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Ainsi, notre vie se passerait désormais sur cette planète. Comme il n’y avait pratiquement pas d’espoir de revenir un jour sur Terre, tous préféraient se faire dès maintenant à l’idée de devoir survivre ici. Mais moi, je ne partageais pas cet état d’esprit. Même si je savais pertinemment qu’il était impossible qu’un petit groupe d’insurgés comme le nôtre contraigne les seigneurs à nous renvoyer sur Terre, je m’accrochais à la volonté d’essayer.

Je ne savais pas comment, ni quand, mais il faudrait bien que je revienne sur Terre ! Le contraire était tout simplement inimaginable. Jamais je n’abandonnerai Guillemette et papa.

6 novembre 2205 TR

Afin de ne pas perturber les troupes, il avait été décidé de conserver le calendrier utilisé sur le Saint-Michel, en dépit du fait qu’il ne correspondait ni au cycle de cette nouvelle planète, ni au Temps Terrestre. Ainsi, sur Akya du Centaure, demain serait le septième jour de novembre en temps relatif. Mais pour les hommes qui s’y trouvaient, ce serait surtout le jour de la première grande offensive.

Une semaine avait passé depuis l’allocution du pape. Il n’y avait toujours pas eu la moindre escarmouche avec les Atamides, mais demain, l’armée croisée lancerait enfin la première charge contre les créatures impies. La neuvième croisade allait débuter et ce ne serait plus qu’une question de jours – au pire, de semaines – avant que le tombeau du Christ soit libéré.

Pour s’assurer que les troupes soient prêtes, les séances d’information se succédaient sans relâche. Des cadres répétaient à l’infini les mêmes explications, décrivant à des milliers de soldats le théâtre des opérations, donnant à chacun les instructions spécifiques pour que l’efficacité sur le terrain soit maximale.

La 78e d’infanterie mixte I/C était réunie avec trois autres unités dans l’une des nombreuses salles d’information de la Nouvelle-Jérusalem. Les hommes s’étaient alignés avec discipline là où ils en avaient reçu l’ordre et écoutaient attentivement le discours de l’officier. Finis, les bavardages et les plaisanteries qui fusaient pendant les cours sur les Atamides. Demain, les soldats combattraient pour de bon et risqueraient leur vie, alors tous étaient parfaitement concentrés sur ce qu’on leur exposait.

Au premier rang, Tancrède suivait comme les autres les explications du cadre tout en regardant les images et les cartes qui s’affichaient en grand derrière celui-ci. Assis à sa droite, Engilbert recevait toutes ces données sur son messageur et les vérifiait au fur et à mesure sur une petite projection holo. Les répartiteurs de terrain des autres unités, tous au premier rang avec leurs officiers, en faisaient autant. Ensuite, il leur faudrait transférer ces informations dans leur exo afin de pouvoir en disposer à tout moment.

Les relations entre Engilbert et Tancrède s’étaient notablement améliorées depuis que celui-ci avait renoncé à ses idées subversives, ainsi qu’à ses mauvaises fréquentations. L’effort manifeste de Tancrède pour retrouver une foi sincère avait convaincu Engilbert qu’il cherchait réellement à s’amender. Même si la véritable foi ne se décrétait pas, c’était louable d’essayer. Cependant, le Flamand éprouvait encore un certain ressentiment envers le Normand à l’idée que celui-ci avait accaparé une partie de l’affection de Lié-taud.

L’objectif de l’offensive du lendemain était de prendre les trois villes atas les plus proches, situées à environ trois cent cinquante kilomètres au sud. Ces villes serviraient par la suite de point de départ et de base arrière pour le front principal que l’armée allait ouvrir dans les faubourgs de la plus grande cité atamide, celle où se situait le sanctuaire. Par simplification, l’état-major l’appelait la « capitale » sans qu’aucune information concrète ne permette de savoir si les Atas eux-mêmes la considéraient comme telle.

Toutes les reconnaissances aériennes avaient montré que ces trois villes étaient très actives et peu fortifiées. Des dizaines de milliers de guerriers atamides s’y trouvaient certainement. Plusieurs bombardements préventifs avaient été effectués afin d’inciter les populations civiles à fuir avant que les combats ne commencent. « Bombardements préventifs »… Tancrède avait l’habitude de ce genre d’euphémisme militaire, mais il ne put s’empêcher d’imaginer ce qu’Albéric en aurait dit.

« Quelle hypocrisie ! Les bombardements n’ont jamais rien de préventif, ils ne servent qu’à tuer. Et cette histoire de faire fuir les civils, quelle vaste blague ! Comme si nous nous préoccupions des dommages collatéraux ! »

Tancrède visualisait même l’attitude qu’il aurait eue en disant cela, s’exprimant avec de grands gestes et des expressions outragées. Il s’efforça de chasser ces pensées. Il ne savait que trop bien où tout cela l’avait conduit.

Tout à coup, les portes de la salle s’ouvrirent avec fracas et un soldat, visiblement très agité, fit irruption. Il y eut un peu de remue-ménage avec les surveillants qui refusaient de le laisser entrer, puis soudain, l’homme s’exclama :

« Mais lâchez-moi, bon Dieu ! Il faut que tout le monde sache, il y a eu un contact ! »

Un brouhaha confus s’éleva dans l’assistance. La cadre frappa du plat de la main sur son pupitre pour réclamer le calme.

« Un premier contact avec les Atamides ! continua néanmoins l’homme. Par des éclaireurs ! Ils vont arriver d’ici quelques minutes à la porte sud ! »

Ce fut comme si quelqu’un avait crié au feu. Tout le monde se leva dans la plus complète pagaille et se rua vers la sortie, sous les menaces du cadre qui voyait sa séance d’information torpillée. Tancrède croisa le regard implorant de Liétaud, puis de tous ceux de la 78. Les autres unités avaient déjà presque toutes quitté les lieux.

« D’accord, on y va nous aussi », finit-il par dire en évitant soigneusement de regarder le major Hutbert, qui désapprouvait ce genre de faiblesse. De toute façon, Tancrède devait bien admettre que lui aussi mourrait d’envie d’entendre ce que ces hommes allaient raconter.

Il emboîta le pas à Liétaud et accéléra pour rattraper le porteur de la nouvelle, qui se hâtait avec les autres vers la porte sud.

« Qui a fait le contact ? » demanda-t-il en se portant à son niveau dans la bousculade.

« Des Provençaux du contingent de St. Gilles, répondit l’autre sans s’arrêter. Dix unités ont été envoyées ce matin pour sécuriser une zone non loin du plateau. Poser des mines et des capteurs. La routine, quoi. Il y a déjà eu des dizaines de missions comme celle-là. »

L’homme s’interrompit un instant pour reprendre son souffle.

« Continue, chrétien, que s’est-il passé ensuite ? le relança Liétaud.

— Des intercepteurs avaient survolé les zones et annoncé qu’elles étaient dégagées. Aucune trace d’ennemi ! Les équipes devaient donc simplement effectuer une reconnaissance des principales failles et en profiter pour disposer un peu de matos défensif. »

Ils arrivèrent en vue de la porte sud.

« Neuf d’entre elles ont fait le boulot comme prévu, sans rencontrer de difficulté. Mais il semble qu’il y en ait une qui soit tombée dans une embuscade !

— Nom de Dieu ! ne put s’empêcher de s’exclamer Liétaud. Alors, ça y est, ça a vraiment commencé. »

De toute évidence, la nouvelle s’était propagée dans le camp, des hommes et des femmes accouraient de tous côtés. Aux abords de la porte, une foule compacte s’était formée et Liétaud, suivi de près par Tancrède, dut jouer des coudes pour se frayer un chemin. Ils arrivèrent juste au moment où les portes s’ouvraient.