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Pourtant, la rébellion des troupes de Bohémond avait suscité un véritable espoir chez les Atamides. Soixante-quinze mille hommes – plus de trois divisions ! – en moins à affronter, ce n’était certes pas suffisant pour changer le cours de la guerre, mais ce n’était pas rien. Tout ce qui pouvait contribuer à rééquilibrer les forces en présence était le bienvenu.

Par ailleurs, au début, les affrontements avaient plutôt semblé tourner à l’avantage du plus grand nombre, en l’occurrence les Atamides. Les Croisés avaient paru débordés, submergés même, par la quantité de guerriers déferlant dans la plaine, puis ébranlés par la rage du combat qui les animait. Cependant, même légèrement inférieures en nombre, les troupes de l’Empire Chrétien Moderne demeuraient largement supérieures technologiquement. Peu à peu, les Croisés avaient retrouvé l’assurance qui leur avait fait défaut au commencement de la bataille.

Désormais, la ligne de front n’avance plus vers la Nouvelle-Jérusalem, elle ne stagne même plus comme elle le faisait depuis une vingtaine de minutes, elle recule ! Les guerriers atamides refluent, lentement mais sûrement, vers le fond de la plaine. Si certaines zones continuent de lutter pied à pied, Tancrède sait qu’une majorité d’Atas perdent du terrain.

La voix de Liétaud crépite dans ses oreilles : « Liétaud pour Tancrède ! Liétaud pour Tancrède ! »

Il y a longtemps que l’ex-lieutenant a perdu de vue le géant flamand. C’est un soulagement de le savoir toujours vivant.

« Des intercepteurs ont tenté des sorties suicide à l’ouest de la NJ ! Je répète, des H6 ont tenté des sorties suicide à l’ouest ! Ils ont largué des bombes à impulsion horizontale avant d’être abattus, c’est un carnage épouvantable ! Humains comme Atamides, tout le monde y passe, ils ont perdu la tête à l’état-major ! Il faut faire quelque chose, bon Dieu ! »

Tancrède devine les intentions de Liétaud ; il suggère d’utiliser leurs propres roquettes à impulsion horizontale, celles qui avaient été involontairement dérobées dans un convoi croisé. Néanmoins, Tancrède ne peut s’y résoudre, ce serait… immoral.

« Pas… encore, bredouille-t-il, mal à l’aise. Pas encore.

— Pourquoi ? s’écrie Liétaud. Veux-tu attendre qu’il ne reste plus un seul Atamide en vie ? Pourquoi pas maintenant ? Ils le font bien eux ! »

Tancrède sait que si, comme son ami, il venait d’être témoin d’une atroce tuerie, il montrerait moins de scrupules. Toutefois, il sait aussi que s’il donne cet ordre, il perdra définitivement la dernière parcelle d’humanité qui lui reste. Mais les Atamides peuvent-ils se payer le luxe d’attendre que leur chef suprême estime que l’heure de l’ultime recours a sonné ? De toute évidence, Robert de Montgomery n’a pas fait preuve des mêmes hésitations.

Ah, au diable cette hypocrisie ! Il n’y pas de Code d’honneur militaire qui tienne ! Tout cela n’est qu’une boucherie, du début à la fin ! Le soi-disant Art de la guerre n’est jamais qu’un collier de perles sur un porc !

La mort dans l’âme, il s’apprête à appeler le centre opé dans l’intention de donner l’ordre honteux lorsque soudain, il perçoit une forme à l’extrême droite de son champ de vision qui se rue dans sa direction. Il a à peine le temps de lever son bouclier que le guerrier l’atteint déjà et frappe. Un coup de lance d’une célérité inouïe. Le bras de Tancrède, bien que protégé par le bouclier, est rejeté en arrière et son épaule se tord douloureusement.

Sans même réfléchir, il choisit de faire pivoter tout son corps plutôt que de ramener son bras vers l’avant. Ainsi, il peut riposter du tranchant de l’épée sans laisser s’écouler plus d’une seconde. Mais à sa grande surprise, l’ennemi a anticipé le geste, pourtant parfaitement exécuté, et c’est le bouclier que l’épée va heurter.

Tancrède comprend instantanément qu’il affronte un autre Méta-guerrier. Seul un Classe 4 peut réagir aussi vite. Bien qu’ayant reculé sous l’impact, l’autre trouve la force de lancer sa jambe droite, un coup latéral qui atteint Tancrède sous le plexus. Le Normand est rejeté vers l’arrière, perd l’équilibre et tombe.

Par réflexe, il prolonge la chute avec une roulade arrière afin de s’éloigner davantage. Bien lui en a pris, son adversaire n’avait pas attendu pour bondir vers lui et la lance s’enfonce dans le sol avec un bruit mat, pile à l’endroit où il se trouvait une seconde et demie plus tôt. Il se rétablit immédiatement, aidé par les servomoteurs.

Ce guerrier est déchaîné. C’est la première fois depuis très longtemps que Tancrède se trouve contraint de reculer dans un corps à corps. Il ne sait même pas qui il combat, puisque l’autre porte un exosquelette sans marque distinctive. Ni armoiries, ni peintures de guerre.

La seule chose que Tancrède sait, c’est que cet adversaire est résolu à le tuer. Il s’élance vers lui, prêt à vendre chèrement sa peau.

14 h 59

« Clotilde ? Oh bon sang, ce que je suis content de t’entendre !

— Moi aussi, mon chéri, moi aussi ! Mais je ne peux pas te parler là, ça chauffe par ici !

— En effet, je vois les stats stratégiques sur le pupitre. Nous sommes en train d’avoir le dessous, c’est ça ?

— Oui, j’en ai peur… Attends un instant !… (sa voix s’éloigne, elle parle à quelqu’un d’autre) les guerriers de Monmonk demandent du renfort ? (claquements rapides de doigts sur un clavier)… Dites-leur qu’il y a la section du chef Keruk’chak à cent vingt mètres au sud de leur position… Non, non, au sud !… Albéric, je ne peux vraiment pas te parler, nous sommes débordés…

— Je sais, ma Clotilde, je sais. Dis-moi simplement si Tancrède et Liétaud sont encore en vie ?

— Ce n’est pas mon binôme qui les suit, mais je vois dans ma liste qu’ils ont ouvert leur canal com tous les deux il y a encore trois minutes. Je ne sais pas s’ils sont encore en vie maintenant, mais ils l’étaient à ce moment-làAttends encore un instant !Non, les troupes de Uk’inkuUk’insuAh, ces fichus noms !Uk-in-rs-uk ne sont pas au sud-ouest. Le dernier signal de leur balise a été relevé à l’ouest et ils se déplaçaient vers le nordNon, s’ils vont là-bas, ils ne trouveront que des Croisés, ils doivent reculer !… Albéric ? Je suis désolé, mais il faut vraiment que je te laisse

— Non, Clotilde, il faut que tu fasses quelque chose pour moi…

— Que je fasse quelque chose pour toi ? Tu crois vraiment que c’est le moment, Albéric ?

— Écoute-moi, bon sang ! Nous avons peut-être un moyen d’arrêter tout ça, un moyen qui permettrait de mettre un terme à cette folie avant qu’il ne reste plus que des cadavres dans la plaine !

— Mais que

— Clotilde, fais-moi confiance !

(silence)

— Très bien, je t’écoute.

— Dans le convoi que nous avons pillé il y a un mois, il y avait des grenades AENL, tu te souviens ?

— Des grenades à aire d’effet non linéaire, oui, je les avais listées.

— Parfait. Normalement, tout le stock d’armes dont nous disposons a été transporté au centre opé, donc vous devez les avoir avec vous.