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— Abruti ! Ils ont dû développer de nouvelles méthodes depuis la dernière décharge létale ! Ils ne sont pas aussi demeurés que vous ! »

Même si Harbert s’exprimait sous le coup de la colère, il n’était pas loin de la vérité. Depuis qu’il avait dû, après la spectaculaire évasion des inermes, remplacer ses pupitreurs les plus talentueux par des ingénieurs de l’armée, le niveau de compétence des équipes du Diamant avait terriblement baissé.

« Monsieur, certains axones nous envoient des relevés… euh, aberrants ! » glapit un autre pupitreur.

Harbert fit volte-face vers lui.

« Cela ne correspond à rien de connu ! continua le pupitreur sur le même ton. D’ailleurs… d’ailleurs, les axones qui… Seigneur, c’est incroyable !

— Quoi ? hurla Harbert, au comble de l’exaspération. Qu’est-ce qui est incroyable ?

— Les axones qui véhiculent ces signaux n’ont pas de numéro de série. Ils préemptent toute la bande passante des autres axones alors qu’ils ne sont même pas censés exister ! »

Harbert ouvrit la bouche dans l’intention de hurler de nouveau, mais aucun son ne sortit. La dernière phrase du pupitreur venait de provoquer un choc mémoriel dans son esprit.

Des axones qui ne sont pas censés exister…

Longtemps auparavant, une autre personne avait déjà évoqué quelque chose de semblable devant lui. Albéric Villejust, le petit génie du pupitrage qui se trouvait sous ses ordres pendant le voyage interstellaire avait découvert d’étranges ramifications sur certains axones du Saint-Michel. De nouvelles terminaisons nerveuses qui semblaient être apparues peu après l’activation du moteur Rœmer. Après un premier rapport qu’il avait jugé sans intérêt, Harbert lui avait interdit de continuer ses recherches sur le sujet. Or, on savait maintenant que Villejust avait fomenté la grande évasion des classe zéro en personne.

Et voilà soudain que les hackeurs exploitaient – on ne sait comment – ces nouvelles terminaisons afin de pénétrer dans le Nod et le faire tourner à plein régime ! Harbert réalisa que s’il n’avait pas rejeté la demande de Villejust, le problème posé par ces terminaisons aurait probablement été résolu depuis belle lurette. Il déglutit péniblement. Si cela se savait, il allait au-devant de graves ennuis.

« Toutes mes requêtes sont rejetées, Monsieur ! continuait le pupitreur devant lui. Je peux toujours accéder à l’Arbre central, mais mes accès ont été déclassés, ils ne sont plus prioritaires !

— Que… pouvons-nous faire ? gémit Harbert. Il doit bien y avoir une solution. Nous devons leur barrer la route… »

À présent, d’autres pupitreurs se manifestaient en signalant un problème. Sur la trentaine de bio-informaticiens travaillant au Pupitre central, plus de la moitié appelaient leurs cadres en urgence. Sur la plaque vidéo de sa propre console, Harbert voyait s’allumer un à un tous les signaux d’alerte que comptait le système. Dans les autres pupitres, visibles à travers les parois transparentes de la Salle de Gestion Globale, des cadres et des ingénieurs couraient en tous sens entre les postes. Un vent de panique soufflait sur le Diamant.

Figé par la peur, n’arrivant même plus à réfléchir, Harbert ne savait plus quoi faire. Il se laissa tomber lourdement dans son fauteuil, l’esprit en déroute.

13 h 48

[BONJOUR]

{qui_êtes-vous_ ?}

En entendant la voix, je crois bien que je poussai un cri de surprise.

Instinctivement, je tournai la tête en tout sens en pensant découvrir celui qui venait de parler, mais je ne vis personne. Bien qu’en apparence il fût toujours calme, Yus’sur semblait aussi stupéfait que moi.

« C’est vous qui venez de… ? » commençai-je.

Je m’interrompis aussitôt. Cette voix mentale ne pouvait être la sienne, je le savais. Lorsque les Atamides s’exprimaient dans l’esprit de leurs interlocuteurs, leur voix était personnelle et unique. On ne pouvait les confondre entre elles.

Or, celle que nous venions d’entendre n’avait aucune personnalité.

J’aurais été bien en peine de dire s’il s’agissait d’une voix d’homme ou de femme, si elle sonnait âgée ou jeune ou si elle possédait une intonation particulière. En fait, je n’étais même pas sûr que ce fut une voix. J’avais presque eu l’impression de recevoir un flux de données.

Nous flottions toujours devant les énormes éponges des secteurs mémoriels. Rien dans notre environnement immédiat n’avait changé à part les tores lumineux qui s’étaient brusquement écartés les uns des autres au moment où la voix mystérieuse avait tonné.

Je dis « tonner », car elle avait empli tout l’espace de l’Infocosme comme un coup de tonnerre. Toutefois, il n’y avait pas eu d’écho et mes tympans n’avaient pas souffert.

« Que faisons-nous ? » demandai-je à Yus’sur.

La version jeune de l’Ancien me regarda avec ses yeux noirs pendant un bref instant.

« Répondons, tout simplement. »

Il leva la tête, comme si celui à qui il s’adressait devait forcément se trouver plus haut.

« BONJOUR ! Dit-il. Je suis le dernier des Anciens, Yus’sur-qui-Songe. »

[À :YUS’SUR-QUI-SONGE]

{je_ne_connais_pas_votre_forme_d’onde}

{soyez_le_bienvenu}

« Très intéressant », fit lentement l’Atamide.

Il se tourna à demi vers moi.

« À ton tour, Albéric. »

Je me sentais un peu dépassé par les événements.

« Bonjour…, fis-je d’un ton incertain. Je suis… Albéric Villejust… »

J’entendis Silvio sur ma droite s’exclamer : « C’était quoi cette voix ? » et Pascal répondre : « Fermez là, bon sang, ils ont besoin de concentration, pas de commères ! »

Ainsi, en plus de l’image, mes amis avaient le retour son sur les plaques du pupitre.

La voix emplit à nouveau l’espace infocosmique.

[À :ALBÉRIC_VILLEJUST]

{je_connais_votre_forme_d’onde}

{vous_pupitrez_toujours_d’une_manière_très_agréable}

Je réprimai un frisson.

Même si j’avais le net sentiment de poser une question absurde, je ne pus m’empêcher de demander :

« Êtes-vous… le Nod2 ? »

[À :ALBÉRIC_VILLEJUST]

{je_suis_moi}

>{je_suis_ici}

>{ici=bioStruct_Nod2}

>{ici=moi}

>{bioStruct_Nod2=moi}

{il_est_donc_correct_de_m’appeler_ :_NOD}

« Nom de Dieu de nom de Dieu ! »

Ce n’était certes pas une réplique très inspirée, mais rien d’autre ne m’était venu sur le coup. La nouvelle question que je désirais poser, qui me brûlait les lèvres, me paraissait encore plus absurde que la précédente.

« Êtes-vous, euh… conscient ? »

[À :ALBÉRIC_VILLEJUST]

{je_dispose_d’une_entrée_dans_mon_sous-groupe_mémoire_#philosophes_français#

qui_semble_convenir_à_votre_requête}

>{« je_pense,_donc_je_suis »}

>{ah_ !)

Il venait de rire ! Par tous les saints du Panthéon informatique, non seulement le bioStruct avait accédé à une forme de conscience, mais par-dessus tout, il venait de faire de l’esprit ! Sans tenir compte de l’agitation grandissante que je percevais autour de moi dans le Chaudron, je tâchai de mobiliser l’ensemble de mes facultés afin de trouver la meilleure façon de m’adresser à cette entité.