Выбрать главу

« Du calme. Vous êtes toujours branchés sur la connexion descendante du Nod2, donc vous devriez voir ce que Yus’sur voit, puisqu’il a toujours les palpeurs sur les tempes.

— Oui, et alors ? fit mon ami, agacé de m’entendre énoncer des évidences.

— Si, comme je le crois, nous sommes sur un nouveau plan de “réalité infocosmique”, un plan développé par le Nod2 grâce à ses axones mutés, alors peut-être que sa façon de communiquer n’a plus rien à voir avec les protocoles utilisés par le pupitre… »

Je m’interrompis tandis que Yus’sur nous faisait exécuter une pirouette pour passer dans un entrelacs d’énormes racines d’un blanc laiteux.

Hermand se joignit au débat.

« Tu veux dire que le Nod réinvente une façon de communiquer.

— Je ne sais pas…, répondis-je, haletant. Peut-être est-ce encore plus simple que cela ?

— Plus simple ! intervint Pascal. Mais oui, peut-être même est-ce parce que c’est simple que nous sommes perdus ! Nous cherchons un codage ultra sophistiqué, alors que, si ça se trouve…

— Si ça se trouve quoi ? » demandai-je, me sentant diminué par mon incapacité à observer les faits et gestes de mes compagnons.

J’entendis des pas précipités sur ma gauche.

« Robert, bascule l’affichage en hexadécimal, ordonna Pascal.

— En quoi ? fit l’autre.

— En hexadécimal, imbécile ! T’as séché les cours d’histoire à l’université ? C’est une convention d’affichage des premiers âges de l’informatique qui permettait aux ingénieurs d’autrefois de programmer directement en langage machine. »

Puis, j’entendis un bruit de chaise bousculée.

« Ah, laisse-moi faire, s’exclama Pascal, ça ira plus vite ! Là, tu vois, il suffit de taper cette commande pour accéder aux registres de traitement de l’affichage et…

— Hé, je ne connaissais même pas ce module !

— Ah, les bio-informaticiens d’aujourd’hui…, grommela Pascal. Même pas fichu de connaître les entrailles de leurs machines. »

Un sifflement admiratif. Probablement Hermand.

« Il a raison. Ça marche !

— C’est donc ça, fit pensivement Pascal. Dans cet Infocosme parallèle, le Nod2 est reparti à zéro. Plus de surcouche logicielle complexe, ni de bibliothèque de méta-instructions, et encore moins de langage élaboré. Juste du binaire.

— Alors, nous sommes foutus ! lança Silvio. Une bouillie de langage machine, affichée en binaire ou en hexa-machin-chose, cela reste une bouillie. Sans protocole, on ne peut même pas savoir de quel type de données il s’agit.

— Ce qu’on peut être couillons ! s’écria Pascal. Que veux-tu que ce soit ? Le Nod montre quelque chose à Yus’sur, non ? Il lui montre et lui fait entendre l’Infocosme. C’est donc de la vidéo et du son ! Cherchez dans les bases de données quels protocoles de codage on utilisait à l’époque des premiers Nods. Si le nôtre est reparti de zéro, il doit se servir des instructions simples qui représentent le socle de sa mémoire-morte, mais dont plus personne ne se sert depuis un bon siècle.

— Misère, geignit Robert, nous voilà devenus archéologues ! »

Pendant ce temps, le décor dans lequel j’évoluais avec Yus’sur avait beaucoup changé. Désormais, nous survolions d’immenses artères où circulaient des globules lumineux. Elles se ramifiaient dans toutes les directions, lançant de longues extensions à perte de vue. Je n’avais aucune idée de leur taille puisqu’aucun point de repère ne m’était familier ici. Tout autour voletaient des nuées de vrilles multicolores qui s’assemblaient et se séparaient avec la brusquerie des bancs de poissons. De temps à autre, une vrille pénétrait violemment dans une artère, perforait un globule lumineux, ressortait de l’autre côté sa proie fichée sur sa pointe et partait se perdre au loin à la vitesse de l’éclair.

« Bon Dieu, fis-je pour moi-même. Jamais rien vu de pareil.

— De quoi parles-tu ? demanda Yus’sur.

— Pardon, je pensais à voix haute. Je me disais que je n’allais pas vous être d’une grande aide.

— Pourquoi donc ?

— Le problème est que cette version de l’Infocosme n’a que peu de rapport avec celle que je connais. Tout y est organisé différemment. Je suis incapable de vous dire si nous approchons ou pas des secteurs mémo… des souvenirs.

— Je ne connais pas ton Infocosme, Albéric. Mais moi, ce que je vois m’est assez familier. Cela ressemble beaucoup à l’esprit de quelqu’un. »

L’esprit de quelqu’un. Yus’sur n’aurait rien pu dire de plus excitant pour moi. Pour que tout cela existe, les axones mutants avaient dû développer un véritable système synaptique parallèle au cœur même du Nod. Si, comme le disait l’Ancien, ce système ressemblait tant à un véritable esprit, peut-être frisait-il l’intelligence ? Je n’avais pas le temps d’y réfléchir de manière approfondie, toutefois j’entrevoyais déjà qu’en lui laissant le temps ou même, en passant une seconde fois en phase sur-luminique, le Nod2 accéderait peut-être à la conscience. Perspective vertigineuse !

« J’ai quelque chose ! s’écria Hermand, interrompant mes réflexions. Je crois que j’ai une porteuse. C’est un codage à quatre mégabits par canal.

— Si peu ? fit Robert Longwy. Vache, ça doit être fichtrement ancien !

— Combien de canaux ? demanda Pascal.

— Douze. Six pour l’image et autant pour le son.

— Essaye de l’afficher.

— Entendu.

— On dirait que ça marche.

— Non, c’est flou.

— Ce n’est pas flou, fit Silvio. C’est juste dédoublé. Le Nod génère un signal différent pour chaque œil. Sur un écran, ça ne peut pas marcher.

— Voilà, c’est arrangé.

— Mais… c’est quoi ce truc ? »

À la façon dont Hermand avait dit cela, je sus qu’ils voyaient enfin la même chose que moi. Yus’sur nous avait arrêté devant un étrange assemblage de tores imbriqués les uns dans les autres qui glissaient lentement vers l’extérieur, comme pour s’éloigner, mais qui finissaient toujours par se réassembler dans un sursaut régulier survenant toutes les cinq ou six secondes.

Tout autour, de grandes formes molles se déployaient sur des hauteurs vertigineuses, comme un empilement d’énormes éponges sombres et inertes. Hormis l’assemblage central de tores pulsants, cette zone de l’Infocosme organique était étrangement sombre. Yus’sur montrait un visage stupéfait.

« Il y a un problème ? demandai-je à l’Ancien.

 Je ne m’attendais pas à cela, répondit-il. Je n’ai jamais vu une telle quantité de souvenirs. »

Je traduisis mentalement « souvenirs » par « données ». Un bioStruct contenait bien entendu infiniment plus d’informations qu’un cerveau humain normalement constitué. Nous étions donc devant le stockage central.

« Le talent mental d’un sage atamide ne lui permet pas vraiment de fouiller les esprits. Je ne peux que dialoguer par la pensée avec un être conscient. Il m’est très difficile de sonder des souvenirs. En venant ici, j’espérais que ces souvenirs seraient peu nombreux. Après tout, cela ressemblait tant à l’esprit d’un jeune enfant. Mais là, c’est impossible. Je ne saurais même pas par où commencer. Il y a bien trop de souvenirs ici. »

J’en aurais pleuré de rage et de déception.

« Vous ne pouvez vraiment rien faire ? demandai-je, la voix tremblante. Sonder au hasard ? Nous aurons peut-être de la chance. »