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Bien entendu, Yus’sur ne protesta en aucune manière lorsque je lui exposai mon plan. Tout ce qu’il fallait faire pour aider la cause, il était prêt à le faire, même s’il semblait considérer que toute cette agitation ne rimait pas à grand-chose.

Je me creusai la tête un long moment afin de déterminer la meilleure chaîne de fonctionnement puis arrêtai finalement mon choix sur une connexion avec palpeurs bloqués en « signal sortant ». L’électroencéphalogramme de Yus’sur pourrait être lu par le pupitre, mais en aucun cas le pupitre ne pourrait lui envoyer de signal. Ainsi, il n’y avait plus aucun risque de gelée cervicale. L’inconvénient de ce mode de fonctionnement, c’était qu’on ne pouvait pas pupitrer. L’Ancien ne verrait rien. Je me chargerais donc d’intercepter le signal entrant en provenance du Nod2 afin de visualiser sur écran ce que Yus’sur aurait dû voir, puis de lui indiquer à voix haute ce qu’il devait faire. Ce serait aussi simple que d’aider un aveugle à traverser un champ de mines en le guidant par radio, mais nous n’avions pas le choix.

« C’est prêt ! » lança enfin Pascal après que le dernier câble eut été connecté.

Je proposai à Yus’sur de lui allumer quelques Uk’tis afin de l’aider à réduire la fréquence de ses ondes cérébrales comme avec Tan’hem. Le vieil Atamide déclina la proposition.

« Voyons si je suis capable de moduler mon esprit sans cette béquille », pensa-t-il.

J’acquiesçai en silence, concentré sur le placement des palpeurs sur son crâne, puis m’assis à ses côtés.

« Êtes-vous prêt ? » demandai-je d’une voix enrouée.

Mon cœur battait un peu trop vite.

« Je le suis. »

Je me tournai vers Silvio.

« Combien ?

— Ondes bêta à soixante-trois hem là-haut. C’est trop fort », répondit-il.

Je me retournai vers l’Ancien.

« Yus’sur, pouvez-vous vous efforcer de…, commençai-je.

— Cela convient-il mieux ? m’interrompit-il.

— Quarante-deux hertz ! s’exclama Silvio. Et ça descend encore ! »

Le vieil Atamide avait de la ressource. Contrairement au « jeune » Tan’hem, il contrôlait sans difficulté la fréquence de ses ondes cérébrales !

« Encore un effort, Yus’sur, et ce sera bon… voilà ! Quinze hertz, ne changez rien ! »

La demande d’accréditation du Nod2 apparut sur l’un des écrans du pupitre. Le premier pas était fait.

« J’ai un signal clair, fit Hermand. Pour l’instant, je suis en mesure de récupérer tout type de données. »

Cela signifiait que nos écrans affichaient ce que Yus’sur aurait dû voir directement dans son esprit grâce aux palpeurs s’ils n’avaient pas été bloqués en « signal sortant ». Jusque-là, tout était normal. La suite de la procédure habituelle du hack consistait à pénétrer dans le Nod2 en nous faisant passer pour des pupitreurs accrédités. Mais cette fois, pas question d’entrer par la grande porte.

« Comment vous sentez-vous ? demandai-je à l’Ancien. Percevez-vous quelque chose à… (je ne savais même pas quoi lui demander)… à quoi vous raccrocher ? »

L’Atamide remua la tête lentement.

« Je ne sais pas…, pensa-t-il d’une voix mentale troublée. Je viens de lancer mon esprit en avant et… j’ai en effet rencontré quelque chose…

— Quelque chose… ou quelqu’un ? fis-je, inquiet à l’idée qu’il soit tombé par erreur sur l’esprit d’un pupitreur, là-haut.

— Ni l’un, ni l’autre… Je n’ai jamais rencontré quoi que ce soit de semblable. Cela parait à la fois très simple et très puissant… »

Je dois dire que je fus davantage impressionné par le trouble visible de l’Ancien, lui qui demeurait imperturbable en toute circonstance, que par le caractère mystérieux de sa réponse.

« Je me lance », fit-il simplement.

Sur l’écran du pupitre, la pré-interface du Nod2 disparut subitement. Un nuage de parasites la remplaça. De la neige, du bruit, on pouvait appeler ça comme on voulait, mais ce n’était plus des données exploitables.

« Signal perdu ! » lança Pascal qui suivait la scène sur l’écran du terminal d’Hermand.

Il fit le tour des tables précipitamment en suivant les câbles de la main.

« Tout est branché ! Même si la porteuse avait lâché, on devrait avoir un signal !

— EEG en augmentation rapide ! cria Silvio.

— Aligne-toi sur la nouvelle fréquence ! dis-je fébrilement à Hermand. Il a dû entrer en contact avec…

— Avec quoi ? s’exclama Robert. Il est tombé par erreur sur un pupitreur du Saint-Michel, puisqu’on a que dalle. Les palpeurs devraient…

— Si, il a raison, ça marche ! coupa Hermand. J’ai à nouveau un signal ! Calé sur… deux cent soixante-dix hertz !

— Bon Dieu, tant que ça…, souffla Robert. Le pupitre du Diamant devrait couper une connexion si élevée !

— Sauf si ce signal ne vient pas du pupitre…, dit Pascal avec lenteur.

— Est-ce exploitable ? demandai-je, circonspect en découvrant les explosions de couleur abstraites qui venaient d’apparaître sur l’écran du pupitre.

— Euh…non, marmonna Hermand, déçu. Ça n’a aucune structure reconnaissable. C’est un flux informatique, aucun doute là-dessus, mais c’est inexploitable.

— Jamais vu un truc comme ça, fit Robert. Pourtant, tous les langages les plus récents sont en mémoire dans le pupitre. Même les codages militaires ! »

Un bref moment de silence passa, contrastant avec la minute frénétique qui venait de s’écouler. Des ondes bariolées saturaient l’écran du pupitre bioStruct, tels les fantômes colorés qui se forment sur la rétine lorsqu’on ferme les yeux de toutes ses forces. Soudain, Pascal s’écria :

« Allez, les gars, on doit chercher ce que signifie cette bouillie d’octets ! Bougez-vous le cul pour décrypter ça. Si c’est de la bio-info, on doit pouvoir le comprendre ! »

Je me rapprochai de l’Ancien et lui demandai doucement :

« Yus’sur, parlez-moi. Qu’avez-vous fait ?

— Je me suis lancé, répondit-il en pensée. J’ai essayé de prendre contact et… je suis arrivé ici.

— Ici ? fis-je, décontenancé.

— Oui, ici. Je n’ai jamais vu cela. Je suis en résonance avec quelqu’un, c’est une certitude. Je reconnais les harmoniques. Mais c’est aussi un endroit. Un endroit fascinant. »

Si cela était possible, mon cœur accéléra encore.

« Bon sang, avec les palpeurs bloqués, vous ne devriez rien voir. Peut-être que ça marche alors ! fis-je, la voix vibrante d’espoir. Peut-être que vous êtes entré dans le Nod2 sans passer par…

— QUE TOUTES LES PIERRES D’AKYA M’ENSEVELISSENT ! »

Je sursautai. C’était la première fois que j’entendais un Atamide crier mentalement. Cela faisait un drôle d’effet. D’ailleurs, tout le monde dans la pièce s’était retourné vers nous brusquement.