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« Dites, mon Lieutenant, vous voyez cette espèce de mirage sur les parois du canyon ? On dirait que la roche… ondule.

— Qu’elle quoi ? s’écria Tancrède. Que veux-tu… »

Mais il n’acheva jamais sa phrase. L’attaque commença.

Plusieurs dizaines de milliers de créatures apparurent soudain sur les pentes qui les entouraient et commencèrent à les dévaler pour se précipiter sur eux dans une clameur infernale.

Des monstres ! Voilà ce que pensa spontanément Tancrède, qui n’était pourtant guère impressionnable, en les voyant surgir sur l’agrandissement de sa visière HUD. Des monstres à l’aspect terrifiant.

Mesurant dans les deux mètres de haut, ils se dressaient sur leurs pattes arrière et tenaient leurs armes de leurs deux bras, donnant à leur silhouette un aspect humanoïde. Cependant, la ressemblance avec les humains s’arrêtait là. Leurs longues jambes musculeuses possédaient une courbure prononcée qui évoquait un S lorsqu’on les voyait de profil, tandis que leurs bras paraissaient plutôt fins en comparaison, même s’ils devaient être particulièrement puissants à en juger par la taille des armes qu’ils brandissaient – de grandes lances dont la lame était faite d’un matériau blanchâtre.

Leur corps était recouvert d’une peau gris sombre, disparaissant par endroits sous de larges écailles brunes qui semblaient faites, vues de loin, d’une sorte de chitine dure aux bords effrangés. Ils en avaient sur les épaules, l’abdomen, les cuisses et les avant-bras. Tancrède pensa aussitôt à une sorte d’armure naturelle. Sur les parties de leur corps qui n’en étaient pas pourvues étaient fixées, grâce à des lanières, des plaques de cette même matière blanche qui composait leurs armes, permettant probablement de pallier l’absence d’écailles. En guise de pieds, trois longs doigts griffus complétaient l’horrible étrangeté de leurs jambes tordues.

Mais c’était surtout leur tête qui frappait par son caractère effrayant. D’une forme générale vaguement pyramidale, elle s’étirait assez loin vers l’arrière où des franges chitineuses se dressaient comme une crête multicolore. Sur leur tête, en effet, contrairement au reste du corps très monochrome, des zébrures de couleurs vives striaient le haut du crâne. Une énorme mâchoire évasée en soulignait la base tandis que l’absence de nez, ou même d’orifices respiratoires, laissait un vide dérangeant au milieu du visage. Deux yeux complétaient cette apparence féroce, deux yeux noirs aux iris jaunes, rapprochés l’un de l’autre et placés au centre de la face. Deux yeux de prédateur.

Tancrède cabra son méca pour lui faire exécuter une rapide volte-face. Les sabots de la monture frôlèrent les casques des fantassins avant de lourdement retomber au sol. Une grande confusion se propagea parmi les troupes. Comment avaient-ils pu passer à côté d’eux sans les voir ?

Soudain Tancrède comprit. Maintenant qu’ils étaient plus près, il voyait que le corps des guerriers atas était recouvert de fines plumes transparentes qui, par moments, renvoyaient bizarrement la lumière. Le terrain défilait dessus ! Ils pouvaient se camoufler grâce à ces appendices manifestement capables de polariser la lumière pour imiter le terrain sur lequel ils se trouvaient !

« Et les capteurs thermiques, nom d’un chien ? » ne put-il s’empêcher de s’exclamer à voix haute.

Toutefois, le moment n’était plus aux questions, les premiers Atamides les atteignaient.

Bien que sa longue expérience militaire ait appris à Tancrède qu’une bataille n’est jamais gagnée d’avance, il ne s’attendait pas à une telle rage. Les créatures qui venaient de fondre sur eux se donnaient entièrement au combat, sans la moindre retenue. Les fusils T-farad avaient beau crépiter de toutes parts comme la grêle tombant sur un toit, alors que les Atas, eux, n’attaquaient qu’au corps à corps, le combat n’était pas aussi déséquilibré qu’on aurait pu le croire. Si Tancrède comprit rapidement que cet affrontement serait une victoire pour les humains, il sut aussi qu’elle serait acquise de justesse et notamment grâce au soutien aérien des intercepteurs qui pilonnaient les rangs adverses sans relâche.

De violents, les combats se firent frénétiques. Tancrède et Liétaud se déchaînaient. Leurs exos se retrouvèrent rapidement couverts d’éclaboussures violettes, couleur du sang de leurs ennemis. Ceux-ci se déplaçaient à une vitesse stupéfiante par bonds de plusieurs mètres, maniant avec une dangereuse efficacité leur lance. Les étranges lames blanches fichées à leur extrémité s’avéraient même capables d’entamer le carbone-semtac. Pourtant, ce matériau pouvait théoriquement résister aux armes blanches et aux impacts balistiques traditionnels, ainsi qu’absorber la plus grande partie d’une décharge T-farad. Or, ces lames dépourvues de reflets l’entaillaient sans la moindre difficulté. Cette propriété, alliée à l’exceptionnelle vitesse de déplacement des guerriers atamides, faisait des ravages dans les rangs croisés. Peu à peu, les hommes se reprirent et, comprenant qu’il fallait à tout prix éviter les corps à corps, s’efforcèrent d’abattre les Atas au moment où ils prenaient leurs appuis, entre chaque bond.

Occupé à batailler sur sa gauche, Tancrède ne vit pas venir un Ata sur sa droite qui le fit choir de sa monture en le percutant à l’apogée de son bond. Les deux guerriers roulèrent ensemble au sol et l’Atamide se retrouva au-dessus de Tancrède. La créature se redressa vivement, prête à frapper de sa lance. Dans un réflexe salvateur, le lieutenant déchargea son T-farad à bout portant, arrachant le bras armé du guerrier. Celui-ci poussa un hurlement de douleur, tandis que le flux violet qui s’échappait de la blessure aspergeait son adversaire. Cela ne l’empêcha nullement de riposter de son bras valide et l’arme de Tancrède vola à son tour dans les airs.

Alors, le monstre ouvrit une gueule effrayante garnie de crocs, mordit Tancrède à l’épaule, puis secoua violemment de droite à gauche, à la manière d’un squale. Tirant en arrière d’un coup sec, il parvint à arracher plusieurs plaques de l’exo. L’épaule du Méta-guerrier se retrouva presque à nu, couverte uniquement du mince isolant thermique du WN. Il éjecta alors la lame ionisée de son avant-bras gauche et, d’un geste à la fois précis et puissant, la planta de bas en haut dans le crâne du monstre qui s’effondra aussitôt.

Sans attendre, il poussa de côté le corps inerte puis se releva en titubant, secoué par l’intensité du combat qu’il venait de livrer. Après un an et demi passé à ne pratiquer que des entraînements en sim-mort, se retrouver couvert du sang de ses ennemis s’avérait assez perturbant. Pour lui, donner la mort, même à des monstres, n’était plus aussi simple qu’autrefois… Arrête ! hurla-t-il intérieurement. Un champ de bataille n’était pas l’endroit idéal pour les problèmes de conscience. Il fallait juste assurer sa survie et celle de ses hommes.

Il héla Engilbert qui passait près de lui :

« Répartiteur ! Les pertes ?

— Huit morts, mon Lieutenant. Et au moins sept blessés sérieux, dont un avec des signes vitaux critiques ! »

Quinze soldats hors circuit en moins de dix minutes.

Le pilonnage des intercepteurs semblait se rapprocher. Tancrède comprit soudain qu’ils allaient se retrouver dessous.

« Il ne faut pas rester ici, on se déplace vers les rues de la ville ! ordonna-t-il sur le canal de son unité. Que ceux qui le peuvent prennent les blessés avec eux. Toute la 78 avec moi ! »

À ce moment, Liétaud arriva près de lui, toujours sur son méca-perch.

« Monte ! » lança-t-il à son lieutenant.