Et à ces mots, les larmes jaillirent de ses yeux.
Et, tout en pleurant, il se dirigea vers la porte; et cette fugitive émotion qui venait de s’emparer de lui fit ce que n’aurait pu faire la plus habile mise en scène: il ne fut pas ridicule… il fut touchant. Il ne s’en alla pas comme le vaincu d’un duel, il se retira comme un vaincu d’amour…
Un instant plus tard, Clother de Ponthus entendit le galop de deux chevaux sur la route: c’étaient Juan Tenorio et Jacquemin Corentin qui s’élançaient vers le nord… vers Paris!
Alors, il s’approcha de Léonor et s’inclina silencieusement, avec une sorte de timidité qui lui donnait tant de charme. Lorsqu’il se redressa, son regard se croisa avec celui de Léonor. Quelques instants, elle le considéra. Avec cet instinct sûr et profond de sa loyauté, elle l’étudiait…
– Monsieur de Ponthus, dit-elle, à un gentilhomme tel que vous, je n’offrirai pas quelque banal remerciement, mais vous me permettrez de vous assurer que votre chevaleresque attitude m’a été au cœur. Je ne vous oublierai pas dans mes prières, et lorsque mon père me demandera comment j’ai été assez folle pour entreprendre seule ce long voyage, je pourrai lui répondre que j’ai bien fait, puisque Dieu devait vous mettre sur mon chemin…
– Madame, dit Clother, vous récompensez trop généreusement une action bien simple. Et d’ailleurs, peut-être n’ai-je eu aucun mérite à intervenir au moment où ce gentilhomme vous voulait imposer sa présence.
– Que voulez-vous dire?
– C’est une assez étrange histoire, et je doute que vous puissiez me croire. Cependant, je vous assure sur l’honneur qu’elle est vraie. Ce matin, donc, ayant offert mes remerciements et une suffisante récompense aux bonnes gens chez qui le Commandeur d’Ulloa m’avait transporté blessé et mourant, je montai à cheval avec l’intention de continuer mon chemin vers Paris. Mais à peine eus-je fait cent pas que je m’arrêtai court, et bientôt je fis demi-tour, pour me diriger vers la Grâce de Dieu… c’est la maison même où vous êtes. J’étais fort étonné de cette résolution soudaine et j’essayai même de résister. Je n’avais rien à faire ici. Et pourtant, une véritable force m’y poussait. Je vous l’assure: c’est malgré moi que je suis venu…
– Malgré vous? tressaillit Léonor.
– Comment pourrais-je vous expliquer ce qui s’est passé en moi? De grands intérêts m’obligent à me trouver à Paris aussitôt que possible. Une ardente, une inapaisable curiosité dont je suis obligé de vous taire la cause me pousse à Paris… et pourtant, malgré moi, je tournais le dos à Paris… c’est vers cette maison que je me dirigeais. Dans le temps même où je me reprochais de perdre un jour, je me disais à moi-même: Il faut aller à la «Grâce de Dieu…» il le faut!… Vous voyez, madame, que si mérite il y a, ce mérite revient tout entier à la force inconnue qui m’a conduit jusqu’à vous.
– C’est étrange, en effet, dit Léonor pensive. Mais je vous crois, monsieur. Je vous crois d’abord parce que vous me semblez digne de toute confiance; ensuite parce que moi-même… un jour… un triste jour qui n’est pas encore très éloigné… j’ai prononcé des paroles que ne me dictait pas ma volonté… j’ai parlé comme si cette force inconnue qui vous a guidé se fût substituée à moi dans ce que j’avais à dire.
– Peut-être est-ce la même force, murmura Clother.
– Peut-être! dit Léonor.
Il y eut un moment de silence pendant lequel ils se regardèrent avec une sorte de sympathie irraisonnée. Il leur sembla, à tous deux, qu’ils se connaissaient bien et qu’ils étaient amis. Et Clother reprit:
– Maintenant, madame, que prétendez-vous faire?…
– Mais… continuer ma route vers Paris où il faut que je parvienne le plus tôt possible.
Clother hésita quelques instants, puis ce fut tout naturellement et tout simplement qu’il offrit:
– Vous avez pu voir, madame, quels dangers vous peuvent menacer, ou tout au moins à quelles importunités vous pouvez être exposée en voyageant seule. Daignez donc me permettre de vous escorter jusqu’à Paris. Je vous servirai de garde du corps jusqu’au jour où vous serez en parfaite sécurité auprès du Commandeur.
Léonor fit un mouvement, et son beau sourcil fin se contracta. Ce fut presque sèchement qu’elle répondit:
– Je dédaigne les importunités, et quant au danger, j’aime à le braver. J’aime mieux être seule sur la route, monsieur: je vous remercie de votre offre courtoise.
– Et moi, dit Clother avec douceur, je ne permettrai pas que vous vous exposiez, je respecte votre volonté de voyager seule. Je vous suivrai donc à distance, prêt à accourir à votre premier appel.
Elle eut un joli geste d’impatience. Tout ce qu’il y avait encore en elle d’enfant gâté et volontaire se révolta contre cette protection qui s’imposait. Elle entendait ne pas être protégée… À ce geste, Clother se recula de deux pas, comme pour prendre congé. Il paraissait mortifié, et sa timidité lui revenait.
Léonor s’avança vivement sur lui et tendit une main adorable sur laquelle il se pencha, sur laquelle il déposa un baiser léger comme un souffle, respectueux comme un hommage.
– Vous serez près de moi, dit-elle gaiement. Je suis une tête un peu folle, voyez-vous, et habituée à satisfaire tous mes caprices. Une irrésistible confiance m’entraîne vers vous. Soyez donc mon compagnon de voyage jusqu’au moment où j’aurai rejoint mon père.
– Madame, dit Clother, vous êtes toute la générosité.
Ils sortirent. Léonor trouva son genêt attaché au contrevent d’une fenêtre. Ponthus l’aida à se mettre en selle, monta lui-même à cheval, et tous deux se dirigèrent dans la direction d’Angoulême.
Bel-Argent les suivait.
Ils se parlaient peu. Clother était timide. Léonor d’esprit fier, était tout à ses pensées. Tous deux étaient des affligés: l’un ne songeait guère qu’à cette mère dont il allait trouver le portrait et l’histoire en l’hôtel d’Arronces, et l’autre évoquait l’image de la morte chérie dont elle portait le deuil en son cœur.
Mais, parfois, à la dérobée, ils se jetaient un regard.
Entre eux, il n’y avait qu’un commencement de sympathie. Mais au fond de chacun d’eux, dans ces profondeurs de conscience où l’esprit pénètre si rarement, et avec quelques difficultés!… oui, tout au fond de l’être ignoré qu’ils portaient dans leur être visible, doucement, se levait, bien pâle, bien timide encore, l’aube de leur mutuelle admiration… C’était une aurore, une douce aurore à l’horizon de leur vie.
XVIII LE MÉDIUM
C’était dans une pauvre chambre d’une assez mauvaise auberge d’un faubourg d’Angoulême: la première que Juan Tenorio eût trouvée en entrant dans la ville. Il s’y était arrêté, brisé de fatigue, lui semblait-il; en réalité, terrassé par le chagrin. Don Juan souffrait. Don Juan pleurait en son cœur. Don Juan connaissait-il donc le véritable amour?