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En tournant la tête sur ma droite, je vis un Atamide flotter à côté de moi. Un Atamide jeune et vigoureux qui me dévisageait en souriant.

« Yus’sur ? Est-ce vous ?

— Bienvenue, Albéric », répondit-il simplement.

Je compris alors que l’Atamide que je regardais n’était qu’une représentation de l’Ancien assis à mes côtés dans le monde réel. C’était Yus’sur tel qu’il se voyait lui-même, probablement avec l’apparence qu’il avait étant jeune. Je me fis la réflexion que lorsque je pensais à moi-même, il ne se formait jamais dans mon esprit une image très précise de mon apparence, mais plutôt une sorte de mélange indéfini de plusieurs âges, une version idéalisée de moi-même en quelque sorte. Manifestement, il en allait de même pour l’Ancien. Il semblait déborder de vie et d’énergie, il rayonnait. Rien à voir avec le vieillard chenu du monde réel.

Soudain, je me demandai depuis combien de temps j’avais basculé dans les perceptions de Yus’sur. Dix secondes ou dix minutes ?

« Yus’sur, pouvez-vous me laisser entendre ce qui se passe dans le…monde réel en même temps que ce qui se passe ici ?

— Bien sûr. Je peux aussi le faire pour ta vision.

— Non ! Non merci. Juste l’ouïe, ce sera suffisant. »

Je ne voulais même pas essayer de mélanger les deux visions, j’étais sûr que cela s’avérerait trop déstabilisant. Le bruit de fond des cavernes me revint aux oreilles, juste à temps pour entendre :

« … béric ? Albéric ? Que se passe-t-il ? Albéric, tu m’entends ? »

C’était la voix de Pascal.

« Tout va… » Je dus m’éclaircir la voix. « Tout va bien, répondis-je enfin. Tu ne vas jamais me croire, mais je suis dans l’Infocosme. J’y suis pour de bon !

— C’est impossible ! » s’écria quelqu’un derrière moi.

Il me semblait que c’était Robert Longwy.

« Si c’est impossible, alors où suis-je ? »

Comme personne ne répondait, j’enchaînai rapidement.

« Écoutez les gars, je ne sais pas exactement ce qui m’arrive, mais ce dont je suis sûr, c’est que nous ne pouvons nous payer le luxe de nous poser des tas de questions maintenant. Le temps presse, je vous le rappelle. Nous mesurerons plus tard les implications de ce qui est en train de se passer, pour le moment, nous avons toujours le même objectif. »

Pascal réagit aussitôt.

« Albéric a raison ! Il est dans l’Infocosme, point barre ! Continuez à essayer d’interpréter ce foutu flux informatique que déverse la connexion de Yus’sur. Sans cela, ils auront beau être là-bas, on n’en sortira rien ! »

Je savais que je pouvais compter sur Pascal pour gérer l’équipe au Chaudron dans l’urgence. Je me concentrai donc sur l’expérience que je vivais.

Au loin, bien au-delà des replis de l’espace que j’observais dans mon environnement immédiat, je distinguai une forme blanche dont les dimensions excédaient tout ce que je pouvais voir. C’était sans aucun doute l’Arbre central. Décidément, tout ici était semblable à l’Infocosme officiel, mais rien n’était strictement identique. J’avais l’impression de flotter au cœur d’une variante plus organique qu’informatique.

Bien que cette version fût plus belle, elle était aussi plus inquiétante. D’une certaine manière, presque effrayante. Tout paraissait tellement vivant ici que j’imaginai soudain qu’une brusque contraction musculaire des parois allait m’écraser. Je chassai aussitôt cette idée stupide pour demander à Yus’sur :

« Et maintenant ? »

L’Ancien me sourit.

« Maintenant que nous sommes là, visitons. »

Il me prit par la main et nous plongeâmes vers le « bas ». Même si la sensation de chute fut incomparablement plus forte que lorsque j’étais connecté au pupitre, ce n’était pas très différent. Avec un peu d’entraînement, je me dis que je pourrais me déplacer ici sans trop de difficulté. Yus’sur se débrouillait comme un poisson dans l’eau.

En nous approchant des champs de données, je remarquai des cubes d’accès, comme dans l’Infocosme normal. Toutefois, il n’y avait pas le moindre pupitreur autorisé à l’horizon. Nous étions seuls. Je compris alors que nous nous trouvions sur un autre plan de la représentation informatique, un « Infocosme parallèle » en quelque sorte. Nous étions des fantômes, de purs esprits traversant les espaces du Nod. Si nous attendions assez longtemps devant un champ, nous finirions probablement par voir un brin de données s’étirer tandis qu’un pupitreur y accéderait, mais sans voir ce dernier. Au même endroit, au même moment, mais pas sur le même plan de réalité informatique.

Cette constatation avait une conséquence importante : plus aucun pupitreur à l’horizon, pas le moindre surveillant, ni même de simple entité accréditée, et surtout… plus de cerbères ! Les zones noires devenaient aussi faciles d’accès qu’un jardin public ! Elles n’existaient d’ailleurs probablement pas de ce côté-ci de la réalité infocosmique. Les données étaient organisées d’une manière très différente.

Le sol approchait à toute allure. Yus’sur redressa sa trajectoire et nous passâmes en rase-motte au-dessus des prairies virtuelles, frôlant les brins de données. L’image du jeune Atamide irradiait une joie sans retenue.

« C’est fabuleux ! disait-il. Cela ressemble tant aux descriptions de la Conscience Globale que faisaient les Anciens ! La quantité d’énergie psychique contenue ici est stupéfiante, peut-être même plus grande que celle que recelait la Conscience Globale elle-même. Voilà pourquoi je l’avais sentie arriver de si loin. Nous pourrions accomplir de grandes choses avec cet Infocosme, nous pourrions faire revivre la communauté des Anciens, nous pourrions…

— Je suis navré, Yus’sur, le coupai-je sans ménagement, mais nous n’avons pas le temps pour les spéculations. Nous devons à tout prix accomplir notre tâche !

— Ah… oui, bien sûr, tu as raison, mon ami. Que dois-je faire ?

— Nous devons trouver les secteurs mémoriels. C’est là que sont stockées toutes les données importantes.

— Les secteurs mémoriels ?

— Oui, les mém… euh, les souvenirs. Nous devons chercher les souvenirs ! »

L’Ancien changea brutalement de direction, m’entraînant avec lui vers une trouée dans une spirale de champs de données. Je lui agrippai la main de toutes mes forces de peur de lâcher prise.

« Bordel de merde ! entendis-je Pascal s’exclamer. Cette saleté ne veut pas se laisser approcher !

— Quel est le problème ? » demandai-je puisque mes perceptions optiques toujours court-circuitées par Yus’sur ne me permettaient pas de suivre ce qui se passait au Chaudron.

« C’est ce putain de flux ! s’exclama Pascal. On a beau le tourner dans tous les sens, ça ne veut rien dire. Ce sont des données, ça ne fait pas de doute. Des uns et des zéros qui nous tombent sur la gueule par paquets entiers ! Par contre, c’est du charabia. Aucun codage connu, aucun langage interprétable, aucun protocole reconnaissable. On ne peut rien faire avec ça ! »

Je m’efforçai de suivre ce qu’il me disait tandis que le décor irréel de l’Infocosme parallèle défilait à toute vitesse sous mes yeux.