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Loraydan, alors, reboucla sa fonte, et, sans jeter un regard aux deux malandrins, reprit, au pas, en sens inverse, le chemin qu’il avait parcouru en suivant Clother de Ponthus…

Il s’en retournait à Poitiers… bon voyageur tranquille, bon gentilhomme qui s’en va, en toute loyauté, exécuter les ordres de son roi…

Mais quand il fut à dix pas, il se retourna, leva le doigt, et dit:

– Je le saurai!…

Ce fut simple et bref. Mais ce dut être terrible. Geste, voix et figure durent évoquer d’effrayantes représailles, car Jean Poterne et Bel-Argent se courbèrent en pâlissant, et grondèrent:

– Avant trois jours!…

Loraydan prit le trot, et bientôt disparut vers le nord, dans la direction de Poitiers. Et alors, Jean Poterne:

– Je ne donnerais pas un liard de notre peau si nous manquions de parole à ce démon. Il faut y aller tout de suite, et coûte que coûte tenir le marché dès aujourd’hui… Allons… préparons notre embuscade…

Clother de Ponthus était arrivé au castel, et avait mis pied à terre dans une cour envahie par les herbes. Un homme d’une cinquantaine d’années, sec et vigoureux, vint prendre son cheval qu’il conduisit à l’écurie. Puis, étant revenu auprès de Clother qui, pensif, n’avait pas bougé, cet homme demanda:

– Le sire de Ponthus s’est sans doute arrêté en chemin?… Il va arriver?…

– Non, Agénor, mon père ne viendra pas… mon père ne viendra plus jamais à Ponthus…

Le serviteur des Ponthus, gardien du castel, vit que deux larmes jaillissaient des yeux de Clother. Alors il se découvrit, et, avec une émotion grave, prononça:

– Le seigneur de Ponthus est donc mort…

– Oui, dit Clother. Mort dans toute la force de son irréductible jeunesse. Mort l’épée à la main. Mort en brave. Cette âme vaillante et tendre n’est plus… et je suis seul au monde…

Agénor, la tête baissée, avait écouté cette sorte d’oraison funèbre. Et sans doute, en lui-même, il murmurait une prière, car, finalement, il fit le signe de la croix. Alors, il dit:

– C’est donc de ce jour que vous êtes seigneur de Ponthus, maître de ces plaines, avec droit de justice haute et basse… Clother, seigneur de Ponthus, je vous salue et vous promets fidélité… Mais je dois, dès cet instant, obéir à l’ordre souvent répété de monseigneur Philippe: venez donc, car je dois vous conduire en la salle d’armes…

– C’est pour cela que je suis venu, dit Clother.

Agénor entra dans un pavillon où il logeait avec sa femme et ses deux fils. Il reparut avec les clefs du castel.

– Voici, dit-il, la porte de la salle d’armes. Vous voyez qu’elle est en fer. Pour l’ouvrir autrement qu’avec les clefs, il faudrait employer la poudre. Voici les deux fenêtres de la salle d’armes. Vous voyez que les volets en sont fermés. Ils sont blindés en fer et ferment à l’intérieur au moyen de clefs. Pour les ouvrir, aussi, faudrait-il creuser des mines dans la muraille. Rendez-moi témoignage que, tandis que tout est ouvert au castel, car il faut bien que l’air entre, n’est-ce pas? la porte et les fenêtres de la salle d’armes sont bien et dûment fermées, selon l’ordre. Jamais cette porte et ces deux fenêtres ne sont perdues de vue. Mes fils et moi, à tour de rôle, restons là, de garde.

– Je suis sûr, Agénor, que vous avez dignement observé les instructions de mon père. Entrons…

Non sans peine, le serviteur de Ponthus ouvrit la porte de fer, puis, avec des clefs, les deux fenêtres. Alors il sortit, et se retira en disant:

– J’ai l’ordre de vous laisser seul dans la salle d’armes…

Tout de suite, Clother se dirigea sur la panoplie qu’il connaissait bien pour l’avoir maintes fois admirée. Elle se composait de rapières, de dagues, d’épées, toutes lames portant la marque des grands armuriers de Tolède ou de Milan. Clother décrocha celle du centre et l’examina.

– N’oublie pas l’épée de Ponthus, murmura-t-il. Épée de Ponthus, tu ne me quitteras plus, tu seras ma fidèle compagne dans ce que mon père a appelé la conquête du bonheur.

Il dégrafa la rapière qu’il portait au côté et l’accrocha sur la panoplie à la place de celle qu’il venait de prendre. Puis il alla s’asseoir à une table en travers de laquelle, devant lui, il posa l’épée de Ponthus. C’était une arme solide et légère, toute simple, avec une poignée droite dont la garde était protégée par des volutes d’acier ciselé. À l’extrémité de cette poignée s’arrondissait une boule d’acier qui portait le blason de Ponthus. Cette boule, Clother essaya de la tourner à droite et à gauche, et après un léger effort, il vit qu’elle se dévissait. La boule retirée, la poignée de l’épée lui apparut comme un cylindre creux, ce qui n’ôtait rien à sa solidité, d’ailleurs. Un papier roulé de façon à occuper le creux, apparut, et Clother le retira aussitôt.

À la suite de ce papier, un diamant roula sur la table…

Ayant penché la poignée en la secouant, Clother vit tomber un deuxième diamant, puis un autre… Finalement, lorsque la poignée se trouva vide, il y eut douze diamants assemblés sur la table.

Clother les considéra un instant, et, avec une angoisse inexplicable venue des profondeurs de son être, murmura:

– Je ne savais pas que mon père possédât cette fortune… il ne m’en a jamais parlé…

En même temps, son regard se porta sur le papier. Il le déroula, et non sans quelque hésitation, se mit à le lire. Il était daté du 20 mai de l’an 1519. Il y avait donc plus de vingt ans qu’il avait été écrit, et l’encre en était jaunie, pâle reflet d’une passion défunte, portrait effacé par le temps, ce suprême niveleur, ultime consolateur, unique guérisseur des plaies du cœur… quand il les guérit! Voici ce que disait Philippe de Ponthus:

«Clother,

Quand vous lirez ces lignes, vous aurez vingt et un ans révolus. Mon intention, à moi, n’était pas que vous fussiez instruit de la vérité, car la vérité, pour le malheur du monde, est souvent funeste et parfois mortelle. Mais votre mère en a décidé autrement. En mourant, trois jours après votre naissance, elle m’a fait jurer de tout vous dire. Je le fais à regret. Quand vous aurez vingt et un ans, vous lirez donc ce papier. Si je venais à mourir avant ce temps, j’aurai pris soin de léguer à quelque ami sûr le secret de l’épée de Ponthus. Mais j’espère que Dieu me fera la grâce de me laisser vivre assez pour vous élever et faire de vous un bon gentilhomme.

Voici donc ce que j’ai à vous apprendre, sur l’ordre de votre mère: Clother, vous n’êtes pas mon fils…»

Clother se leva tout droit.

Il était bien pâle… et ses yeux se troublèrent… et ses mains tremblèrent…

Il déposa le papier sur la table sans avoir la force de continuer sa lecture, et, dans la vaste salle poussiéreuse, pareille au tombeau de quelque puissant amour, se mit à se promener lentement… Et les armures dressées aux quatre angles étaient comme des chevaliers soudain sortis de la mort pour le regarder pleurer…

Longtemps, bien longtemps, Clother marcha ainsi dans le silence.