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Mais c’était un cœur!

Et en ce cœur vivait la flamme des jeunesses impérissables.

Il avait donc en lui des ressources de vitalité contre les douleurs dissolvantes, et, comme un cantique d’amour filial, cette prière monta en un murmure jusqu’à ses lèvres:

– Ô vous que je vois me sourire au fond de ma première enfance, ô vous que je revois penché sur mon berceau sans que cet effort de mémoire m’étonne, ô vous qui avez guidé mes premiers rêves, vous qui m’avez enseigné la bonté, l’amour et la pitié, vous qui avez armé mon bras, ô vous de qui j’ai reçu tout ce qui fait l’honneur de ma vie, la beauté de la pensée, ô Philippe, seigneur de Ponthus, daignez me permettre de rester votre fils!… Un autre que je ne connais pas a pu me donner le jour. Vous m’avez donné l’âme, et vous êtes mon père, mon créateur… Vous êtes parti pour le long voyage d’où nul ne revient, et mon cœur est déchiré. Mais si loin que vous soyez, je vous vois près de moi, je vous entends, vous restez vivant et jeune de votre ardente, de votre indicible jeunesse. Souffrez donc, mon seigneur père, que je n’ambitionne en ce monde de gloire plus haute et plus pure que de faire dire de moi quand je mourrai: Celui-ci s’appelait Clother, digne fils du seigneur de Ponthus…

Réconforté par cette invocation, Clother revint s’asseoir et reprit sa lecture.

Le papier disait ensuite:

«Vous n’êtes pas mon fils selon la naissance…

Mais vous êtes mon fils selon mon cœur, et c’est à vous que, paternellement, je veux consacrer ce qui me reste de vie. Voici pourquoi, Clother:

J’ai aimé. Dans mon existence, il y a eu un amour unique et définitif. Mon premier amour a été aussi mon dernier amour, et je sens que jusqu’à mon dernier souffle cette affection demeurera jeune, vivante et pure, comme au premier instant où elle me pénétra… Celle que j’aimais ne pouvait être mon épouse: j’arrivais trop tard à la conquête de son cœur, mais je l’aimai assez pour l’aimer sans espoir, et elle daigna m’associer à ses douleurs…

Vous êtes né, Clother…

Trois jours après votre naissance, elle est morte…

Et c’est alors, mon enfant, mon fils bien-aimé, c’est alors, c’est dans ce moment terrible où elle succombait, et où il me semblait que la mort me saisissait moi-même, c’est dans cette affreuse minute que j’ai connu l’ineffable bonheur qui remplira ma vie de clarté, qui fait que je bénis Dieu de m’avoir fait naître… Elle me regarda…

Peut-être l’agonie avait-elle détaché déjà son âme des liens de ce monde…

Ce qui est sûr, je le jure, c’est que, dans son dernier regard, j’ai lu que cette âme venait de se tourner vers la mienne… Ô Dieu bon!… ô mon fils!… ce fut un regard d’amour…

Quand elle vit que j’avais compris et que je chancelais sous le poids de cet effroyable bonheur, elle me tendit ses pauvres mains, et elle murmura:

– Vous serez son père… et quand il aura vingt et un ans vous lui direz tout…

Elle ajouta quelques mots pour indiquer en quelles conditions elle voulait que la vérité vous fût dite, et puis elle rendit le dernier souffle… Ces conditions furent que vous seriez instruit de cette vérité dans le lieu même où elle avait souffert, et non ailleurs.

Ce lieu, mon cher enfant, c’est l’HÔTEL D’ARRONCES.

C’est là que, pour obéir au vœu de votre mère, je vous conduirai le jour même où vous aurez vingt et un ans. Cependant, il est possible que je ne puisse pas exécuter cette volonté, soit que je meure avant l’époque dite, soit qu’à cette même époque je sois séparé de vous pour quelque raison que ce soit.

C’est pour cela, Clother, que je vous écris la présente lettre.

Elle a pour but:

D’abord, de vous mettre en possession de douze diamants ayant appartenu en bien familial à votre mère qui les tenait elle-même de sa propre mère. Ces diamants ont été estimés au plus bas prix à trois cent mille livres et doivent servir à votre établissement dans la vie. Vous pouvez, vous devez en user; en hésitant à vous servir de cette somme, vous iriez expressément contre la volonté de votre mère et la mienne.

Cette lettre a comme deuxième but de vous indiquer que vous trouverez en l’hôtel d’Arronces:

1° Le nom et l’histoire de votre mère, de sa main même;

2° Le nom de votre véritable père, en une note écrite par moi; j’y ai mis quelques conseils touchant l’attitude que vous devez garder par devers lui, et j’ose espérer que vous tiendrez ces conseils pour bons et valables;

3° Un paquet de sept lettres, toutes de la main de votre père, constituant la preuve irrécusable de votre filiation;

4° Les actes vous constituant mon fils adoptif héritier légitime de mon nom, de mon titre, de ma seigneurie de Ponthus, et de tout ce que je possède;

5° Un médaillon contenant le portrait de votre mère, exécuté en miniature six mois avant sa mort par le sieur Jehan Clouet, peintre.

Le tout a été mis dans une cassette de fer pour être garanti de l’humidité. Vous aurez à forcer cette cassette, car j’en ai jeté la clef dans la Seine. Voici comment vous trouverez cette cassette:

L’hôtel d’Arronces est situé à Paris, derrière le Temple, en bordure du chemin de la Corderie, sur lequel s’ouvre sa grille d’entrée, face au terrain des Enfants-Rouges. Vous entrerez par cette grille, irez droit à l’hôtel et en ferez le tour. Une petite porte bâtarde vous permettra d’entrer dans la chapelle. Quand vous serez là, placez-vous contre la première marche de l’autel, le dos exactement tourné au tabernacle, et marchez droit au fond de la chapelle en comptant les dalles.

C’est sous la dix-septième de ces dalles, ou, pour préciser, sous la dalle qui est exactement le centre de la chapelle, que se trouve la cassette…

Avec un levier, il vous sera facile de soulever cette dalle, puis vous creuserez environ de deux hauteurs de bêche, et vous trouverez la cassette.

Adieu, mon enfant, mon fils, mon bien-aimé fils. Ma suprême recommandation serait de vous répéter la parole sacrée Tes père et mère honoreras… Mais je la modifie, mon fils, et voici mon dernier vœu, voici le dernier cri de mon cœur au vôtre:

Mon fils, quand vous saurez tout. AIMEZ ET RESPECTEZ LA MÉMOIRE DE VOTRE MÈRE!…

Recevez ma bénédiction, et je signe

PHILIPPE, seigneur de Ponthus.»

Le soleil venait de se coucher. Il y avait plusieurs heures que Clother était enfermé dans la salle d’armes du castel de Ponthus. La nuit venait lorsque Agénor, le serviteur gardien du logis, se décida enfin à entrer dans la salle. Il vit Clother, les coudes sur la table, la tête dans les mains, les yeux fixés sur le papier, bien que, dans l’obscurité, l’écriture n’en fût pas lisible. Il s’approcha en faisant quelque bruit pour signaler sa présence, mais Clother ne l’entendit pas. Quelques minutes, le serviteur demeura debout près du jeune homme, et alors, il l’entendit qui murmurait: