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Écœuré par cette boucherie, Tancrède ne combattait plus qu’à la lame ionisée. Même s’il savait que c’était hypocrite et surtout, extrêmement dangereux, il avait l’impression de préserver ainsi une partie de son honneur, ou au moins, de son amour propre.

Après s’être concentrés dans la partie basse de la capitale, les combats se déroulaient désormais dans des ruelles en pente et, au détour d’un bâtiment, les hommes découvrirent subitement les hauteurs de la ville où le sanctuaire était supposé se trouver. De longues tours blanches jaillissaient de collines escarpées, dominant de larges édifices tout en courbes dont certains s’avançaient loin au-dessus du vide, soutenus par des arches d’apparence irrégulière. La forme de la section des tours changeait de nombreuses fois entre la base et le faîte, provoquant autant de surplombs ou de terrasses étroites jusqu’au niveau final qui s’évasait en forme d’étoile. Le matériau nacré qui recouvrait la plupart des bâtiments s’avérait ici particulièrement spectaculaire, les grandes tours se renvoyant mutuellement de multiples reflets rutilants. Une fois encore, Tancrède ne put s’empêcher d’admirer les merveilles architecturales dont les Atamides étaient capables, frémissant à l’idée des inévitables ravages qu’elles subiraient durant les combats.

Alors qu’il descendait de sa monture afin de porter secours à un soldat blessé, Engilbert le contacta en mode prioritaire. Le ton employé par son répartiteur mit aussitôt Tancrède en alerte :

« Mon Lieutenant ! Je viens d’entendre sur le canal général que l’unité AM25-B réclamait du secours à trois secteurs au nord d’ici. La 25-B, ne serait-ce pas celle de… »

Il n’eut pas besoin de terminer sa question, son chef était déjà remonté sur son méca-perch et se lançait à bride abattue dans le sens de la pente. La 25-B était l’unité de Clorinde.

En arrivant dans la zone de combat des Amazones, Tancrède ne voit que le chaos de la bataille.

Partout des Amazones hurlantes et bondissantes sur leurs bipèdes, aux prises avec des milliers d’Atas déchaînés. Le déséquilibre est évident : les Amazones seront bientôt débordées. De plus, les unités les plus proches ont déjà fort à faire et ne peuvent se porter à leur secours. La AM-25B va être exterminée.

Le lieutenant parcourt désespérément le terrain du regard à la recherche de Clorinde. Enfin, il parvient à la repérer malgré l’enchevêtrement des combattants. Même si la panthère dressée sous deux palmiers peinte sur son exo est couverte de sang violet, elle est parfaitement reconnaissable. Tancrède veut se lancer vers elle, mais son perch se cabre : impossible de pénétrer dans cette empoignade tant les protagonistes sont intriqués. Sans la moindre hésitation, il abandonne sa monture et se jette à corps perdu dans la bagarre, marchant pratiquement sur les épaules des combattants, sautant par-dessus la croupe des bipèdes ou roulant sur le sol pour esquiver le corps d’un Ata déjà mort, propulsé en arrière par une décharge T-farad. Il est presque parvenu jusqu’à la jeune femme lorsqu’il voit qu’elle est aux prises avec deux Atas enragés.

L’un d’eux lui assène des coups de lance à un tel rythme qu’elle parvient tout juste à les esquiver, tandis que l’autre, agrippé au cou du bipède et armé d’un lourd marteau de guerre, s’acharne à démolir la tête de la monture. Couvert d’entailles d’où pendent, comme des lambeaux de chair, des câbles et des tuyaux de liquide de refroidissement laissant échapper des flots de liquide blanc, le RK ressemble à une créature vivante à l’agonie. Totalement désorienté, il tourne follement sur lui-même, compliquant encore la tâche de sa cavalière, qui peine à parer la pluie de coups en se servant de son arbalète T-farad, visiblement hors d’usage, comme d’un bouclier.

Hurlant de colère, Tancrède brandit son épée au-dessus de son épaule droite, armant son geste le plus loin possible en arrière, et se rue sur l’Ata à la lance. Saisi de stupeur à la vue de ce guerrier ivre de rage, l’Atamide ne parvient pas à esquiver la lame luminescente qui s’abat sur lui avec tant de force qu’elle le coupe net en deux dans une giclée sanglante. Sans ralentir, Tancrède se jette au sol pour rouler sous le poitrail massif de la monture qui continue sa danse démente, et se relève de l’autre côté, parfaitement positionné pour frapper l’autre Ata, encore agrippé au cou du bipède, d’un terrible coup vers le haut qui lui déchire l’abdomen. Les boyaux de la créature se déversent à terre dans un bruit écœurant et elle s’écroule en hurlant. Tancrède l’achève sans ciller, puis se cramponne à son tour au bipède pour accéder à la commande d’arrêt d’urgence située dans une trappe sur le haut du cou. La monture s’arrête aussitôt, si brutalement, que Clorinde et son passager sont éjectés. Une partie de la visière-dôme de l’exo de Tancrède se brise à l’impact, projetant dans le casque une myriade de petits fragments coupants. Le guerrier rétracte alors ce qui reste de l’hémisphère doré puis se relève, tête nue, pour se précipiter vers Clorinde qui gît quelques pas plus loin.

C’est là qu’il réalise qu’elle est sérieusement blessée : une large déchirure bée dans son exo, de l’aine à l’aisselle ; du sang coule abondamment. C’est à se demander comment elle a pu tenir jusque-là dans cet état. Tancrède rétracte la visière de la malheureuse pour voir son visage. Elle semble revenir à elle, ouvre à demi les yeux et murmure dans un souffle : « Tancrède ! Dieu soit loué ! » avant de perdre définitivement connaissance.

Celui-ci emporte aussitôt la jeune femme jusqu’à la carcasse du bipède qui, entre temps, s’est écroulé au sol, et l’étend le long du corps de métal désormais inerte, se servant de lui comme d’un rempart improvisé. Puis il bondit dessus, épée ionisée à la main et bouclier en garde, prêt à tuer tout ce qui tentera d’approcher.

Mais il sait que la bataille est perdue dans ce secteur. La plupart des Amazones de la 25B ont déjà succombé et les autres essayent tant bien que mal de se replier. Il sera bientôt encerclé et ce sera la fin. La sienne, et celle de Clorinde. Insupportable pensée !

Renonçant alors à défendre sa forteresse de fortune, il saute au bas du bipède, lâche son bouclier et réduit la taille de sa lame afin de ne pas être gêné dans ses mouvements, puis, jetant Clorinde en travers de ses épaules, il commence à avancer parmi les combattants en se défendant du mieux qu’il peut de son bras libre. Sur le canal prioritaire de son unité, il hurle :

« Liétaud ! À l’aide, j’ai besoin de toi, maintenant ! À l’aide, mon frère ! »

Sans attendre de réponse, il taille littéralement son chemin dans la mêlée. La rage le transfigure et, même chargé du corps de Clorinde, son épée martyrise les ennemis tandis qu’il ne prête même plus attention aux coups qu’il reçoit. L’infime partie de son esprit qui fonctionne encore sur le plan rationnel remarque que les Atamides semblent le reconnaître et hésitent une fraction de seconde avant de l’affronter. Mais ses adversaires sont trop nombreux et il devient rapidement évident qu’il va perdre la partie. Poussé, bousculé, frappé, submergé par le nombre, il ne parvient presque plus à avancer et bientôt, même lever le bras devient une épreuve. Soudain, un coup plus fort que les autres lui fait mettre un genou à terre, puis un autre lui fait lâcher son épée, lui laissant le bras engourdi, probablement cassé.

Un guerrier atamide se dresse alors devant lui et se prépare à frapper de sa lance. Tancrède lève la tête et attend le coup fatal en murmurant : « Clorinde… Pardonne-moi… » Soudain, un énorme percheron de combat se cabre derrière la créature puis s’abat sur elle dans un atroce craquement d’os brisés. Liétaud est là, suivi de Dudon qui a récupéré la monture de Tancrède.