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Soulagé de ne pas avoir à compter son ami parmi les morts, Tancrède sauta en croupe derrière Liétaud. Quelques instants plus tard, le plus gros de l’unité entrait dans la ville atamide. Ils passèrent sans s’arrêter entre deux rangées de grandes colonnes ornées de bas-reliefs – l’une des entrées de la cité – puis se regroupèrent dans une ruelle. À l’extérieur, la zone où ils se trouvaient cinq minutes plus tôt était ravagée par une pluie de bombes à double-sphère.

« Enfoirés de pilotes, cria un homme, si on avait été encore là, ils n’auraient pas fait de détail ! »

Des centaines – des milliers peut-être – d’Atamides venaient de périr sous les bombes. Le souffle des déflagrations parvint jusqu’aux hommes de la 78, et un silence étrange le suivit. Le calme des rues désertes contrastait avec le fracas des combats qui continuaient au loin. Pas âme qui vive, la population avait dû fuir avant la bataille. Des objets et débris divers jonchaient le sol, comme si l’exode avait été précipité.

De loin, Tancrède avait eu l’impression d’une architecture sommaire, or ce sentiment était complètement démenti par ce qu’il découvrait sur place. Pavées de pierres plates à la texture mate, les rues réfléchissaient peu la lumière solaire, tandis que les murs des maisons étaient faits d’un torchis scintillant, comme s’il contenait des paillettes d’un minéral très brillant. En l’observant, Tancrède constata que ce matériau générait des reflets irisés, comme la nacre. Mais ces irisations étaient contrôlées, elles composaient des dessins, des motifs qui s’animaient lorsqu’on se déplaçait. Les images se mettaient à vivre, montrant des scènes stylisées de la vie des Atamides, ou des effets abstraits purement décoratifs.

La plupart des portes et des fenêtres possédaient des formes irrégulières, mais les délicates gravures qui les entouraient contrebalançaient cette apparente rusticité. Semblables à de l’écriture, ces motifs s’entrelaçaient avec des représentations stylisées de la nature ou de créatures inconnues. Ils étaient incrustés de pierres de multiples couleurs aux propriétés réfléchissantes variées.

Avançant dans les rues, toute l’unité découvrait, bouche bée, les finesses architecturales des lieux.

Toujours en croupe derrière Liétaud, Tancrède était si intrigué par ce qu’il voyait qu’il en oublia presque l’opération dans laquelle il était engagé. La surprise n’en fut que plus intense lorsque des guerriers atas jaillirent de tous côtés, par les portes et les fenêtres des habitations environnantes, en poussant d’horribles cris de guerre.

« Par le Christ ! s’écria Tancrède. Engilbert ! Demande des renforts sur le canal général ! »

La 78e I/C avait déjà perdu beaucoup d’hommes. Ils ne pourraient faire face à ce nouvel assaut sans aide.

Afin d’éviter un Ata en furie, Liétaud cabra son percheron et abattit les sabots de devant sur la créature. Le monstre comprit la manœuvre trop tard et 450 kg de métal l’écrasèrent dans un bruit écœurant. Tancrède se laissa glisser au bas de la monture et ouvrit une trappe située dans les flancs. Maintenant qu’il avait perdu son T-farad, il lui fallait une autre arme. Alors qu’il allait prendre l’arme de poing dans le rangement latéral, il changea brusquement d’avis. Il saisit le bouclier anti-émeute de Liétaud, puis dégagea totalement le manche de la lame ionisée de l’avant-bras de son exo. En tournant la molette située au niveau du pouce, il sélectionna rapidement la forme de lame qui lui convenait parmi toute une bibliothèque de profils : une épée « bâtarde ». Les lames ionisées des WN étaient polymorphes, c’est-à-dire constituées de polymères recombinants capables de se restructurer à volonté. Celle de Tancrède se dilata aussitôt jusqu’à atteindre la taille d’une épée à deux tranchants.

« Que fais-tu, malheureux ? lui cria Liétaud. Tu ne vas quand même pas te battre à l’épée ? Prends mon automatique !

— Non, tu en auras besoin ! Ne te tracasse pas pour moi ! »

Tancrède avait toujours aimé le combat à lame ionisée, peut-être parce que cela ressemblait davantage à l’ancien art de la guerre que des rafales T-farad. D’autant que ces ennemis-là se battaient au corps à corps, eux !

Allez, il ne faut pas faiblir ! se dit-il à lui-même. Tu es là pour combattre !

Prenant une profonde inspiration, il se rua dans la mêlée au cri de « DIEU LE VEUT ! »

Il écrasa la face d’un Atamide sous son bouclier, lui faucha les jambes de son épée, bondit ensuite sur le dos d’une créature qui s’apprêtait à frapper l’un de ses hommes, puis d’un coup de pommeau sur la nuque l’envoya au sol avant de lui passer son épée au travers du corps. Sentant le souffle d’une de ces étranges lames blanches passer près de sa tête, il se laissa tomber pour esquiver, roula en arrière, percuta les jambes de son nouvel adversaire qui chuta à son tour sur les pavés. Puis, à la fin de son mouvement, il abattit sa lame. Sentant celle-ci pénétrer profondément dans les chairs, il ne prit même pas le temps de vérifier si son assaillant était passé de vie à trépas et se jeta sur un nouvel adversaire.

La mort se multiplie sous ses coups et dévore plusieurs victimes à la fois[2].

Tancrède sentit une certaine désorganisation s’emparer des rangs ennemis. Nul ne savait utiliser les servomoteurs du Weiner-Nikov comme lui et, rapidement, les Atas eurent l’air décontenancés par la vitesse des déplacements, la puissance et la précision des coups de cet homme qui, comme eux, se battait à l’arme blanche. La flamboyance de Tancrède redonna de la vaillance à ses soldats qui luttaient maintenant avec une ardeur renouvelée et bientôt, les guerriers atamides reculèrent, semblant hésiter. Puis, apparemment sans concertation, ils optèrent tous en même temps pour le repli et s’enfuirent en quelques instants par les ruelles tortueuses des faubourgs. Les combats cessèrent aussi brusquement qu’ils avaient commencé.

Les hommes n’eurent même pas le cœur à crier victoire, ils étaient exténués. La plupart d’entre eux comprenaient qu’ils avaient échappé de peu à un massacre. À ce moment, tous entendirent sur le canal général : « 78e unité I/C, nous vous envoyons un détachement de la 3e escadre de chevaliers ! Tenez bon ! »

Liétaud partit alors d’un grand éclat de rire, dû autant à l’absurdité de ce renfort désormais inutile qu’au soudain relâchement de la tension accumulée durant le combat.

En revenant à la Nouvelle-Jérusalem, l’unité de Tancrède ne comptait plus que cinquante-huit hommes, dont une dizaine de blessés sérieux. Sur douze morts, seuls sept corps avaient pu être ramenés, les cinq autres ayant été vaporisés dans le bombardement des intercepteurs.

L’armée croisée avait – comme prévu – gagné la première bataille. Cependant, les pertes enregistrées, nettement supérieures aux prévisions, ternissaient quelque peu l’éclat de la victoire.

Dès qu’il se fut assuré que ses blessés avaient été admis dans les hôpitaux du camp, Tancrède se hâta vers les quartiers des Amazones. Partout, les hommes et les femmes qu’il croisait avaient le visage défait. Même pour ceux des soldats qui avaient déjà plusieurs campagnes à leur actif, se battre au corps à corps était une nouveauté. Il y avait beaucoup de différences entre mater une rébellion en zone urbaine en tirant de loin au viseur HUD et se retrouver submergé par une marée d’ennemis furieux qui cherchent à vous empaler sur leur lance.

Le quartier des Amazones n’était plus qu’un immense atelier de réparations à ciel ouvert. Des dizaines de bipèdes de combat s’étalaient entre les baraquements, la plupart endommagés, attendant qu’un tech vienne s’en occuper. Des bâches tendues à l’improviste permettaient aux Amazones qui attendaient leur tour de se protéger du soleil, pourtant déjà déclinant.

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2

Tous les astérisques qui suivent signalent des citations de « La Jérusalem délivrée » du Tasse dans sa traduction originelle de Charles-François Lebrun (1774).