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Tancrède trouva Clorinde devant son RK, penchée au-dessus de la carcasse ouverte, visiblement décidée à essayer de le réparer elle-même. Se redressant à l’approche de Tancrède, elle chassa d’un revers de main la sueur sur son front, le maculant au passage de cambouis.

« Mon amour ! s’exclama le lieutenant d’infanterie. Te voilà bien vivante et en un seul morceau ! »

Il était si soulagé qu’il la serra dans ses bras en ignorant les regards courroucés des surveillantes et les rires des soldates.

« Oui, lui répondit-elle, je suis vivante. Et à la façon dont tu me serres, je vois que toi non plus, tu n’as pas été blessé ! »

Surpris par le ton de la jeune femme, il s’écarta d’elle.

« Que se passe-t-il ? Tu sembles de mauvaise humeur.

— La bataille ne s’est pas déroulée comme je l’espérais. Nous avons été mises de côté. Tenues à l’écart des véritables combats. Nous sommes restées sur la zone de la première attaque des Atamides sans avoir le droit de suivre la progression du front. Nous ne sommes même pas entrées dans la cité ! »

Tancrède comprit aussitôt ce qui avait dû se passer.

« Je crois que le commandant en chef des opérations sur Akya n’aime pas trop le corps des Amazones. Je suppose qu’il a jugé que la bataille était trop sérieuse pour mettre des unités féminines en première ligne…

— Qu’il vienne donc me le dire en face ! fulmina Clorinde. Et je lui montrerai comment se bat une Amazone ! Nous valons largement n’importe quel soldat mâle !

— Je sais, calme-toi, répondit Tancrède, embarrassé par ce brusque emportement. Je n’ai pas dit que je partageais cet avis, simplement qu’il était probable que Villeneuve-Cassaignes ait pensé cela. »

La guerrière parut se radoucir un peu.

« Tu as raison, admit-elle. Pardonne-moi, mais cette situation m’a rendue furieuse. »

De dépit, elle jeta la clé torique qu’elle avait à la main dans la caisse à outils qui béait à ses pieds.

« Et ces damnés techs, qu’attendent-ils pour venir s’occuper de moi ? »

Partout autour d’eux, des inermes couraient d’une Amazone à l’autre pour les tenir informées des prévisions d’attente. Leurs maîtres, les techs spécialisés, travaillaient d’arrache-pied pour remettre en état les bipèdes de combat, mais la tâche était immense et leurs effectifs limités.

« Nous, nous sommes entrés en ville, reprit Tancrède. Et j’y ai laissé beaucoup d’hommes…

— Oh, je suis désolée. C’est évident que le plus important est d’être encore en vie, pas d’être resté à l’arrière. »

Elle se redressa brusquement et pointa un doigt accusateur sur lui.

« D’ailleurs, j’ai vu sur l’Intra que tu t’étais distingué en combattant à l’épée ! Quelle mouche t’a piqué de prendre un tel risque ?

— Comment ? balbutia-t-il. Je suis passé sur l’Intra ? Mais comment ont-ils…

— Ne change pas de sujet ! Et si moi je décidais de combattre avec une main dans le dos ou les yeux bandés, cela te plairait-il ?

— Je… euh, ce n’est pas la même chose…

— C’est exactement pareil. J’aurais pu te perdre à cause de cela !

— Oui, c’est vrai, reconnut-il. C’était risqué. Mais je n’avais plus mon T-farad et j’ai fait ça spontanément, sans raison particulière. » Il lui sembla que la contrariété de Clorinde n’était pas due seulement au risque qu’il avait couru, mais peut-être aussi à une pointe de jalousie.

Préférant changer de sujet, il entreprit de lui raconter comment il avait été impressionné par ce qu’il avait vu dans la ville atamide, à quel point les constructions s’y étaient avérées élégantes et harmonieuses. Qu’un simple faubourg soit si beau laissait supposer que la capitale recelait quelques merveilles architecturales. Certes, les guerriers atas étaient des monstres effrayants – il était bien placé pour le savoir –, mais il ne parvenait pas à croire qu’ils se réduisaient à cela. Des bêtes sauvages ne se donneraient pas la peine de bâtir de telles cités. Peut-être les autres castes étaient-elles très différentes ? Peut-être les sages ou les ouvriers qu’on leur avait décrits durant les cours dispensés sur le Saint-Michel avaient-ils un goût prononcé pour la beauté ?

« Comment peux-tu tenir des propos aussi insensés ? coupa soudain Clorinde. Dois-je te rappeler que les créatures raffinées dont tu parles ont tué dix de tes hommes ? »

Tancrède, surpris par cette virulence, resta muet.

« Je t’accorde que l’on peut trouver une certaine beauté aux architectures primitives, continua-t-elle sur un ton un brin condescendant, mais cela ne doit pas faire oublier la sauvagerie de ces monstres. Enfin, tu les as vus comme moi, non ? Ce sont des démons ! Ces suppôts de Satan ont massacré les chrétiens de la mission de colonisation. Ces larves rampantes souillent de leur présence le tombeau de notre Rédempteur ! Et toi, tu te perds dans des considérations esthétiques sur leurs habitations ! »

Comprenant soudain qu’elle allait trop loin, la jeune femme s’interrompit, la lèvre inférieure légèrement tremblante.

Tancrède ne dit pas un mot. Que la femme qu’il aime puisse exprimer tant de conservatisme, déverser tant de haine, cela le chagrinait. Ces paroles ressemblaient trop au discours prémâché servi constamment sur les canaux média. Il ne parvenait pas à comprendre pourquoi elle réagissait aussi violemment, elle valait mieux que cela. Peut-être avait-elle peur qu’il ne retombe dans ses anciens travers, qu’il ne recommence à penser en contestataire ? Pourtant, ce qu’il venait de lui confier n’avait rien à voir avec un quelconque esprit de rébellion. Ses réflexions découlaient d’un sentiment plus profond. Même lui ne comprenait pas très bien ce qui le poussait à se poser encore et toujours ce genre de questions, mais ce n’était pas comme avant. Ce n’était pas simplement une révolte contre un système qui l’avait déçu, ce n’était pas juste le désir de redresser des torts.

De toute manière, quelles que soient ses raisons, elle ne devrait pas réagir ainsi.

Alors que Tancrède, le visage fermé, ne trouvait toujours rien à répondre, un jeune inerme s’approcha d’eux et s’adressa à Clorinde :

« Pardonnez-moi de vous déranger, madame, lui dit-il avec la mine de quelqu’un qui a une mauvaise nouvelle à annoncer. Mon maître, le tech spé-RK Huguedon, m’a demandé de vous prévenir qu’il lui sera impossible de s’occuper de votre bipède avant une heure. »

Le malheureux ne pouvait évidemment pas deviner à quel point il tombait mal. La réaction de l’intéressée fut immédiate. La colère de l’Amazone explosa au visage de l’inerme qui dut subir une longue série d’invectives. Il n’osa ni répondre ni même partir tant que la jeune femme n’en avait pas terminé avec lui. Un classe zéro ne tourne pas le dos à un soldat qui lui parle.

Tancrède était terriblement gêné. Ne pouvant supporter de voir Clorinde se comporter ainsi plus longtemps, il l’interrompit dans sa diatribe avec brusquerie :

« Je dois y aller. Nous nous verrons plus tard. »

Puis il se détourna et partit. Pendant quelques mètres, il crut que la jeune femme allait le rappeler, mais elle n’en fit rien. Il n’aurait su dire s’il préférait cela ou pas.

Toutefois, il regrettait déjà d’être parti de cette manière.

Lorsque Tancrède quitta les lieux, Clorinde resta bouche bée, oubliant l’objet de sa colère. L’inerme en profita pour décamper.