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« Donne-la-moi ! » crie Liétaud en tendant les bras vers Clorinde. Sonné, de grosses taches noires obscurcissant son champ de vision, Tancrède réussit néanmoins à se relever avec la jeune femme sur les épaules et, dans un ultime effort, à la hisser au niveau de Liétaud. Tout ce dont il se souviendra ensuite, c’est d’avoir tenté de monter derrière Dudon avant de perdre connaissance.

* * *

Une cloche tintait dans ses oreilles, lancinante, exaspérante.

Tancrède se leva. Ses membres étaient anormalement lourds. Suis-je fatigué ou est-ce le signe d’une pesanteur plus élevée ? Suis-je déjà revenu sur Terre ? Était-il possible que toute cette campagne ne fut qu’un rêve ?

Il se trouvait dans une toute petite pièce sans fenêtre, plongée dans le noir. Seuls quelques écrans d’appareils projetaient une lueur diffuse au ras du sol.

Tancrède avança à tâtons pour essayer de trouver une porte. Une désagréable odeur de renfermé régnait dans cet endroit, il fallait aérer. Des détritus jonchaient le sol. Vêtements sales et reliefs de repas. Mais qui vit donc ici ? Et cette cloche qui continuait à sonner, allait-elle donc s’arrêter ?

Soudain, il se cogna douloureusement le tibia sur quelque chose de métallique et de coupant. Il tâta sa jambe de la main et constata que ses doigts revenaient ensanglantés. Il avait dû se faire une vilaine blessure sur ce fichu objet. Il se mit à genoux afin de mieux distinguer l’obstacle. Un frisson glacé lui contracta alors les épaules : un cube chromé. Une caisse homéostatique !

Seigneur, je suis dans la planque du Foudroyeur !

Il voulut se relever, mais ses jambes ne lui obéissaient plus, se dérobaient. Dans les reflets de la boîte chromée, il distingua une forme sombre qui s’élevait derrière lui. Comme ses membres inférieurs semblaient paralysés, il choisit de se laisser tomber pour éviter le coup qui n’allait pas manquer de partir. Mais rien ne vint.

Il s’attendait à ce que sa chute lui fasse mal, elle fut étrangement indolore. Il se retourna et entreprit de ramper pour s’éloigner. Il avançait au ralenti, comme engourdi. À ce rythme, il n’arriverait jamais à se mettre à l’abri. Le tintement de la cloche était devenu insupportable.

Soudain, la forme noire réapparut devant lui, glissant sans un bruit sur le sol. Une main blafarde sortit d’une manche faite d’ombre et pointa un doigt vers lui. Gagné par la panique, Tancrède chercha son automatique à sa ceinture et ne trouva qu’un simple bracelet. Le bracelet de Viviane ! Le doigt s’auréola de lumière bleutée. La terreur envahit tout le système nerveux de Tancrède tandis que la voix de Bohémond de Tarente sortait de la capuche du Foudroyeur : « Tu avais une double responsabilité du fait de ton nom et de ta réputation militaire. Tu as trahi les deux ! »

Tancrède ouvrit les yeux dans la chambre d’un hôpital.

La faible lumière de l’aurore découpait un carré de lumière par la fenêtre du fond de la pièce. Le bruit des respirations de trois hommes lui indiqua qu’il partageait cette chambre, mais qu’il était le seul éveillé. Les écrans de contrôle des équipements médicaux projetaient de motifs complexes et colorés au plafond tandis que d’irritants métronomes électroniques comptaient infatigablement les pulsations cardiaques des patients.

Dès qu’il put focaliser son regard et canaliser ses pensées, il se redressa à demi pour regarder son corps. Tout était là. Aucun membre arraché, aucune plaie béante. Il n’était même pas sur un tapis de reconstruction cellulaire. Son bras gauche et sa jambe droite étaient tout de même enveloppés de mousse nanochir, et de nombreuses contusions constellaient le reste de son corps.

Soudain, le carnage de l’unité de Clorinde lui revint en mémoire et lui arracha un cri. Il voulut se relever, mais un pic de douleur fusa dans son épaule et il se laissa retomber sur sa couche. Aussitôt, le moniteur de surveillance lui injecta quelques centimètres cubes d’antalgiques et bientôt son esprit se brouilla de nouveau avant de retourner aux ténèbres dont il venait d’émerger.

15 novembre 2205 TR

Tancrède plia la chemise de nuit et les draps qu’il avait utilisés durant les quarante-huit heures passées à l’hôpital. Étant donné que tout allait partir directement aux buanderies générales pour être lavé, c’était inutile ; néanmoins, son sens de l’ordre lui enjoignait de le faire. Il salua ses compagnons de chambre en leur souhaitant un prompt rétablissement puis quitta les lieux d’un pas rapide, trop heureux de sortir enfin. Après deux jours dans l’isolement de l’hôpital, il comprenait mieux l’impatience de Liétaud au bout d’une semaine !

D’ailleurs, à peine avait-il rempli les formalités au bureau des admissions qu’il tombait sur un comité d’accueil en salle d’attente composé de Liétaud lui-même, Dudon et quelques hommes de son unité. Le géant flamand poussa un cri de joie.

« Tancrède de Tarente ! Par tous les saints, te voilà enfin ! »

En deux enjambées, le jeune homme fut sur lui et l’enlaçait de ses bras puissants pour le soulever. Tancrède, dont plusieurs parties du corps étaient encore pansées de mousse nanochir, fit la grimace, mais ne put s’empêcher de sourire.

« Liétaud, gros balourd, attention ! s’exclama Dudon au milieu des rires. Tu veux donc le renvoyer sur le billard ? » Puis, tandis que Tancrède retrouvait le sol, il enchaîna : « Comment ça va, chef ? Nous sommes venus plusieurs fois depuis votre admission, mais les visites sont interdites ici.

« Ça va, ça va, les amis, répondit Tancrède en leur donnant tour à tour des tapes amicales sur les bras. J’avais de nombreuses blessures, mais aucune d’une réelle gravité.

— Évidemment, dit Liétaud, il en faut bien davantage pour venir à bout du héros de la croisade !

— Tu parles d’un héros, répondit Tancrède. Si vous n’étiez pas venu à mon secours, je ne m’en serais jamais tiré. »

À ces mots, Liétaud Tournai l’étreignit de nouveau avec force.

« Mon ami, quel exploit tu as réalisé, mais quelle folie surtout ! J’ai vraiment cru que j’allais te perdre dans cette boucherie ! » Ses yeux s’embuèrent.

L’image de son ami volant à son secours sur le champ de bataille revint à l’esprit de Tancrède. La voix rendue rauque par l’émotion, il le serra à son tour : « Je n’oublierai jamais ce que tu as fait, Liétaud. Tu as déjà le meilleur des frères, mais moi aussi, maintenant, je peux dire que j’en ai un. »

La gorge nouée, le colosse rouquin ne trouva rien à répondre et Tancrède en profita pour s’adresser à Dudon qui les regardait, souriant de la joie simple de voir les deux amis si proches.

« Toi, deuxième classe d’infanterie ! Qui donc t’a donné l’autorisation de monter le percheron d’un Méta-guerrier ? Sais-tu qu’il s’agit d’un délit passible de deux semaines de cellule ? »

Dudon éclata de rire.

« Le pire, Lieutenant, c’est que j’ai aimé ça ! Faudra que je recommence à l’occasion. Peut-être même me présenterai-je à l’Épreuve, qui sait ? ajouta-t-il avec un clin d’œil.

— Alors, tu peux compter sur moi, je te soutiendrai, répondit Tancrède en lui empoignant chaleureusement les épaules. Tu t’en es tiré comme un chef et je te dois une fière chandelle. »

Le visage de la jeune recrue se colora brusquement et, embarrassé, il se contenta de sourire à nouveau.