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Robert de Montgomery approuva vigoureusement de la tête.

« Si on lui en laissait le temps, ne put-il s’empêcher d’ironiser, peut-être même finirait-il par proposer de vouer un culte à ce Christ atamide ? »

Presque plus personne ne livrait de combat sous les murs de la Nouvelle-Jérusalem. Les Croisés contemplaient, et surtout écoutaient, horrifiés, le pape et le Prætor peregrini tenir une discussion impossible. À pas lents et mesurés, sans faire de gestes brusques, les Atamides reculaient en silence, laissant les hommes seuls sur le champ de bataille, face à l’image de leurs dirigeants suprêmes.

« … Tout a changé lorsque les premiers Atamides ont commencé à être exterminés, continuait Robert. Les massacres ! Rien de tel pour différencier les véritables meneurs d’hommes au caractère bien trempé des lâches qui se cachent derrière des prétextes éthiques et…

— La pusillanimité de Pierre ne m’avait pas échappé, coupa le pape, mais j’ai toujours pensé que cette tendance à exhiber ses scrupules n’était qu’une… (il chercha le mot juste)… une marque d’orgueil, une affectation. Après tout, il a bien accepté sans sourciller de prendre à bord l’agent spécial Wolkmar afin qu’il remplace les restes du Christ atamide par nos fausses reliques ! Et lorsque celui-ci a commencé à tuer tous ces innocents sur le Saint-Michel, en produisant cette ridicule et encombrante légende du Foudroyeur, il l’a couvert sans sourciller. Tout cela pour s’émouvoir quelques semaines plus tard de l’extermination de ces nuisibles ! Fronti nulla fides… »

Alors que le silence régnait sur le champ de bataille depuis que les Atamides avaient entamé leur repli, une rumeur monta du fond de la plaine, s’amplifiant progressivement jusqu’à devenir un véritable grondement. Les hommes criaient. L’incompréhension s’était muée en stupéfaction, qui elle-même était en train de céder la place à la colère. Même si de nombreux soldats refusaient de croire ce qu’ils voyaient, même s’ils espéraient qu’une explication allait bientôt être donnée qui dissiperait cet incroyable malentendu, la plupart d’entre eux commençaient à comprendre avec effroi qu’on les avait dupés.

« … Si vraiment Pierre a tout avoué à Godefroy de Bouillon, disait le pape, alors nous ne pouvons plus prendre le moindre risque. Autant un simple prédicateur, même élevé au rang de Prætor peregrini, ne pouvait se hasarder à révéler ce qu’il savait publiquement ; autant un seigneur tel que le duc de Basse-Lorraine pourrait bien estimer que le jeu en vaut la chandelle juste pour affaiblir le camp des ultras.

— C’est précisément ce que je crains, répondit Robert. Le jugement de Sa Sainteté est toujours aussi avisé. »

Liétaud faillit crier de soulagement lorsqu’il trouva enfin Tancrède, au centre d’une zone étrangement vide de combattants. Il était à genoux et penché sur quelqu’un allongé au sol.

Toujours juché sur son percheron mécanique, Liétaud s’approcha au pas, slalomant lentement entre les Croisés qui ne faisaient plus le moins du monde attention à lui alors que quelques minutes plus tôt, ils s’acharnaient encore à essayer de le faire passer de vie à trépas. Tous les regards étaient tournés dans la même direction. Liétaud aurait tout aussi bien pu être invisible.

Parvenu au niveau de son ex-lieutenant, il mit pied à terre et s’approcha.

« Tancrède ! N’est-ce pas extraordinaire ? On dirait bien que nos amis inermes ont gagné leur pari ! C’est inespéré ! Par tous les diables, jamais je n’aurais pensé vivre un tel moment ! Est-ce que tu… »

Brusquement, alors qu’il contournait son ami, il découvrit le corps sans vie qui reposait sur ses genoux.

« … Cessez de tenter de me flatter, Robert ! rétorqua le pape. J’ai horreur de cela et c’est devenu inutile puisque vous avez gagné la partie contre l’Ermite. »

Robert de Montgomery prit un air innocent.

— Votre Sainteté, ce n’est pas…

— Silence ! Contentez-vous d’écouter ce que j’ai à vous dire. Étant donné que Pierre semble désormais hors de contrôle, je vais devoir le destituer aujourd’hui même et vous nommer à sa place. Votre première décision en tant que Prætor peregrini sera de consigner l’Ermite dans ses quartiers pendant quelques semaines, après quoi vous le jetterez en cellule pour haute trahison. Dans l’intervalle, menez contre lui une campagne de calomnie et de dénigrement comme vous savez les orchestrer afin que les troupes s’habituent à le considérer comme un traître.

— Il sera fait comme vous l’entendez, Votre Sainteté. »

La clameur qui emplissait la plaine redoubla jusqu’à devenir assourdissante. Partout les hommes hurlaient leur colère et maudissaient ceux qui les avaient trompés. Les poings se levaient, les armes étaient brandies vers le pape et le Préteur, des tirs T-farad partaient même dans leur direction comme pour tenter d’abattre leur image avant d’aller se perdre dans les deux.

« … Par la suite, je veux que vous vous occupiez de l’incontrôlable Wolkmar. Maintenant qu’il a exécuté sa mission, Dieu sait quels problèmes il peut encore nous causer.

— Justement, Votre Sainteté, je me dois de vous informer qu’il a disparu la nuit dernière, juste après avoir remplacé les reliques du Christ centaurien par les nôtres.

— Disparu ? Voilà qui est embarrassant. Avez-vous une explication à me fournir ?

— Pas encore, Votre Excellence. Je soupçonne Tancrède de Tarente d’être impliqué. C’est ce lieutenant normand qui a déserté après avoir…

— Je sais qui est cet homme. Encore un imbécile cherchant à entrer au panthéon des idéalistes !

— Absolument, Votre Sainteté. Quelle que ce soit la cause de la disparition de Wolkmar, le fait qu’il ne soit toujours pas revenu me laisserait penser qu’il doit être mort à l’heure qu’il est. À mon humble avis, étant donné qu’il a accompli sa mission, sa disparition ne présente guère d’inconvénient. J’irai même jusqu’à dire qu’elle constitue plutôt un avantage.

— Si réellement il est mort, alors oui, c’est dans notre intérêt. Toutefois, qui sait ce qu’il a pu révéler avant de mourir ? »

À l’instant où il reconnut Clorinde, Liétaud comprit le drame qui venait de se jouer là.

Il en fut bouleversé. Bouleversé par une compassion simple et puissante envers son meilleur ami, et bouleversé aussi parce que cette scène lui en rappelait une autre, presque similaire : celle où Tancrède et Engilbert l’avaient rejoint aux buanderies générales du Saint-Michel pour le trouver agenouillé auprès du cadavre de Viviane.

L’image était trop forte, le souvenir trop douloureux. Liétaud tomba à genoux près de Tancrède et il pleura avec lui.

« … Vous avez vos ordres, conclut Urbain IX. Nous pouvons encore sauver cette opération de la déroute si vous vous montrez à la hauteur. Le plus important est de supprimer tous les derniers témoins de la désastreuse découverte des missionnaires. Assurez-vous que Wolkmar n’est plus, puis occupez-vous du capitaine Kowalski et de ses hommes, sans parler de ce Normand que vous haïssez tant. Mettez bon ordre dans cette pagaille et surtout, ne me décevez pas, Robert de Montgomery ! Ne me décevez pas comme Pierre m’a déçu… »