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Il frappa de ses deux poings sur les accoudoirs du siège qui volèrent en éclats. Urbain tressauta.

« Je devrais vous broyer là, sur votre fauteuil de velours, afin de vous empêcher de nuire à jamais. Toutefois, je n’en ferai rien. Ce qui vous attend est bien pire. Chaque goutte du sang que tu as fait couler, tes yeux la paieront d’un torrent de larmes !* »

La gorge d’Urbain IX était plus sèche que la plaine d’Akya. Ses lèvres lui semblaient collées entre elles.

Les explosions à l’extérieur redoublèrent. Cependant, les portes tenaient toujours bon. Tancrède reprit conscience du peu de temps dont il disposait. Il se redressa et s’adressa au technicien le plus proche.

« Vous, là ! Approchez ! »

L’homme obtempéra, tremblant de tous ses membres. Tancrède leva une main vers lui et l’homme dressa les bras instinctivement pour se protéger avant de se rendre compte que l’autre éjectait un petit rectangle noir de l’avant-bras de son exo – une mémoire de masse.

« Branchez ça sur votre terminal, et diffusez-le.

— Mais, euh… nous sommes en direct.

— Justement. »

Urbain, blanc comme un linge, un poids terrible lui comprimant la poitrine, voulut parler, mais seul un croassement incompréhensible franchit ses lèvres. Tancrède se pencha à nouveau vers lui.

« Cette fois, c’est fini. Pour de bon. »

Juste avant de voir l’enregistrement dévastateur qui mit fin à son règne, la dernière image que des centaines de millions de spectateurs eurent d’Urbain IX, deux cent quatre-vingt-sixième pape de la chrétienté, fondateur de l’ECM et restaurateur du Dominium Mundi, fut celle d’un vieil homme livide qui, pris d’un brusque malaise, se penchait sur le côté de son fauteuil pour vomir.

ÉPILOGUE

Sur Akya, le soir était le seul moment de la journée qu’un humain pouvait réellement apprécier. Dès qu’Alpha Centauri A s’approchait de l’horizon, ses rayons devenaient moins ardents et l’air, plus doux, permettant à des êtres inadaptés à ce climat comme nous l’étions de savourer enfin le plaisir simple de la chaleur du soleil caressant le visage. Les yeux fermés, allongé aux côtés de Clotilde sur la pente d’une dune, je m’efforçais de profiter des moindres détails de ce moment avant que l’astre majeur du ciel local ne jette ses derniers feux. Malheureusement, une ribambelle de gamins atamides piaillant non loin de nous dans les rochers semblait avoir juré de m’en empêcher. Ils sautaient de bloc en bloc, se couraient les uns après les autres et se jetaient du sable au visage en criant.

« Aussi casse-pieds que des petits humains, fit Clotilde, sans ouvrir les yeux, un léger sourire flottant sur ses lèvres.

— Pires, répondis-je. Bien pires. Des petits humains, au moins, je pourrais aller leur botter les fesses. Alors que ceux-là sont déjà presque aussi grands que moi.

— Pratiquement tout le monde est presque aussi grand que toi, mon chéri », répondit cette peste en m’enlaçant.

Elle me donna aussitôt un baiser, destiné à couper la répartie superbement spirituelle que je m’apprêtais à lui infliger.

« Permets-moi de te dire que je n’aime pas beaucoup ta forme d’onde », fis-je en imitant la façon de parler de Nod dès que ses lèvres se détachèrent des miennes. Elle s’esclaffa et se laissa retomber dans le sable. J’en profitai pour me lever.

« Tu t’en vas déjà ? dit-elle en esquissant une moue.

— Il faut que j’aille voir Tancrède. La caravane part demain.

— Alors, ça y est, tu vas lui faire tes adieux ?

— Des adieux, c’est beaucoup dire. Mais je ne sais pas quand je le reverrai.

— Je comprends. Je t’attendrai aux cavernes alors. »

Je lui déposai un baiser sur le front puis partis en direction du camp atamide établi de l’autre côté de la dune, non sans avoir lancé un regard courroucé et théâtral aux enfants, qui éclatèrent de rire. Le soleil bascula complètement derrière la lointaine chaîne de montagnes qui bordait l’horizon au moment où je passai la crête de sable pour descendre vers la vingtaine de tentes disposées en W.

Depuis plus d’un mois, Tancrède avait adopté le mode de vie nomade des Atamides. Tan’hem avait immédiatement proposé de l’accueillir dans sa caravane. À l’instar de l’ex-lieutenant, le vieux sage avait semble-t-il perdu le goût de la sédentarité et ne souhaitait pas retourner vivre à Uk’har. Les horreurs dont il avait été témoin là-bas n’étaient certainement pas étrangères à cette décision.

Je saluai plusieurs Atas en pénétrant au milieu des tentes. Je connaissais presque tout le monde ici et l’atmosphère chaleureuse des soirées près du feu allait me manquer. Toutefois, contrairement à Tancrède, je supportais assez mal plus de cinq ou six nuits sans un véritable lit.

Lorsque j’arrivai devant sa tente, je passai la tête par la porte et lançai : « Je dérange ? »

Tancrède était à genoux près du feu, occupé à ramasser ses ustensiles de cuisine.

« Non, Albéric, pas du tout, fit-il. Entre, je t’en prie. »

Je relevai entièrement le pan de feutre qui faisait office de porte et pénétrai de l’habitation.

« Désolé, continua Tancrède, je viens de finir de manger. Tu as faim ?

— Ne te dérange pas pour moi, je dînerai tout à l’heure aux cavernes, avec Clotilde. »

Il opina du chef en se relevant pour aller ranger le plat de terre cuite et les deux bols qui lui avaient servi pour dîner.

« Tu sais que le conclave a élu Pierre l’Ermite ce matin ? lui dis-je.

— Ah non, je ne savais pas. Il y a plusieurs jours que je n’ai pas mis les pieds aux cavernes. Du coup, je n’ai pas trop suivi les dernières informations en provenance de la Terre. Quoi qu’il en soit, c’est une bonne nouvelle.

— Il n’y avait pas vraiment de suspense, mais c’est une bonne chose, en effet. Même si personne n’aurait songé à réclamer le retour d’Urbain, il se trouvera toujours quelques nostalgiques de son règne. Il est donc préférable que la position de Pierre soit officialisée. »

Tancrède hocha de nouveau la tête pour signifier qu’il partageait mon avis.

La chute de l’Empire Chrétien Moderne ne datait que de trois mois à peine, et pourtant, des voix se faisaient déjà entendre, non pour réclamer son rétablissement – personne n’était assez inconscient pour cela –, mais pour rappeler à quel point les royaumes étaient puissants sous le règne autoritaire d’Urbain IX, laissant ainsi penser que la politique de pacification entreprise par Pierre l’Ermite ne permettrait pas aux anciennes puissances de continuer à rayonner sur le monde. Heureusement, ces voix ne rencontraient pour le moment aucun écho. Pour le moment…

« Quel nom a-t-il choisi ? demanda Tancrède.

— Paul VII, en référence à un souverain pontife du XXe siècle, Paul VI. Un pape réputé très libéral, si j’ai bien compris. Cela dit, je suis loin d’être un spécialiste de l’histoire vaticane.

— De l’histoire vaticane seulement ? Tu es loin d’être un spécialiste de tout ce qui touche à la religion.

— Voilà pourquoi nous nous entendons si bien toi et moi ! »

Tancrède eut un petit rire. Certes, ce n’était pas encore un fou rire, néanmoins c’était déjà un net progrès indiquant que le moral de mon ami s’améliorait peu à peu. La mort de Clorinde – par sa propre main – avait été si douloureuse pour lui que même les gigantesques conséquences de son coup d’éclat dans le bureau du pape n’avaient pas suffi à le maintenir à flot après son retour. Il avait sombré dans une profonde prostration qui ne lui avait même pas permis de suivre la propagation du tremblement de terre politique qu’il avait provoqué.