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La faille par laquelle la source s’épanchait en un mince filet d’eau avait été élargie de trente bons centimètres. Éparpillées par terre, sept pointes de burin mécanique émoussées révélaient la dureté de la roche à cet endroit, néanmoins, l’élément liquide coulait désormais à un débit soutenu. Si soutenu d’ailleurs, que la fissure dans le sol qui permettait à la source de repartir dans les roches s’avérait maintenant insuffisante. On pataugeait déjà dans cinq centimètres d’eau et les salles environnantes ne tarderaient pas à se trouver inondées si l’on ne faisait rien.

« Nom de Dieu, cette flotte va tout envahir ! »

Je n’essayais même pas de masquer ma consternation.

« Vous ne pouviez pas commencer par élargir l’évacuation avant d’augmenter le débit, non ? C’était trop vous demander de vous creuser un peu le crâne avant de faire de même avec la roche ?

— Euh, oui, Commandant, répondit l’un des ouvriers, penaud. On s’en est rendu compte après.

— Mon Commandant ! »

Cela m’était parfaitement égal que l’on me donne du « mon » commandant, mais j’avais envie de les enfoncer un peu. C’était mesquin, mais bon Dieu, ne pouvaient-ils pas réfléchir avant de commencer ?

« C’est malin, repris-je. Maintenant, vous allez devoir percer sous l’eau.

— Ce n’est pas un problème, mon Commandant, s’empressa de préciser Ancelin, soucieux de dissiper la mauvaise impression qu’ils venaient de produire. Ces outils sont étanches. Nous allons nous dépêcher et tout sera rentré dans l’ordre dans moins d’une heure. »

Je laissai passer un silence pour qu’ils ne s’en tirent pas aussi facilement.

« D’accord, les gars, allez-y. Mais plus de bêtise cette fois ! » Avant de partir, je leur lançai tout de même : « Et, bravo pour l’élargissement. Ce nouveau débit va considérablement nous simplifier la vie. »

Soulagés, ils me gratifièrent d’un salut nettement plus convaincant tandis que je quittai les lieux.

Même si je savais que je m’étais montré un peu dur avec eux, je ne pouvais m’empêcher de leur en vouloir pour leur négligence. Pourquoi fallait-il que ce soit toujours moi qui pense à tout ? Ce n’était pas tout à fait exact, bien sûr, mais j’étais parfois las que les autres se reposent autant sur moi pour trouver des solutions. J’aurais bien aimé, moi aussi, pouvoir compter sur quelqu’un de temps à autre, avoir quelqu’un à qui je puisse demander conseil. Tancrède. L’image de mon ancien ami venait de s’imposer à moi avec tant de soudaineté que j’en stoppai net.

Certainement pas, criai-je en mon for intérieur, s’il y a quelqu’un sur qui je ne peux pas compter, c’est bien lui !

Je repoussai l’image mentale d’un geste rageur.

Qu’il aille au diable, il m’a abandonné !

Abandonné.

Comme j’ai moi-même abandonné ma famille en désertant…

Le désespoir que je refoulais consciencieusement depuis quelques semaines me frappa de plein fouet. En organisant cette évasion, j’avais cru obéir à la conviction que l’armée ne nous rapatrierait jamais. J’avais sciemment détruit un avenir sans issue dans le but de m’en forger un autre, peut-être meilleur. Mais je me rendais compte maintenant que j’avais agi ainsi en grande partie à cause du dépit que Tancrède m’avait causé.

Tout s’embrouillait dans mon esprit. Je ne parvenais plus à déterminer si j’avais bien agi ou non. Une angoisse affreuse me taraudait l’estomac à l’idée que j’avais peut-être fait le mauvais choix. Je haïssais Tancrède et en même temps j’espérais le revoir un jour.

Désemparé, plus seul que jamais, je sentis soudain mes yeux humides. Heureusement, j’étais seul dans la pénombre d’un des boyaux de communication – personne ne devait voir le commandant Villejust en train de pleurer. Quoi qu’il en soit, ce n’était pas la peine de se raconter d’histoires, je ne parviendrais jamais à me faire à l’idée que je ne rentrerais pas sur Terre.

Et si nous nous rendions ?

Non, bien sûr. Nous serions immédiatement exécutés pour haute trahison. Aucune chance de pardon, aucun espoir à attendre de ce côté-là. La seule solution de retour était de contraindre l’état-major militaire à nous faire remonter à bord du Saint-Michel avant qu’il ne reparte vers la Terre.

Toutefois, j’avais beau essayer de me berner moi-même, je savais parfaitement que nous n’y remettrions jamais les pieds.

* * *

La caverne est plongée dans les ténèbres. Il fait froid.

Un feu crépite à quelques mètres. Il s’approche et entre dans la lumière.

Du sang. Sur lui !

Il est blessé !

Non, ce n’est pas le sien. D’ailleurs, ce sang est violet, cela ne peut être le sien.

C’est la vie de tes ennemis.

La Voix !

Chaque vie que tu prends te souille un peu plus.

Je dois bien me défendre ! Si je ne le fais pas, c’est moi qui vais mourir.

Silence.

Il s’approche du feu, se réchauffe à ses flammes.

Une douce chaleur caresse ses membres endoloris.

Il a l’impression de revenir à la vie.

Il présente ses mains au-dessus des flammes.

Ses bras sont parsemés de plaies et d’éclaboussures de sang violet séché.

Les stigmates de tes valeureux combats.

L’acidité de la Voix est telle qu’il recule d’un pas.

Dans une bataille, on se bat ! Si je cesse de combattre, je meurs !

Chaque vie que tu prends te souille un peu plus.

La Voix est glaciale. Même le feu ne parvient plus à le réchauffer. Il s’affole.

Il court droit devant lui dans la caverne.

Un courant d’air ! Peut-être la sortie ? Bientôt le soleil !

Il sera brûlant, mais même un brasier vaut mieux que cette obscurité glaciale !

Soudain il trébuche et tombe à genoux. Du sable. Il est dehors !

Pourtant, point de soleil, toujours la froidure, toujours les ténèbres !

Il lève la tête et distingue de pâles points lumineux. Des étoiles le fixent tels les yeux vides de milliers de cadavres jonchant les étendues froides de l’espace.

Chaque vie que tu prends décompose l’univers.

Mais je dois me battre ! Je suis fait pour cela !

Silence.

Il voudrait retourner à l’abri de la caverne, retrouver la chaleur du feu, mais il s’est aventuré trop loin, il ne sait plus comment revenir.

Il se laisse tomber au sol. Le sable est aussi glacé que la neige.

Pas un souffle de vent, pas un bruit. Ce monde est mort. Il l’a tué.

Je dois me battre ! En Son Nom. Il l’exige !

Il lève les bras et menace les astres morts de ses poings transis.

C’est une Guerre Sainte ! C’est le Tout-Puissant qui guide mes actes !

L’air est si froid qu’il ne parvient plus à respirer. Il étouffe.

Des volutes de brume l’encerclent, forment un linceul autour de lui.

Il voudrait se lever, mais toutes ses forces l’ont abandonné.

Il renonce, cesse de lutter.

Quel est donc ce Dieu qui crée la vie et commande ensuite de la détruire ?