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– Et je ne m’en repens pas, disait Reyna-Christa. Le pourrais-je? Est-ce que je sais seulement si j’ai une pensée à moi, un rêve où tu ne sois pas, une volonté qui ne soit pas la tienne? Tu es venu, Juan, et tu m’as pris mon âme. Est-ce que je puis me repentir?

– Il ne faut pas, vois-tu. Et pourquoi te repentirais-tu? Quel blasphème ce serait, Seigneur!

– Mais, mon père? soupira-t-elle en tremblant.

– Ton père? Eh! ton père te dira devant moi: «Tu as bien fait, chère Christa, tu as très bien fait d’aimer ce bon Tenorio qui t’aime tant!»

– Est-ce bien sûr? fit-elle, palpitante. Oh! dis, es-tu bien sûr que Sanche d’Ulloa ne mourra pas du déshonneur que j’ai apporté à son nom?

– Quel déshonneur?… Tenorio vaut Ulloa, je pense, pour l’antiquité de la race et les hauts faits!

– Ce n’est pas cela, cher Juan. Je suis en faute. C’est un crime, tu le sais!

– Quelle enfant! Quelle enfant tu fais! Mais c’est qu’elle frissonne!…

– J’ai peur, murmura-t-elle, défaillante.

Il la saisit dans ses bras, la réchauffa de ses baisers, puis se recula pour la contempler.

– Comme tu es belle! Mais vrai, comme tu es enfant! Eh bien, écoute: Tu connais bien ce bon père franciscain, le révérend Dominique? Je l’ai conquis, ce digne moine, et demain… demain il consent à nous unir. Ha! Que dis-tu de cela? Allons bon! Voilà qu’elle pleure!

Elle était toute blanche de son bonheur: elle se tenait toute droite, sans un geste, et de ses yeux levés vers le ciel, les larmes, les douces larmes de ravissement, une à une, tombaient, et une à une, son amant les buvait. Et elle balbutiait:

– Demain! Oh! cher, cher Juan, comme tu es bon d’avoir pitié de moi! Tu dis demain? Quel jour béni ce sera demain! Demain, je naîtrai une deuxième fois à la vie! Oh! le beau matin, mon cher Juan, cher époux de mon cœur! oh! tant de joie dans ce ciel pur et dans le ciel de mon âme!

– Mais… mais… mais, calme-toi! disait-il en riant. Demain, sur le coup de midi, dans la chapelle de Saint-François, si révérée de ton vieux père, tu seras mon épouse devant les hommes, comme tu l’es déjà devant Dieu…

– Demain! Mais, seigneur! D’ici à demain, nous n’aurons jamais le temps de tout préparer! s’écria-t-elle en riant à travers ses larmes. Comment trouver des témoins? Y songes-tu, mon Juan? Il faut des témoins…

– D’abord, dit-il gravement, nous en avons déjà un, le plus doux, le meilleur, Christa: ta mère! Ta mère qui dort dans la chapelle de Saint-François, ta mère qui nous regarde et nous bénira…

Elle jeta un cri, tomba à genoux, et l’ineffable prière qu’elle murmura eût fait frissonner cette mère qu’elle invoquait… mais sa mère n’était pas là!

Et lui?…

Lui!… Eh bien, il était sincère. Tout ce qu’il disait était scrupuleusement vrai!

Sa prière finie, Christa saisit les deux mains de Juan et les couvrit de baisers. Il la releva et la tint dans ses bras.

– Ensuite, dit-il, écoute: ils ne savent pas qui j’épouse. Ah! je te jure que leur curiosité est à vif. Qui diable peut consentir à épouser cet écervelé de don Juan? Je veux leur donner une bonne leçon. Vois-tu leur ébahissement, demain, quand ils te verront, quand je leur dirai: voilà, seigneurs, Juan Tenorio épouse la plus noble, la plus pure, la plus belle!

– Et qui sont-ils? fit-elle avec une adorable impatience.

– Rodrigue Canniedo, le fils du sénéchal; Luis, seigneur de Zafra; Fernand, comte de Girenna; don Inigo de Veladar, voilà les témoins. Les quatre plus beaux noms de Séville. Les fous veulent absolument me fêter aujourd’hui, et, une heure après midi, je dois dîner avec eux, chez Canniedo.

– Et je veux, dit-elle, que ma nourrice, ma bonne Nina, soit présente demain. Et aussi dona Elvira, ma duègne. Et ma chérie, ma Léonor!… Canniedo est notre cousin, réfléchit-elle; je suis surtout contente que celui-là assiste à notre union.

Au nom de Léonor, Juan Tenorio avait tressailli. Mais il dit:

– C’est pour cela que j’ai choisi Rodrigue le premier. Mais enfin, enfin! je connaîtrai donc ta chère Léonor! Dire que je n’ai pu la voir encore! Comme, par tout ce que tu m’en dis, elle doit être aimable… et si belle!

– Belle? fit Christa dans un sourire. Figure-toi l’aurore un jour de printemps, voilà le teint de Léonor. Figure-toi l’harmonie de nos harpes, voilà la voix de Léonor. Figure-toi le sourire d’un bouquet des plus jolies fleurs de prairie, voilà l’esprit de Léonor…

Juan Tenorio avait baissé la tête… Il écoutait…

– Que rêves-tu, cher Juan, que rêves-tu? Dis-le-moi.

Il tressaillit encore et dit:

– Quant à ton père, voici: demain, après la cérémonie, je monte à cheval… Nuit et jour, autant que mes forces me le permettront, je voyagerai jusqu’à ce que j’aie rejoint Sanche d’Ulloa.

Une ombre voila le bonheur de Christa, comme ces nuages qui passent sur le soleil. Mais c’était une vaillante fille et le repos de son père passait, dans son cœur, avant ses propres joies.

– Nous séparer si longtemps! dit-elle. Quelle douleur ce sera pour toi, mon Juan! Et pour moi! Mais va, je te comprends. Dieu te conduise et t’inspire les paroles qu’il faudra!

Ils étaient arrivés à une petite porte percée dans le mur d’enceinte et ouvrant sur une ruelle. Don Juan reprit:

– Tu as compris? Quand je serai resté huit jours seulement près d’Ulloa, il m’aimera, j’en réponds; il ne pourra plus se passer de moi. Alors, je lui avouerai tout: notre amour, notre faute, notre mariage. Et, m’agenouillant devant lui: «Noble seigneur, lui dirai-je, n’effacerez-vous pas la faute en bénissant votre fils?…» Et il nous pardonnera, c’est sûr.

Et don Juan ne mentait pas.

C’est bien ainsi qu’il voulait agir. Tel était bien le plan qu’il était résolu à exécuter.

– C’est sûr, répéta Christa, toute frémissante de joie. Cher fiancé, ta résolution est comme ces baumes qui brûlent et font souffrir, mais qui guérissent la plaie. Je serai digne de ton courage, tu ne me verras pas pleurer à ton départ. Va, maintenant, car voici le jour… Non… reste encore… Oh! ne pas te voir jusqu’à ce soir!

– Mais, tu sais, à midi, comme tous les jours, tu me verras passer sous tes fenêtres…

– Te voir un instant, de loin, c’est si peu! Mais c’est égal, n’oublie pas. J’attends toujours midi avec tant d’impatience! Allons, pars. On sonne la cloche pour le réveil des serviteurs. Adieu, cher Juan, Sainte Madone, dit-elle en joignant les mains. Notre-Dame de la Miséricorde, soyez assez bonne pour toujours donner bonheur, force et prospérité à Juan Tenorio, mon noble époux! Et que béni soit-il pour tant de félicité qu’il daigne m’apporter en cette douce matinée, aube de ma vie!…

IV LA FOUDRE TOMBE SUR LE PALAIS

Onze heures sonnèrent à l’horloge de la chambre de travail, dont les trois fenêtres donnaient sur la rue de las Atarazanas. C’était une très belle salle ornée de fauteuils à grands dossiers, de vastes armoires, de riches bahuts, magnifiques meubles sculptés dans ce goût imaginatif et brillant de la renaissance espagnole.