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– C’est ici la chapelle de l’hôtel d’Arronces, dit Maugency d’une voix bizarre.

– C’est ici que repose Agnès de Sennecour, renvoya Philippe de Ponthus en écho de lointains souvenirs.

– Dégainons! Dégainons! coupe Loraydan.

Les quatre épées étincelèrent sous les pâles rayons de ce soleil d’hiver qui se levait sur Paris.

Philippe de Ponthus et Roland de Maugency s’attaquèrent froidement et, eût-on dit, avec de la lassitude, ou peut-être un regret. En quelques instants, soit hasard des marches et ruptures, soit tacite connivence, ils se trouvèrent assez loin du groupe impétueux formé par Amauri de Loraydan et Clother de Ponthus.

– Monsieur de Maugency, dit Philippe de Ponthus en poussant un coup droit, voulez-vous me dire pourquoi, tout à l’heure, vous n’avez cessé d’étudier le visage de mon fils?

– Monsieur de Ponthus, dit Maugency, qui vint à la parade, voulez-vous me permettre de vous dire que j’ignorais… oui, par le ciel, j’ignorais que vous eussiez un fils!… et de cet âge… Et de cette figure!…

Machinalement, Philippe de Ponthus tourna la tête vers son fils… et il le vit qui mettait le pied sur l’épée de Loraydan tombée sur le sol… il sourit, salua Maugency et, joyeusement:

– Vous avez vu? Votre ami désarmé!… Vous ignoriez sans doute aussi que mon fils n’a pas son pareil pour faire sauter une épée?

Là-bas, Amauri de Loraydan râlait:

– Désarmé! Déshonoré!

– Désarmé, oui. Déshonoré, non! dit Clother avec une sincère politesse.

– Achevez-moi! Tuez-moi!…

– Ramassez votre rapière!

Loraydan, fébrile, saisit son épée, en fouetta l’air et retomba en garde. La générosité de son adversaire lui poignardait le cœur. Sa haine encore imprécise devint un de ces définitifs cancers d’âme sans guérison possible. Il attaqua. Sa reprise, calculée, savante, précise et serrée, fut un chef-d’œuvre de l’art. Sa lame, contre celle de Clother, eut de rapides et secs cliquetis, et, tout à coup, il partit en grondant une imprécation. Dans le même instant, la rapière de Clother lui cingla la main d’un coup de fouet qui se traça en une longue ligne rouge… ses doigts s’ouvrirent… le fer, une fois encore lui échappa…

– Je pourrais vous tuer, dit Clother, mais…

Mais un soupir, un long soupir, un double râle, à ce moment, s’éleva derrière lui. Un sursaut le retourna… et il bondit, il se rua vers Philippe de Ponthus qui s’affaissait près de Maugency étendu sur le sol, les yeux vitreux… tous deux avaient la poitrine trouée… C’était le même coup fourré qui, jadis, les avait couchés à cette même place. Seulement, cette fois, le coup était mortel.

Maugency, sur qui Loraydan vint se pencher, n’avait plus besoin de secours: dans le râle qu’avait entendu Clother, il venait d’exhaler son dernier souffle. Maugency jamais, vous n’avez pu dire au roi François quelles étranges pensées s’étaient levés dans votre esprit alors qu’avec tant d’attention vous analysiez les traits de Clother de Ponthus! Votre soupçon, vous veniez de le confier à la mort, la seule confidente, qui sache garder un secret!…

Clother s’agenouilla, saisit dans ses mains tremblantes la tête de son père, et murmura:

– Monsieur… monsieur… êtes-vous sérieusement touché?… parlez-moi… regardez-moi…

Philippe de Ponthus ouvrit les yeux et eut pour son fils un long regard de tendresse…

– Il faut, balbutia-t-il avec effort, il faut me transporter à la maison… vite!… J’ai à te parler!… et par ma foi… je sens que je m’en vais!…

Clother se releva. Il était pâle. Un léger tremblement agitait ses lèvres.

– Monsieur, dit-il à Loraydan, voulez-vous veiller sur les blessés, tandis que je vais chercher…

Loraydan eut un vague geste d’assentiment. Clother s’élança.

Un quart d’heure plus tard, deux litières pénétraient dans l’hôtel d’Arronces. Mais lorsque Clother chercha des yeux son adversaire, il ne le vit pas. Loraydan avait disparu…

Clother fit placer le mort dans l’une des litières, et ayant soulevé son père dans ses bras, lui-même le coucha dans l’autre.

– Qui de vous sait où demeure ce gentilhomme? demanda-t-il aux gens qu’il avait amenés, en désignant le corps de Maugency.

– M. de Maugency, a son hôtel au milieu de la rue Saint-Honoré, indiqua Philippe de Ponthus.

Les deux litières se mirent en route. Rue du Temple, elles se séparèrent, celle qui portait Maugency continuant son chemin vers la Seine, et celle de Ponthus se dirigeant vers la rue Saint-Denis.

Là, presque en face de l’auberge de la Devinière, dans une vieille maison, les deux Ponthus occupaient au premier étage un assez modeste appartement composé de cinq pièces, y compris une sorte de vestibule. Comme il avait déjà fait, Clother de Ponthus enleva le blessé dans ses bras nerveux, et ainsi le monta-t-il, vigoureux et tendre, comme Énée, aux temps héroïques, emporta son père Anchise; il le coucha sur un lit, et, à la brave femme préposée à leur ménage, commanda de courir chercher un chirurgien.

– Pas de chirurgien! sourit Philippe. Ferme la porte, et écoute!

– Vous soigner d’abord, vous écouter ensuite! grelotta Clother.

– M’écouter d’abord! Obéis à mon dernier ordre. Il me reste une heure à vivre, je ne peux pas la perdre à entendre les sornettes d’un hère qui me fera mourir en latin.

Une heure à vivre… Non, quelques minutes à peine. Philippe s’abaissa soudain, une écume de sang moussa à ses lèvres, et tout à coup, il vit la Mort assise à son chevet; il ouvrit les bras et eut encore la force d’étreindre son fils en murmurant:

– Je m’en vais… adieu, Ponthus!… J’aurais voulu te dire… quand tu sauras la vérité, fuis, mon fils, mon bien-aimé fils, va-t’en hors de Paris, hors de France… Les cœurs comme le tien, partout, peuvent lutter et conquérir le bonheur… les épées comme la tienne, partout, sont précieuses… Trop tard!… Écoute pourtant l’ordre suprême… obéiras-tu?…

– En doutez-vous, monsieur!…

– Eh bien, dès que je n’y serai plus, rends-toi à mon castel de Ponthus, près Brantôme… là tu trouveras ce que j’avais à te dire… à te dire parce que tu as eu hier vingt et un ans… à te dire parce que la morte m’avait commandé de parler aujourd’hui… Là-bas… dans la salle d’armes… la panoplie… l’épée du centre… la poignée est creuse… N’oublie pas… adieu… adieu… n’oublie pas l’épée de Ponthus…

Et il expira…

XIII L’ÉPÉE DE PONTHUS

Le lendemain de l’enterrement de son père, Clother de Ponthus, obéissant à l’ordre suprême, monta à cheval à la pointe du jour et prit la route de Brantôme. C’est aux abords de cette petite ville que se trouvait le domaine de Ponthus, domaine jadis considérable alors que les Ponthus, sous les règnes de Charles VIII et de Louis XIII occupaient un rang distingué à la cour de France, maintenant domaine restreint au milieu duquel s’élevait un castel dont les deux tours rondes avaient soutenu vaillamment plus d’un assaut, au temps où des partis anglais parcouraient la province… les deux tours menaçaient ruine, le castel était délabré: sans doute Philippe de Ponthus n’avait jamais eu les ressources nécessaires pour l’entretien de ce logis, ou peut-être, dès le début de sa vie, avait-il été frappé par un de ces découragements qui font qu’un homme passe dans l’existence en voyageur qui refuse de s’intéresser au pays.