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Fairéol s’inclina modestement… Il n’avait pas dit un mot depuis sa triomphale entrée… Il se retirait à reculons, multipliant les salutations… Il atteignit la porte, son sac sous le bras…

– Mais, dit tout à coup don Juan, vous avez oublié une chose fort importante… Oh! oh! je tiens à tout payer, moi!… Venez ici, maître, et complétez votre note. Corentin, une plume et de l’encre, vite!

– Qu’est-ce?… balbutia l’hôte en se rapprochant.

– Asseyez-vous… Là… Maintenant écrivez: Pour avoir tiré les oreilles de maître Fairéol… six livres!…

– Monseigneur, dit Fairéol tout pâle, je ne fais jamais payer cet article-là!

– Corentin, ne m’as-tu pas dit qu’il te restait un écu de six livres? Donne-le à notre hôte… là!… Maintenant, écrivez… je tiens à payer, moi. Je ne suis pas de ces insolents qui tirent les oreilles aux gens sans payer… Écrivez!

À la manière dont ces mots furent dits, Fairéol comprit qu’il n’y avait pas de résistance possible. Et puis, que risquait-il? Qui lirait jamais cette note?… Il écrivit!

– Vous voilà satisfait… et moi aussi! dit-il avec un sourire goguenard.

Et, content d’avoir sauvé ses cent écus d’or – une petite fortune! – content d’avoir montré plus d’esprit et de finesse que cet orgueilleux gentilhomme – un gentilhomme de grand chemin, songeait-il – maître Fairéol regagna la porte, salua une dernière fois, et sortit en fermant. À ce moment, il entendit don Juan qui, distinctement, disait:

– Corentin, va donc me chercher le crieur public de la ville et me l’amènes ici…

– Qu’est-ce à dire? murmura Fairéol qui s’arrêta court.

Et il rouvrit la porte!…

– J’y vais! dit Corentin. Mais c’est fatigant. Vous m’avez fait aller trois ou quatre fois chez le gouverneur, déjà…

– Monseigneur, commença Fairéol, le crieur…

– Non, non! s’écria don Juan, qui éclata de rire. Ne le dites pas! Le crieur public est en tournée, en voyage, je sais, je sais! Mais il n’en viendra pas moins ici! Il n’en recevra pas moins, au prix ordinaire, mon ordre, qui est de crier cette note de porte en porte, la note entière, par toute la ville, dût le cri durer huit jours! Je veux qu’on sache qu’il n’en coûte que six livres pour vous tirer les oreilles. Va, Corentin, va donc!

Sans rien dire, maître Fairéol, morne et courbé, Fairéol tremblant et livide, Fairéol vaincu, s’approcha de la table et y déposa son sac. Et à côté du sac, il laissa tomber le pauvre écu de six livres.

– Maître, dit don Juan, je vous rendrai cette note quand vous viendrez tout à l’heure, m’offrir le coup de l’étrier. En attendant, reprenez ces six livres, et vite: vous les avez bien gagnées!

Chose étrange et qui montre bien que les plus fermes caractères ont leur moment de faiblesse, maître Fairéol saisit, avec une sorte d’âpreté, le malheureux écu, et l’enfouit dans sa poche en disant:

– C’est toujours cela que je lui reprends!

Une heure plus tard, lorsque Corentin eut, à son tour, dîné à la cuisine, lorsque don Juan eut distribué dans l’hôtellerie de nombreuses et riches gratifications qui lui valurent d’enthousiastes acclamations, il monta à cheval, et l’hôte vint lui donner le coup de l’étrier. En lui rendant le gobelet de vermeil, don Juan glissa à maître Fairéol la note en question. Puis, saluant de la main les gens de l’hôtellerie assemblés, il s’éloigna, suivi de Jacquemin Corentin.

Au moment de tourner le coin, Corentin se retourna vers la Tour de Vesone, et, sur le perron, il vit maître Fairéol qui, par poignées, s’arrachait les cheveux, au grand ébahissement de ses gens.

– Tu vois bien, disait don Juan. Tu t’affoles toujours pour un rien. J’ai payé, largement payé. Et l’hôte est venu en personne au coup de l’étrier. Et tu as cent écus d’or dans la fonte!

– Nonante et huit, monsieur; vous en distribuâtes deux que vous me fîtes convertir en pièces blanches.

– Déjà? Eh bien, je t’engage à devenir plus ménager de mes deniers. À propos, dès que nous aurons regagné Séville, tu me rappelleras que j’ai à faire tenir deux cents écus d’or à maître Fairéol, hôtelier de la Tour de Vesone en Périgueux.

XVI LA GRAND’ROUTE

Ils allaient au pas, rênes flottantes, donnant du repos à leurs bêtes qui venaient de fournir un rude temps de trot, et ils avaient Brantôme devant eux à plus d’une lieue encore.

Le soir venait. Au ciel s’échafaudaient et se disloquaient de tragiques décors de nuées échevelées. Les bises de décembre sifflaient au ras des bruyères et leurs folles rafales dansaient sur ces arides plateaux du haut Périgord, coupés de vaux escarpés et, par places, couverts de châtaigneraies ou de bouquets de bouleaux dont les fines ramures éployaient, gris sur gris, leurs ténues dentelles compliquées.

Don Juan était pensif. Jacquemin Corentin bavardait à tort et à travers.

– Monsieur, disait-il, voyez ces arbres dont les pieds sont jonchés de feuilles. Quelle ruse est la leur! Et quelle intelligence! Pouvez-vous me dire pourquoi, l’été, ils se couvrent de feuillage, et pourquoi, l’hiver venu, ils s’en dépouillent et le laissent tomber?… Vous ne répondez pas?… Vous ne savez pas! Je sais, moi. Et pourtant je n’étudie pas les livres comme vous. Les arbres, monsieur, madrés et retors plus qu’on ne pense, les arbres se couvrent de feuilles l’été, pour garantir leur tête des ardeurs du soleil. L’hiver, ils ont froid aux pieds, et, du même feuillage, se font une couverture pour les réchauffer… Il y a aussi une chose que je voudrais savoir…

– Tu m’ennuies. Parle à ton nez, s’il faut absolument que ta langue marche.

Corentin loucha sur son nez, d’un air aimable, comme pour le saluer, et reprit:

– Monsieur mon nez, je voudrais bien savoir pourquoi nous sommes partis de Périgueux, les premiers? Depuis Séville, nous ne perdions pas de vue la noble demoiselle…

Don Juan tressaillit et regarda Corentin de travers. Celui-ci continua:

– Pourquoi, aujourd’hui, la laissons-nous en arrière? C’est à vous que je parle, monsieur mon nez. Aurions-nous renoncé à cette poursuite indigne d’un vrai gentilhomme? Serions-nous touché enfin du courage et de la fermeté de cette malheureuse enfant?

Don Juan poussa un long soupir et frissonna…

– Répondez-moi, nez sans scrupule! Quand nous partîmes de Séville, cette vaillante fille d’Andalousie était accompagnée de deux serviteurs. Lorsque nous traversâmes les gorges de la Sierra-Morena, une nuit, vous vous éloignâtes seul… c’est à vous que je parle, mon nez! Le lendemain, la demoiselle n’avait plus qu’un écuyer près d’elle. Pourquoi?… Pourquoi?…

– Corentin!…

– Taisez-vous, mon nez! Et lorsque nous eûmes passé la Bidassoa, une fois encore, par un soir sans lune, vous me laissâtes seul. Quand nous entrâmes à Bayonne, la noble demoiselle était seule! Seule!… Pourquoi? Pourquoi? Ah! pourquoi y avait-il du sang à notre rapière, à telles enseignes que je dus passer une heure à la fourbir et faire reluire comme devant?