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Soudain, quelque chose attira l’attention d’Urbain. Au centre de son bureau, l’air se troubla.

Cet immense espace, proportionné comme un salon de réception, occupait le dernier étage du palais Sixte-Quint dont les fenêtres donnaient directement sur la place Saint-Pierre. Au début de son pontificat, Urbain l’avait entièrement réaménagé afin qu’il frappe l’esprit des visiteurs lors des audiences, notamment en ordonnant la réalisation d’une vaste fresque au plafond, décrivant la Guerre d’Une Heure et ses ravages vus par l’Église catholique, ainsi que l’avènement de l’Empire Chrétien Moderne. Afin d’éviter au pape d’avoir à subir de trop nombreux déplacements, les systèmes les plus modernes équipaient ce bureau dont, entre autres, une cabine super-tachy privée ainsi qu’un studio de télédiffusion ultra-sécurisé qui, grâce à un accès direct et prioritaire au réseau de satellites, pouvait émettre même en cas de siège.

Tandis qu’il poursuivait son allocution, le regard d’Urbain dévia vers la gauche. Au-delà de l’épaule du premier cadreur, une sorte de mirage venait d’apparaître au beau milieu du bureau, exactement sous la représentation de la destruction de l’Amérique du Nord par de monstrueux champignons thermonucléaires. L’air s’était mis à vibrer.

Urbain trébucha sur un mot, mais continua néanmoins à réciter. L’air vibra de plus belle puis sembla s’opacifier. Urbain buta sur un deuxième mot, puis se mit à bafouiller sans oser s’interrompre. Les cadreurs se lancèrent des regards stupéfaits. L’air parut s’assombrir puis une forme apparut, massive. Urbain cessa complètement de parler, les yeux écarquillés. Les cadreurs se retournèrent en suivant son regard.

Brusquement, un claquement sonore retentit et une onde de choc se propagea dans la salle, simple conséquence mécanique de l’apparition instantanée d’un corps dans un milieu empli d’air.

Un soldat en exosquelette de guerre de l’armée croisée venait de se matérialiser au centre du bureau d’Urbain IX !

Sous l’effet de la surprise, celui-ci hoqueta et oublia de refermer la bouche. Dressé parmi les délicats meubles cinquecento qui dataient du pontificat de Clément VII, le soldat paraissait énorme, monumental. Du sang et du sable agglomérés recouvraient ses plaques de blindage, des dizaines d’éraflures, de bosses et de traces de brûlures indiquaient qu’il sortait tout juste d’un champ de bataille. Son visage n’était pas visible, car son casque était fermé. L’homme fit deux pas de côté, comme si, désorienté, il cherchait son équilibre, puis sembla se ressaisir.

Aussitôt, les huit gardes suisses postés dans l’entrée ouvrirent le feu. Comme les armes de guerre étaient interdites dans le bureau du pape, ils n’étaient équipés que d’armes à feu conventionnelles. Les projectiles ricochèrent sur le WN, lui infligeant seulement quelques éraflures supplémentaires.

« Appelez les forces spéciales ! hurla le chef de la garde dans son micro. Tout de suite ! »

Le soldat en exo épaula son fusil T-farad et visa les gardes.

« Cessez le feu et jetez vos armes ! fit-il par l’intermédiaire de son haut-parleur externe. Exécution ! »

Les gardes suisses continuèrent leurs tirs sans tenir compte de l’ultimatum. Le soldat ouvrit alors le feu. Huit salves T-farad et les huit hommes s’écroulèrent sur les dalles émaillées. Il se tourna ensuite vers le secrétaire personnel d’Urbain IX qui, assis derrière son bureau perpendiculaire à celui du pape, assistait à la scène sans bouger, médusé.

« Fermez les portes blindées ! lança le soldat d’une voix rendue métallique par le haut-parleur frontal du WN. Fermez les portes blindées immédiatement ou vous les rejoindrez ! »

Il avait ponctué sa dernière phrase d’un mouvement éloquent du canon de son arme en direction des huit corps gisant dans l’entrée. Du bruit et des cris se faisaient entendre derrière les portes, dans le vestibule. Les forces spéciales arrivaient. Le secrétaire glissa une main tremblante sous son bureau et appuya sur le discret bouton d’urgence qui commandait les portes blindées. De lourds panneaux d’un alliage ultra-résistant s’abattirent bruyamment devant toutes les portes et fenêtres de la salle, plongeant du même coup les lieux dans l’obscurité totale. Toutefois, celle-ci ne dura qu’un bref instant puisque toutes les lampes s’allumèrent automatiquement. Le soldat en exo parut se détendre et cessa de braquer son arme vers le secrétaire.

« Nous sommes tranquilles pour un petit moment, maintenant », fit-il tandis qu’il se tournait vers le pape.

Les semelles de son exo claquaient bruyamment sur les dalles. Il rétracta la visière de son casque, qui dégagea entièrement sa tête en allant se loger dans le col du WN. Urbain reconnut instantanément Tancrède de Tarente, neveu de Bohémond de Tarente, ex-lieutenant de l’armée croisée stationnée sur… Akya du Centaure.

« Vous, ici ! s’écria le pape d’une voix stridente, le visage blême. Par Dieu, comment… est-ce possible ? »

À cet instant, Urbain se souvint qu’il était toujours en direct sur tous les canaux de diffusion du monde. Il voulut se lever en prenant appui sur les accoudoirs, mais ses forces lui firent défaut. En général, dans ces cas-là, son secrétaire particulier se précipitait afin de lui prêter son bras. Cette fois, celui-ci n’avait pas bougé de son siège, terrifié par la soudaine apparition.

Tancrède de Tarente marcha sur Urbain IX. Chacun de ses pas cassait ou fissurait des dalles. Des fragments de céramique volaient dans toutes les directions.

« Rasseyez-vous ! ordonna-t-il. Tout de suite ! »

Le géant s’arrêta à moins d’un mètre du pape. Il était effrayant. Urbain réalisa que celui-ci était entré dans le champ des caméras. Le monde entier pouvait voir ce monstre de puissance dominer le frêle vieillard qu’il était. Il fallait faire cesser la retransmission. Urbain ouvrit la bouche pour parler, mais, comme s’il avait lu ses pensées, Tancrède de Tarente s’adressa aux cadreurs :

« Si l’un de vous s’avise de couper sa caméra, je l’abats sur le champ ! »

Des grondements sourds leur parvenaient de l’autre côté des portes blindées. Les forces spéciales tentaient de les faire sauter. Malheureusement, songea Urbain, elles étaient si résistantes qu’il faudrait de longues minutes avant d’en venir à bout. Tout pouvait arriver pendant ce délai. Lui, qui d’ordinaire pensait si vite, se trouvait incapable reprendre ses esprits.

« Mais… comment ? bredouilla-t-il, conscient du spectacle pitoyable qu’il donnait. Comment êtes-vous arrivé ici ? »

Les traits du neveu de Bohémond de Tarente se durcirent, comme s’il venait de se rappeler pourquoi il était venu. Il se pencha jusqu’à ce que son visage frôle celui du Saint-Père. La caméra qui cadrait en plan serré assurait une retransmission optimale de l’expression des deux hommes.

« Elle est morte dans mes bras », gronda l’ex-soldat croisé en détachant tous les mots.

Urbain sentait l’odeur du sang qui émanait de l’exosquelette de guerre.

« Elle est morte par votre faute ! continuait Tancrède. Tous ceux qui ont péri dans cette guerre vous le doivent personnellement, Très Saint-Père ! »