– Les dernières paroles d’Agnès! murmura sourdement Maugency.
– Oui. Ses dernières paroles. Mais, cher Maugency, pouvais-je lui dire que j’étais le roi? Réponds! Qu’aurais-tu fait à ma place? Devais-je donc mourir d’amour ou l’épouser? Le roi de France ne pouvait épouser Agnès de Sennecour. Il fallait donc bien que je me donnasse à elle pour un gentilhomme dont toute la fortune consistait en cet hôtel d’Arronces. Ainsi, elle put m’écouter! Ainsi, elle put me croire quand je lui jurais que je la conduirais aux autels! Ainsi, elle put m’aimer!…
– Et quand elle apprit que vous étiez le roi, son cœur se brisa!… «Sire, vous m’avez trompée, et j’en meurs!»
– Tais-toi, Maugency, tais-toi, dit François Ier. C’est mon remords, j’y songe parfois jusque dans nos fêtes du Louvre… C’est étrange… J’ai eu bien des maîtresses. Quand il a fallu les quitter, les unes en ont ri, d’autres en sont mortes. C’est la loi, Maugency, la triste loi de l’amour… Eh bien, tous ces souvenirs me laissent indifférent… mais je ne puis songer à Agnès sans me sentir frissonner… Pourquoi?
François Ier appuya son front brûlant au fer de la grille, et à voix basse, murmura:
– Peut-être est-ce parce que la mort d’Agnès tua deux êtres… elle… et l’enfant qu’elle portait dans son sein…
Une fois encore, Maugency tressaillit violemment. Une fois encore, il songea:
– Je ne savais pas que Philippe de Ponthus eût un fils!…
Le roi restait appuyé aux fers de la grille. Quelques larmes roulèrent sur ses joues. D’un accent assourdi, il continuait:
– Cet enfant allait naître… Il s’en fallait de moins d’un mois… Avec quelle impatience j’attendais sa venue!… Fille ou garçon, je l’eusse aimé… je l’aimais déjà!… Je lui eusse fait un sort royal, je l’eusse élevé aux marches du trône… et Agnès m’eut pardonné mon mensonge… Ce fut un jour affreux que celui où je revins la voir après cette absence de quinze jours… Elle était dans son lit, mourante… Elle me dit qu’elle savait qui j’étais… «Sire, vous m’avez trompée, et j’en meurs!» Le lendemain, elle n’était plus!… elle emportait avec elle dans la tombe cet enfant que j’eusse tant aimé!…
– Oh! songea Maugency, en pâlissant. Qui m’envoie cette étrange pensée?… Oh! qui prouve que l’enfant n’est pas venu au monde avant la mort de la mère!… Oh! il faut que demain, pas plus tard que demain, je parle de cela au roi!… Je ne savais pas que Ponthus eût un fils!… répéta-t-il pour la troisième fois.
Peu à peu, le roi s’était tourné vers le logis Turquand.
Loraydan, alors, se rapprocha de lui.
– Mes chers amis, reprit François Ier, les roses croissent sur les tombes, la vie triomphe de la mort… Depuis dix ans, c’est la quatrième fois que je viens ici. Coïncidence voulue par le destin d’amour: c’est en venant pleurer sur le souvenir d’Agnès que j’ai vu celle qui, maintenant, occupe toutes mes pensées…
Loraydan tressaillit.
Maugency haussa imperceptiblement les épaules.
– J’aime! j’aime encore! J’aime comme jamais je n’ai aimé. Mes amis, mes chers amis, quand vous aurez vu cette beauté délicate, ce charme virginal, cette grâce timide, vous comprendrez que j’aie donné mon cœur à celle qui dort là… dans ce logis…
Loraydan chancela, frappé de vertige. Il balbutia:
– Quoi, sire!… Dans ce logis!… Dans le logis Turquand!…
– Oui, dit François Ier d’un accent passionné. C’est là!… Elle se nomme Bérengère…
Une effroyable imprécation retentit dans le cœur de Loraydan et vint expirer sur ses lèvres livides. Un instant, il eut la vision de sa dague arrachée du fourreau et plantée dans la poitrine du roi.
– Cette perle fine est à moi! reprenait François Ier, gaiement. Pour la conquérir, j’ai un plan de bataille. Nous l’exécuterons à ton retour de Poitiers, Loraydan.
– À mon retour! fit machinalement le comte, sans savoir ce qu’il disait.
– Oui. Pour ces amoureuses expéditions, il me faut de la tranquillité d’esprit. J’attendrai donc que tu sois revenu. J’ai déjà gagné la femme qui veille sur cet ange. Il y a un barbon de père; nous en viendrons à bout. Moi, vous deux, Sansac et Essé; nous serons cinq. D’ici là, Bérengère m’aura remarqué, m’aura vu rôder sur ce chemin, j’aurai pu lui parler sans doute… Elle m’aimera peut-être…
Loraydan éclata de rire: ce fut terrible…
– Elle vous aimera peut-être… mais… si elle ne vous aime pas?…
– Je l’aime, moi! Cela suffit. Si elle m’aime, elle me suivra de plein gré.
Loraydan sentait sa raison lui échapper. Il fit un effort suprême et râla:
– Et si elle ne vous aime pas?…
– Eh bien, je l’enlèverai! Et je suis sûr de réussir, puisque tu m’aideras, Loraydan!…
XII LES DERNIÈRES PAROLES DE PHILIPPE DE PONTHUS
Le lendemain matin, à l’heure fixée, Roland de Maugency et Amauri de Loraydan, postés devant la grille de l’hôtel d’Arronces, virent arriver Philippe et Clother de Ponthus – le père et le fils… qu’aucune ressemblance physique ne semblait apparenter avec évidence… mais les ressemblances génériques sont si capricieuses!…
Les quatre adversaires se saluèrent.
Et sur Clother de Ponthus, Maugency et Loraydan dardèrent le même regard avide.
– Oh! il faut qu’aujourd’hui même, dans une heure, il faut que je parle au roi de ce jeune homme! songea Maugency, dont la physionomie traduisait la stupeur et le bouleversement.
– Comme il est beau! se dit Loraydan, qui eut en lui-même un terrible cri de souffrance. Messieurs, fit-il d’une voix altérée, je vous prie de m’accorder dix minutes de répit.
Les deux Ponthus s’inclinèrent en signe d’assentiment empressé et poli.
– Qu’est-ce à dire, Loraydan? fit Maugency en fronçant les sourcils.
– C’est-à-dire, gronda Loraydan… et son regard de haine brûlante dévorait Clother de Ponthus, c’est-à-dire qu’avant de me battre avec Monsieur, il faut que j’entre là!… dans ce logis!… Il faut que je parle à la fille de Turquand!
En même temps, il s’élança et heurta violemment le marteau de la porte. D’un bond, Maugency le rejoignit, le saisit par le bras, et à voix basse:
– Que fais-tu, malheureux! Oserais-tu marcher sur les brisées du roi?
– Sur les brisées de Satan, s’il le faut! Malheur au roi s’il touche à Bérengère! Malheur à ce misérable que je vais tuer! Laisse faire, Maugency! Ne t’inquiète pas de ce qui ne te regarde point! Ou alors… ou alors… malheur à toi-même!
– C’est fort bien, dit Maugency en lâchant Loraydan. Demain, si nous sommes vivants, vous aurez à me rendre compte de ces paroles.
La porte du logis Turquand s’ouvrait. Amauri de Loraydan disparut à l’intérieur et se trouva en face de Turquand lui-même.