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Clotilde, qui était bien évidemment de la partie, lança l’un de ses programmes depuis un terminal portable et aussitôt, comme par magie, toute une section de la barrière anti-franchissement qui défendait la route fut désactivée, nous ouvrant un boulevard vers l’extérieur, hors de la vue du point de contrôle.

Un par un, presque solennellement, les Orcas descendirent le remblai et s’engagèrent vers le nord. Dès que toute la colonne fut de l’autre côté, la barrière se réactiva comme s’il ne s’était jamais rien passé.

Nous étions enfin sortis de la Nouvelle-Jérusalem. Rien n’était gagné et il fallait encore jouer serré. Cependant, je ne pus m’empêcher de ressentir une brève exaltation à l’idée que pour la première fois depuis longtemps, nous n’étions plus sous la coupe de militaires bornés, mais livrés à nous-mêmes.

Nous étions libres. Maintenant, il fallait le rester.

Les transports de troupes de classe Orca étaient dits « furtifs », c’est-à-dire qu’entre autres, ils ne laissaient pratiquement aucune trace lorsqu’ils se déplaçaient. De plus, des brumisateurs situés au-dessus de chaque roue empêchaient la formation d’un nuage de poussière qui aurait été visible à des kilomètres et de multiples revêtements inhibaient toute détection par la plupart des moyens de recherche conventionnels. Néanmoins, une balise était intégrée à chacun d’eux afin que les satellites puissent les positionner sans problème, mais nous avions bien entendu pris la peine de les démolir.

Nous roulâmes à tombeau ouvert toute la journée. Il était impératif de couvrir le plus de distance possible avant que l’alerte soit donnée. Malheureusement, je dus me résoudre à déclencher l’ouverture des serrures du poste de l’élévateur au bout d’à peine une heure, ainsi que je l’avais promis au chef des gardes, afin qu’il puisse emmener le blessé à l’hôpital. Au départ, il était prévu de les laisser enfermés pour retarder le plus possible l’alerte. Cet incident risquait de nous coûter cher.

Et en effet, à peine trois quarts d’heure après avoir libéré les gardes, nous aperçûmes avec effroi des intercepteurs effectuer de grandes boucles au loin, à basse altitude. De toute évidence, la traque avait commencé. Comme ils ne pouvaient nous chercher qu’en visuel, c’était un peu l’aiguille proverbiale dans la botte de foin. Toutefois, si l’armée mobilisait une grande partie de sa flotte en même temps, il ne leur faudrait pas longtemps pour nous repérer.

À mesure que les boucles des engins volants se resserraient, je sentis monter en moi une affreuse angoisse qui menaçait à tout instant de se muer en panique. Si seulement nous n’étions pas sans arrêt obligés de contourner ces maudites failles qui striaient le sol de cette fichue planète ! Les relevés cartographiques dont nous disposions n’étaient pas suffisamment précis pour indiquer les plus petites d’entre elles. Or, bien qu’une faille de trois mètres de large soit petite pour des cartographes, elle n’en était pas moins infranchissable pour nous. À plusieurs reprises, nous fûmes contraints de revenir en arrière sur des kilomètres.

Dans le courant de l’après-midi, malgré tout le chemin parcouru, j’en vins à me dire que j’avais sous-estimé la difficulté de l’opération et que mon orgueil allait causer une tragédie. Par deux fois, des intercepteurs nous survolèrent et faillirent nous repérer. La fortune n’allait pas nous sourire indéfiniment ; aussi commençai-je sérieusement à envisager de tout abandonner et de nous rendre.

Vers dix-huit heures, pourtant, la chance tourna enfin.

Un fort vent descendant du nord-est se mit à souffler, soulevant aussitôt d’énormes nuages de poussière. En quelques minutes, des dizaines de kilomètres carrés de territoire se retrouvèrent plongés dans une quasi-obscurité, nous dérobant de fait aux regards des pilotes. À ce moment, nous comprîmes que la partie était gagnée. Des cris de joie et des applaudissements retentirent dans tous les Orcas.

Le soleil était presque couché lorsque nous atteignîmes enfin le point final de notre folle cavalcade. À un peu plus de cinq cents kilomètres à l’ouest de la Nouvelle-Jérusalem, aux pieds de hautes montagnes, je stoppai la colonne le long d’une faille que nous avions choisie au préalable. Peu large et très profonde, un puissant torrent y coulait, dont le grondement impressionnant parvenait jusqu’à la surface. C’était l’endroit idéal pour disparaître. Nous ne pouvions garder les Orcas. Même furtifs, ils auraient fini par être repérés un jour ou l’autre.

Une fois tout le monde à l’abri dans les combinaisons anti-froid, les buggys furent sortis des soutes et l’on y embarqua le plus de vivres et de matériel possible. En donnant un coup de main à l’arrière de la colonne, je tombai sur Pascal que j’avais à peine vu durant l’opération.

Il me sourit en hochant la tête, l’air de dire « tu t’es bien débrouillé sur ce coup-là, mon vieux ». Alors, pris d’un brusque élan d’amitié, nous tombâmes dans les bras l’un de l’autre.

« On l’a fait, souffla-t-il, ému aux larmes. On a réussi, bon Dieu !

— Attends, attends, il faut encore qu’on arrive aux grottes. Là, on pourra se dire qu’on les a battus !

— D’accord. Mais, nom de nom, je ne pensais même pas qu’on arriverait jusque-là ! »

Je ne pus retenir quelques larmes devant l’émotion de mon ami. Nous avions pris notre destin en main et désormais » rien ni personne ne nous obligerait à faire quoi que ce soit contre notre volonté. Nous étions tout simplement libres.

Mais il ne fallait pas se relâcher, pas encore.

« On ne pourra pas tout charger dans les buggys, lui dis-je en séchant mes joues. Nous allons devoir laisser une partie du matériel dans les soutes avant de balancer les Orcas dans le gouffre. Si seulement, nous avions pu récupérer seize buggys comme prévu !

— Mais non, rétorqua Pascal. Nous n’avons pas à abandonner quoi que ce soit. Il suffit de planquer ce qu’on ne peut pas charger sous des rochers, et nous reviendrons le chercher plus tard. »

Que je n’aie pas pensé moi-même à une solution aussi simple en disait long sur mon état d’épuisement. J’approuvai en lui donnant une tape amicale sur le bras.

« Bien sûr, tu as raison. Néanmoins, certains d’entre nous devront faire le chemin jusqu’aux grottes sur les marchepieds des buggys. Ça promet d’être physique !

— Bah, vu la tension nerveuse que nous avons accumulée aujourd’hui, ça ne nous fera pas de mal de nous dépenser un peu. » Il me regarda d’un air brusquement sévère. « Sauf toi, bien sûr. Si tu voyais la mine que tu as. On dirait que tu n’as pas dormi depuis une semaine ! »

Je n’avais pas besoin de me voir dans un miroir pour savoir qu’il avait raison. Cette tension, qui ne m’avait pas quitté de la journée à l’idée que l’on se fasse capturer, m’avait exténué.

Dès que les chargements furent entièrement transférés dans les véhicules légers, nous précipitâmes les Orcas, un par un, au fond du précipice où les flots en furie les engloutirent. La manœuvre présentait quelques risques, car les bords de la faille étaient instables. Heureusement, tout se déroula sans incident.

La nuit était tombée pour de bon lorsque je donnai enfin le signal de départ. Les buggys se mirent en branle et la petite caravane s’engagea vers sa destination finale. Comme certains devaient cheminer à pied, il nous faudrait beaucoup plus de temps que prévu pour arriver au terme de cette dernière étape, mais ce n’était plus un problème. Désormais, nous n’étions plus sous une menace immédiate. L’armée tenterait probablement de nous retrouver pendant quelques jours encore, mais, avec les mesures que nous avions prises avant de partir, il leur faudrait un coup de chance incroyable pour qu’ils y parviennent.