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– Puisque je te répète qu’il s’est presque mis à genoux, ce fier gentilhomme! Allons, ne pleure plus. Trois mois encore, trois mois, pas un jour de plus, et tu seras comtesse de Loraydan… comtesse!…

– Le joli titre!… Oh! c’est un grand seigneur; mais le titre ne m’est cher qu’à cause de lui. Il est ce qu’il est. Il est celui que j’aime. Le sait-il? Oserai-je jamais? C’est vous qui devez le lui dire, et que ma vie, mon âme, tout ce qui est moi sera pour son bonheur…

Amauri de Loraydan, enfin, arrive à son portail. Rude et violente a été sa discussion avec lui-même. Tortueux ont été les sentiers parcourus par son esprit. Maintenant, c’est fait… Il y est. Il a trouvé la solution.

– Renoncer à elle? Jamais! Je l’aime! À la seule idée de la perdre, ma tête s’égare… Je la veux, je l’aurai… Mais… pourquoi me déshonorer? Quelle nécessité de l’épouser? Aucune!… À moi Bérengère, et aussi ses millions!… Oh! ce n’est pas de moi que l’on rira… Ma maîtresse adorée… et fêtée avec l’argent de sa dot!… Voilà ce qu’il faut qu’elle soit!…

Une dernière hésitation, ultime convulsion de conscience, et il décide:

– J’aurai cette fille! J’aurai ses millions! Et ils n’auront pas cet illustre nom de Loraydan que, par Dieu! ils convoitent, elle et son usurier de père!… Amour et fortune!… Malheur! Malheur! Malheur! à qui me tombe sous la main!…

XI LE ROI

Entré dans la cour de son hôtel, le comte de Loraydan appela son valet qui accourut:

– Brisard, demain matin, tu te rendras chez maître Turquand, et aideras son serviteur à transporter ici dix sacs. Sois armé: chacun de ces sacs contiendra dix mille livres en or…

Brisard s’inclina avec une stoïque indifférence: quelle que fût la passagère opulence de son maître, il savait qu’il n’en aurait pas miette; quelle que fût, d’ailleurs, la misère du comte, ses gages lui étaient payés avec une rigoureuse exactitude. Joie ou souffrance, confiance ou crainte, tout signe de sentiment lui était interdit. C’était une machine à exécuter des ordres. Il était dressé sans qu’il lui fût permis de laisser seulement supposer qu’il était une machine pensante. Et l’était-il?…

Raide et figée, d’une voix où il lui était défendu de mettre la moindre intonation, la machine annonça:

– Deux gentilshommes viennent d’arriver à l’instant, et attendent M. le comte dans la salle des armes.

– Qui sont-ils? demanda Loraydan. – Sansac et Essé, pensa-t-il. Ils sont bien pressés, les chers amis! les dignes valets de ce rufian de roi!

– Ce sont, répondit placidement Brisard, ce sont M. de Maugency et M. le roi…

– Le roi!…

Le grand seigneur se rua, bondit, se précipita dans la salle où se trouvait son maître, avec toutes les marques de la surprise, de la confusion, de la joie, du bonheur, de l’affection, du dévouement, s’élança vers François Ier, assis dans un grand fauteuil armorié, se prosterna à demi, et, emporté par la puissante émotion qui lui faisait oublier toute étiquette, d’un accent de sensibilité débordée de son cœur fidèle, suffoqué, il bégaya:

– Oh! sire!… Oh! sire!… Jamais je ne me pardonnerai de n’avoir pas été là!… Oh! pardon, pardon! J’ai osé parler sans être interrogé par mon roi!…

– Eh! dit gaiement François Ier, comprends donc qu’il n’y a pas de roi ici!… et tu es chez toi?

– Chez vous, sire, je suis chez vous! car tout ici vous appartient…

– Allons, c’est bien… dis bonjour à Maugency, puis tu me raconteras ton voyage.

Loraydan se jeta dans les bras de Maugency, gentilhomme très distingué de physionomie et d’allure, qui reçut assez froidement les démonstrations du comte.

François Ier était fort simplement vêtu d’un drap des Flandres de couleur sombre, qu’il portait avec toute l’élégance native des Valois. Il avait cette figure blafarde et fatiguée que lui donnaient les excès, mais au total, il semblait jouir d’une bonne santé; en tout cas, Mme Ferron n’avait pas encore paru dans cette existence; le roi n’était pas encore cet être luttant contre l’effroyable et inguérissable mal qui devait l’emporter huit ans plus tard, tel que nous l’avons présenté dans un autre ouvrage. Quant à sa visite au comte de Loraydan, il était coutumier du fait. Souvent, il lui arrivait d’aller surprendre un de ses gentilshommes favoris et de lui dire: «Allons courir les rues de Paris»…

– Eh bien, qu’as-tu fait depuis ton départ?

– Sire, dit Loraydan, ainsi que Votre Majesté m’avait fait l’honneur de me le demander, j’ai accompagné jusqu’à Angoulême les princes et le connétable, mais je me suis attaché à la personne de M. d’Ulloa. À Angoulême, j’ai quitté le seigneur espagnol qui, avec l’escorte des princes, a continué sa route vers la Bidassoa. Rentré ce jourd’hui même, je me préparais à me rendre au Louvre… C’est tout, sire.

François Ier interrogea le comte du regard. Loraydan eut un geste évasif… Maugency se recula.

– Tu peux parler devant Roland, dit le roi en ramenant le gentilhomme d’un signe bienveillant.

– En ce cas, reprit Loraydan, selon les instructions que j’ai reçues de Votre Majesté, je dirai que j’ai tout mis en œuvre pour gagner la confiance et même l’affection de M. le Commandeur d’Ulloa.

– As-tu réussi? demanda vivement François Ier.

– Au delà de mon espoir, sire. Et à tel point que ce digne seigneur m’a proposé d’aller m’établir en sa commanderie de Séville. J’ai donc mis à profit cette estime qui m’était témoignée pour essayer de décider M. d’Ulloa à intervenir auprès de Sa Majesté le roi des Espagnes dans le sens que vous m’aviez indiqué.

– As-tu traité la question du Milanais?

– Oui, sire. Et tous les jours, j’ai entretenu le Commandeur du grand désir de Votre Majesté de rentrer en possession de ce duché. Selon vos ordres, je lui ai laissé entendre d’abord qu’une paix définitive ne serait qu’à ce prix, et ensuite que votre royale reconnaissance serait sans bornes envers qui déciderait l’empereur à cet acte de justice.

– Eh bien? fit le roi qui écoutait avec une attention soutenue.

– Eh bien, sire, ces vieux hidalgos sont fins comme des renards. M. d’Ulloa ne m’a donné que des assurances générales, sans entrer dans le positif. Il m’a comblé des marques de son affection, mais n’a rien promis de précis…

Le roi se leva et commença dans la salle une promenade agitée.

– Je lui ai donné l’hôtel d’Arronces, dit-il, je lui en ai expédié les lettres de donation. Mais je ferai bien plus s’il veut parler à l’empereur avec la fermeté nécessaire. Il faut le décider, Loraydan, il le faut! Je sais quelle est sa grande influence sur l’esprit de Charles. S’il le veut loyalement, le Milanais me reviendra. Le Milanais doit me revenir. Mon honneur y est engagé. Quoi! Tu n’as pu obtenir un mot?…

– Sire, dit Loraydan, vous m’aviez donné l’ordre de n’aller pas plus loin qu’Angoulême. Je crois que si j’étais resté huit jours de plus auprès de M. d’Ulloa, j’aurais fini par le décider.

– Rejoins-le, Loraydan, rejoins-le! Parle-lui! Promets-lui ce qu’il voudra demander. J’y souscris. Il faut que l’empereur soit prêt à me rendre le Milanais quand il arrivera à Paris!