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Sans se soucier de sa jambe blessée, il se redresse et prend appui afin de lever le corps de la jeune femme. Mais celle-ci pèse trop lourd avec son WN.

« Tancrède…, parvient-elle finalement à articuler. C’est inutile… tu le sais…

— Non ! Non ! Pas question, je ne te laisserai pas mourir, je vais appeler Liétaud pour qu’il apporte le bloc-médic et…

— Tancrède… non… s’il te plaît…

— Mais pourquoi ? Pourquoi n’as-tu rien dit… ? »

Sa voix est hachée par les sanglots. Clorinde ferme les yeux un instant, comme si les garder ouverts lui demandait un trop grand effort. Puis ses paupières se lèvent à nouveau.

« Ce n’est pas grave, Tancrède… C’est mieux ainsi…

— Non, comment peux-tu dire une chose pareille ?

— Parce que… je suis à nouveau heureuse, mon amour… Je t’ai revu… une dernière fois… Et je sais maintenant que tu m’aimes encore…

— Je n’ai jamais cessé de t’aimer…

— Je sais… Je ne te méritais pas… »

La voix de Tancrède se brise :

« Ne dis pas cela…

— Je t’ai aimé… comme nul n’aimera jamais quiconque… »

Soudain, Tancrède entend l’alerte des signes vitaux critiques. L’exo de Clorinde ne parvient plus à maintenir les fonctions vitales minimales.

« Non… », murmure Tancrède faiblement.

L’alarme du WN devient stridente.

« Ne… m’oublie pas… », fait-elle dans un souffle.

L’alarme s’arrête.

Clorinde n’est plus.

Tancrède est comme déchiré de l’intérieur, le cœur broyé par une force surnaturelle. Il hurle. Un cri de douleur effroyable, si fort, si atroce, que les combats alentour cessent brusquement. Tous les regards se tournent vers cet homme qui exprime une douleur inimaginable qu’aucune blessure physique ne saurait infliger.

C’est alors qu’un éclair aveuglant déchire les deux. Un éclair que nul roulement de tonnerre n’accompagne. De surprise, la plupart des combattants cessent de s’affronter et lèvent la tête vers l’image gigantesque qui se forme à présent au-dessus de la Nouvelle-Jérusalem. Un titan de cent mètres de haut apparaît, puis un second.

Le premier est assis dans un trône haut comme une cathédrale qui semble posée au bord du camp croisé, le second est agenouillé en face de lui, presque à l’autre bout du plateau.

Alors, Urbain IX commence à parler.

15 h 33

L’excitation extrême qui montait en moi atteignit un tel paroxysme que je crus que mon cœur allait lâcher.

« Ça marche, haleta Pascal. Bon Dieu, ça marche… »

J’ignorais si son cœur lui cognait les côtes comme le mien, mais sa voix tremblotante en disait long sur son état. Nous étions tous massés devant les plaques vidéo du pupitre du Chaudron, Colin toujours aux commandes. Les images de caméras de surveillance de la Nouvelle-Jérusalem, aussi bien que celles des WN croisés dans la plaine montraient toutes la même chose : l’ISM-3n projetait bel et bien notre enregistrement holo dans les airs, au-dessus de la bataille.

Coder un hack pour prendre le contrôle du projecteur n’avait été qu’une formalité. Je suppose que les responsables des systèmes de sécurité n’avaient jamais songé que quelqu’un pourrait trouver un intérêt quelconque à pirater cette machine. J’avais été plus inquiet à propos du bombardement du dôme par les Yaze’ers, opération délicate à exécuter s’il en était. À cette heure-ci, j’ignorais combien d’entre eux avaient péri en franchissant le périmètre de défense de la NJ ; toutefois, certains étaient parvenus à atteindre l’objectif et à larguer leurs grenades.

Il avait ensuite fallu espérer que les débris de la voûte ne recouvriraient pas entièrement l’ISM-3n, sans quoi tout cela n’aurait servi à rien. Selon Colin, le dessus de l’appareil était une énorme lentille dont l’épaisseur résisterait sans problème à la chute des gravats et dont la convexité en empêcherait l’accumulation. Manifestement, il ne s’était pas trompé.

J’en étais si soulagé que je lui donnais de grandes bourrades dans le dos tandis que nous regardions tous le résultat de notre exploit sur les écrans du pupitre.

« Je n’en reviens pas que l’image soit aussi grande ! s’exclama Silvio en riant. E’quasi magico !

— Non, non, rien à voir avec de la magie, répondit le plus sérieusement du monde Colin, heureux de pouvoir montrer qu’il faisait autorité dans ce domaine. Cette fois, le cylindre holo projette à pleine puissance, contrairement à la retransmission de l’allocution du pape juste après le débarquement. À ce moment, elle passait par un relais et l’image était considérablement affaiblie. Rien à voir avec aujourd’hui.

— Non, ça, c’est sûr, rien à voir avec aujourd’hui ! fit Pascal. Je ne crois pas que le pape avait prévu que ce qu’il est en train de dire maintenant serait entendu par un million de Croisés !

— En effet, acquiesçai-je. Et comme je regrette de ne pas être là-bas pour voir ça ! »

15 h 34

« … ainsi, Pierre l’Ermite nous a trahisIl a trahi la confiance que j’avais placée en lui, et plus grave, il a trahi le Plan de sauvegarde de notre sainte Église ! »

Urbain était furieux. Les plis de sa robe blanche tressautaient à chaque coup qu’il assénait du plat de la main sur les accoudoirs tapissés de velours de son fauteuil. Son visage, marqué par trente-neuf années d’un pontificat de fermeté et d’intransigeance, paraissait encore plus vieux sous l’effet de la colère. Ses yeux bleus n’étaient presque plus visibles.

« … jamais je n’aurais dû lui confier la charge de guider cette croisade. J’ai commis là ma plus grande erreur de jugement et nous en payons le prix aujourd’hui ! »

Indifférent aux géants de lumière qui dominaient la plaine, Tancrède avait hurlé sa souffrance durant de longues minutes avant de s’interrompre, à bout de souffle. Le corps de Clorinde reposait toujours sur ses genoux, les cheveux effleurés par la brise légère qui soufflait au niveau du sol, le visage taché de sang mêlé aux larmes de l’homme qu’elle aimait. Penché au-dessus d’elle, plié en deux par la douleur, celui-ci appuyait son front contre le sien comme si, à force de serrer, il espérait prendre sa place dans la mort.

« … votre jugement n’a pas failli, très Saint-Père, flagornait outrageusement Robert de Montgomery. Nous avons tous été abusés par cet homme. Moi-même, lorsque vous m’avez autorisé à connaître les détails les plus sensibles de cette affaire, j’ai sincèrement cru que Pierre l’Ermite placerait la sécurité de l’Église plus haut que ses principes naïfs… »

Partout sur le champ de bataille, les combats ralentissaient puis s’interrompaient les uns après les autres. Les humains, comme les Atamides, étaient sidérés par l’incongruité de cette apparition irréelle. Les binômes du centre opérationnel transmettaient sans relâche la même consigne aux troupes atas : « Désengagez-vous des combats dès que vous le pouvez afin que les Croisés puissent voir l’enregistrement ! Laissez-les regarder ! »

« … Précisément, répondit Urbain IX à Robert. J’avais choisi l’Ermite parce que j’étais certain que sa foi aveugle lui permettrait d’accepter n’importe quoi. Il me semblait alors que seul un fanatique absolu pourrait supporter d’apprendre que le Christ n’était qu’un vulgaire Atamide, qu’il n’avait jamais été le fils de Dieu ! Je pensais qu’il serait prêt à tout pour sauver la foi sur laquelle il avait construit sa vie. Quelle erreur ! Je me rends compte aujourd’hui que c’est l’inverse qui s’est produit. Sa foi était justement trop inconditionnelle pour tolérer la moindre fissure. »