.

Lorsque Villeneuve-Cassaignes avait décrit cette stratégie aux officiers, Tancrède s’était senti mal à l’aise. L’objectif était évident : massacrer tout le monde sans laisser la moindre chance de fuir à ceux qui renonceraient au combat. Or, le but de cette croisade était de conquérir le tombeau du Christ ; si les Atamides abandonnaient la ville aux humains, il n’était pas nécessaire de les exterminer. L’ex-lieutenant avait alors senti qu’il s’aventurait de nouveau dans des zones dangereuses de son esprit et s’était aussitôt remémoré les paroles du curé de l’église St. Séverin : Quand le doute s’installe dans l’esprit de l’homme, sa vision se trouble et tout ce qu’il voit par ce prisme s’en trouve déformé, biaisé. À cela, le véritable chrétien ne connaît qu’une seule réponse : la Foi ! Ce souvenir l’avait un peu réconforté.

La poussière soulevée par l’énorme déplacement de troupes se dissipait progressivement. La 78e d’infanterie mixte s’était mise en place, selon les consignes reçues, et attendait, non sans fébrilité, le signal de départ. Tancrède, Liétaud et une trentaine d’autres cavaliers montaient des méca-perch, tandis qu’à leurs côtés, les quarante autres membres de l’unité, dont Engilbert, allaient à pied. Les visages étaient graves et concentrés, personne ne parlait.

Du haut de sa monture, Tancrède observait les bâtiments qui s’alignaient au loin. Il lui sembla que l’architecture n’était pas sans rappeler celle de certains pays africains, en torchis et pierres blanches, entièrement conçue dans l’objectif de minimiser les nuisances du soleil.

Liétaud lui adressa un léger signe de tête, presque machinal. Tancrède devina que le jeune Flamand, impressionné par l’ampleur des forces en présence, se sentait un peu perdu. Ce fut précisément au moment où il lui répondait d’un signe du menton que le signal du départ retentit dans leurs oreillettes. Aussitôt, tous déclenchèrent le déploiement de leurs casques, faisant jaillir de leurs exos un hémisphère doré miroitant qui couvrit leurs têtes, puis se mirent en marche.

Une énorme procession hétéroclite s’avança alors vers la ville, mêlant simples soldats à l’équipement standard, super-guerriers en Weiner-Nikov montant des percherons mécaniques, amazones juchées sur des bipèdes de combat RK, tanks Aurochs M4 couvrant les lignes arrières, barges médicales volant prudemment en retrait et intercepteurs se relayant à l’avant pour piquer jusqu’aux toits de la ville afin de terroriser l’ennemi. Un véritable pandémonium.

Mises brusquement sous pression, les articulations des montures mécaniques se mirent à chauffer, produisant aussitôt une pénétrante odeur d’ozone que les soldats habitués des champs de bataille connaissaient bien.

Tancrède activa l’agrandissement optique de sa visière-dôme dans l’espoir de repérer Clorinde au milieu de cette marée humaine, sans toutefois y parvenir.

« Pourquoi nous a-t-on débarqués si loin de la cité ? lui demanda Liétaud sur canal privé. Je ne vois pas l’intérêt.

— Je crois que depuis l’embuscade d’hier, nos stratèges se méfient, lui répondit Tancrède. Ils ont sûrement jugé préférable de mettre les troupes à bonne distance de l’objectif pour éviter toute pagaille en cas d’attaque-surprise.

— Peut-être… Mais ça nous a rapprochés de ces pentes-là. » Il montra les parois du canyon, distantes d’environ deux cents mètres. « Ça ne me paraît pas très prudent. »

Tancrède suivit du regard la direction indiquée par son ami. Les pentes de terre et de roche, creusées de nombreuses ravines et érodées par le vent, ne semblaient pas pouvoir offrir de cachette utile à une armée ennemie. Même si au fil de leurs entraînements, il avait appris à ne pas négliger l’instinct tactique du jeune Classe 3, il ne vit rien de particulièrement alarmant.

Tancrède reporta son attention sur leur objectif. On distinguait maintenant très bien les premières habitations. L’architecture était simple, mais assez harmonieuse. Finalement, on avait beau être sur une autre planète, l’endroit ne paraissait pas si étranger : des murs, des portes, des fenêtres. Tout cela n’aurait pas détonné sur Terre. En agrandissant sa vision, il constata que des motifs multicolores étaient peints autour des portes. Tancrède était en train de se demander s’il s’agissait de décoration ou d’écriture lorsque l’un de ses hommes lui dit, sur le canal général :