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La voix de l’Ancien était douce, mais résignée.

« Je peux le faire, Albéric, mais cela ne mènera nulle part. » Je n’arrivais pas à le croire. Nous avions accompli un exploit hors du commun, une percée scientifique historique, et nous allions rebrousser chemin faute de pouvoir gravir la dernière marche. Une fois de plus, nous allions rentrer chez nous la queue entre les jambes, incapables d’apporter notre part à la bataille décisive qui allait probablement bientôt débuter à huit cents kilomètres d’ici. Non, décidément, je n’arrivais pas à le croire.

Ce fut à cet instant que nous entendîmes la voix :

[BONJOUR]

{qui_êtes-vous_ ?}

13 h 00

Les méca-percherons de Tancrède et Liétaud sont lancés à près de quatre-vingt-dix kilomètres-heure. À cette vitesse, ils parviennent au contact les premiers ; même les Atamides les plus rapides ne peuvent rivaliser.

Face à eux, c’est un détachement de cavaliers croisés qui se précipite à bride abattue. Sur les côtés, et aussi loin que peut porter leur regard, des milliers de soldats, à pied ou à méca-perch, se déversent dans la bande des trois kilomètres. Derrière eux, la marée atamide monte à l’assaut elle aussi. Ils savent que la même scène se déroule tout autour de la Nouvelle-Jérusalem. C’est l’Armageddon. Celui qui gagnera cette bataille gagnera la guerre.

Des dizaines d’impacts T-farad explosent au sol près des deux cavaliers. Ils ont les épaules tournées sur le côté afin de n’offrir qu’un minimum de surface aux tirs adverses. Tancrède tient l’une des poignées du méca de la main gauche et son épée de l’autre, pointée vers le haut et en arrière ; Liétaud a épaulé son fusil et tire déjà des salves à intervalles réguliers. Quelques charges T-farad les atteignent, faisant grimper la température dans leur WN. À chaque fois, ils font une embardée sur le côté afin d’éviter que l’adversaire ne puisse les verrouiller, puis enchaîner plusieurs salves en automatique.

La vue de ces milliers de soldats en exosquelette de guerre, bannières claquant au vent, se ruant dans la plaine noue l’estomac de Tancrède, mais sa détermination ne fléchit pas.

Soudain, c’est le choc. Les deux renégats pénètrent dans les rangs adverses comme un bélier défonçant une porte. Plusieurs fantassins, heurtés de plein fouet, sont projetés dix mètres en arrière. Quelques tirs fusent à nouveau vers eux, mais il devient difficile de les viser sans risquer de toucher un Croisé, et les armes se bloquent lorsque l’on cible un allié.

Tancrède abat son épée devant le premier cavalier qui parvient à son niveau. La lame ionisée défonce le garrot du percheron qui ploie aussitôt. Des arcs électriques jaillissent de l’entaille et se propagent sur la carcasse de la bête mécanique. Le cavalier tente de pointer son fusil vers Tancrède, mais celui-ci repousse son bras en relevant son épée et le coup part latéralement tandis que l’homme et sa monture s’effondrent dans le fracas général.

Liétaud n’est déjà plus visible ; la mêlée vient brusquement de se densifier. Un coup d’œil à l’arrière permet à Tancrède de comprendre : les Atamides sont arrivés au contact à leur tour, contraignant les premiers rangs croisés à stopper leur avancée tandis que la ruée des rangs arrière ne faiblit pas. D’ici peu, se déplacer en percheron de combat dans cette masse compacte sera impossible. Aussi, Tancrède extrait le bouclier anti-émeute des flancs de la monture et saute à terre.

Immédiatement, un Croisé lui décoche un puissant coup de pied dans le cou qui l’envoie culbuter sous les sabots d’un méca. Tancrède prolonge volontairement sa roulade afin de ne pas être piétiné, mais un sabot l’atteint aux hanches, écrasant le semtac et lui arrachant un cri de douleur. Il se relève. L’homme qui l’a frappé n’est déjà plus visible. Peu importe, lui ou un autre ! L’ex-lieutenant lève son bouclier pour parer le coup de crosse d’un fantassin, puis frappe de son épée à la cuisse. La lame s’enfonce dans le semtac et du sang gicle. Tancrède extrait son épée. L’homme s’écroule. Son hurlement de douleur est audible, même à travers son casque. Tancrède ne l’achève pas. Il a décidé qu’il mettrait autant que possible les Croisés hors de combat sans les tuer. Il sait que c’est hypocrite, qu’aujourd’hui des milliers d’hommes, des centaines de milliers peut-être, vont perdre la vie par sa faute, mais il n’y peut rien. S’il peut éviter de tuer, il le fera.

« Front ouvert, énonce froidement la voix de la solution tactique dans le casque de Tancrède. Quatre-vingt-trois pour cent des troupes engagées – Difficultés en secteur 4-6-K, terrain instable – Difficultés en secteur 3-4-H, mortalité anormalement élevée – Difficultés en sect… »

D’un battement de paupière sur son HUD, Tancrède désactive le retour son du centre opé. Les binômes sont là pour s’en occuper.

Un mouvement de foule l’entraîne vers l’arrière. Il se retrouve ramené au milieu des Atamides. Les guerriers se battent comme des diables, leurs longues lances tendues devant eux, les sabres et les poignards blancs battant l’air frénétiquement. Des images de la première bataille pour Uk’har lui reviennent en mémoire. À l’époque, la rage de combat des Atamides l’avait surpris, déstabilisé. Il se doute que beaucoup des Croisés qu’ils affrontent aujourd’hui ne les ont encore jamais combattus au corps à corps et qu’ils doivent ressentir la même peur.

Une série de salves T-farad s’abat soudain sur lui et sur les guerriers les plus proches. Des gerbes de sang atamide éclaboussent son casque, mais le champ d’infrasons qui le recouvre empêche le liquide violet d’accrocher, sans quoi il serait aveuglé. Il manque de tomber à la renverse, entraîné par les corps des guerriers déjà morts, puis parvient à se redresser et repart à l’assaut, l’épée haute et le bouclier devant lui.

Dans son casque, il entend toujours les messages de priorité A échangés entre les binômes et le terrain. Pour l’instant, ce ne sont que des ordres de déplacement. De part et d’autre, les troupes se mettent en place en fonction des premiers combats. Une bataille recèle toujours des points de force autour desquels les affrontements se structurent naturellement. Tancrède sait qu’il est au cœur de l’un d’eux.

Soudain, deux intercepteurs H6 passent dans un rugissement à trois cents mètres du sol. Ils laissent derrière eux une longue traînée de flammes. Des détonations lointaines parviennent aux oreilles de Tancrède. Les H6 ont eu le temps de larguer leurs engins de mort avant d’être touchés. Il se demande comment ils s’y prennent pour viser dans cette confusion. Aucune secousse sismique ne suit les détonations, cela signifie que les Croisés n’ont pas encore décidé d’utiliser des bombes à impulsion horizontale.

« Centre opé ! Centre opé ! beugle Tancrède dans son micro. Combien de sorties de H6 ? »

Un soldat surgit juste devant lui, braquant son T-farad droit sur son casque.

« Centre opé à Tancrède ! répond une voix dans son casque. Ici binôme treize ! »

En un éclair, Tancrède abat sa lame ionisée sur l’épaule gauche de son adversaire. Le carbone-semtac se brise, et les os en dessous aussi.

« Neuf intercepteurs sont sortis depuis le début, débite le binôme treize d’une voix précipitée. Cinq ont été abattus ! Je répète : neuf H6 sortis, cinq abattus ! »

Sans prendre le temps de ramener son épée à lui, Tancrède défonce les côtes de son agresseur d’un coup d’épaule.