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Léonor, ô Léonor, c’est vous que j’attendais, c’est vous qui étiez cette espérance sommeillante en mon cœur, c’est vous qui étiez ce rêve par quoi mes heures étaient bercées, c’est vous qui étiez ce parfum qu’exhalaient les fleurs, et cette brise qui rafraîchissait mon front, et ce ciel d’un bleu de satin, vous étiez l’univers… Léonor, ô Léonor, recevez l’humble prière de celui qui pleure en murmurant votre nom béni, soyez-lui pitoyable, daignez lui permettre de vous offrir sa vie, et sa pensée, et son cœur, et son âme, et son être entier; ne vous écartez pas, ne le repoussez pas hors du chemin embaumé que vous parcourez, ô Léonor. Qu’êtes-vous? oh! dites, qu’êtes-vous? Êtes-vous ce lis immaculé dont la blancheur suave éclaire le jardin de mes rêves?

Êtes-vous cette aube infiniment pure en ses teintes de mauve et de rose, qui se lève sur l’horizon de ma vie? Êtes-vous cet astre d’or qui, du haut des cieux pleins de mystère, laisse tomber sur mes nuits un regard de douceur? Êtes-vous ce songe enchanté qui m’emporte vers des pays inconnus, vers une patrie de joie et de bonheur? Léonor, ô Léonor, vous êtes tout cela, et vous êtes bien plus encore, et, dans le langage des hommes, il n’est pas de mots capables de dire ce que vous êtes. Ô Léonor, recevez ma prière et mes larmes en humble offrande de ma vie. Ô Léonor, soyez-moi gracieuse, vous qui êtes toute grâce; soyez-moi pitoyable, vous qui êtes toute pitié…

Ainsi, en des termes obscurs que nous avons – absurde et vaine tentative! – essayé de traduire en paroles écrites, ainsi, en des pensées imprécises qui le faisaient trembler, s’élevait du cœur de Ponthus la sublime prière d’amour, le noble cantique où pas une fois le mot amour ne se formula, parce que son être entier n’était qu’un cri d’amour…

XX L’AUBERGE DE LA DEVINIÈRE

On frappa violemment à la porte. Clother sursauta, courut ouvrir. C’était Bel-Argent.

– Monsieur, il est arrivé! Il est dans la grande salle avec son impudent grand flandrin de valet, l’homme au faux nez!

Clother n’eut pas besoin qu’on lui dit de qui il s’agissait.

Il, c’était ce gentilhomme espagnol qu’il avait blessé en l’auberge de la Grâce de Dieu… Il, c’était Juan Tenorio!… Deux minutes plus tard, Clother de Ponthus, tout pâle, faisait irruption dans la grande salle de la Devinière, alors remplie d’écoliers et de jeunes seigneurs vidant leurs derniers pots avant le couvre-feu.

Du premier coup d’œil, dans la foule, il vit don Juan. Il ne vit que lui.

Don Juan dans un angle de la salle était assis à une table couverte d’une nappe éblouissante et chargée d’argenterie. Tout de suite, avec son autorité de vrai grand seigneur, il s’était imposé; les garçons de salle ne s’occupaient que de lui. Maître Grégoire achevait de noter dans sa mémoire les instructions que don Juan lui donnait pour son dîner. Mme Grégoire finissait de disposer sur la nappe ses plus belles pièces d’argenterie qu’elle sortait dans les grandes occasions, et pour les clients les plus opulents. Pour tout cela, il avait suffi de quelques regards, de quelques mots de don Juan.

Derrière lui, immobile, perché sur ses échasses, méditatif, se tenait Jacquemin Corentin.

Clother de Ponthus s’approcha, et comme il atteignait la salle où se trouvait son adversaire, il l’entendit qui, d’une voix passionnée, ardente, pleine de feu, murmurait:

– Oui, je vous aime! Comment? Pourquoi? Ne me le demandez pas. Je vous aime! Vous ne le croyez pas? Ah! croyez-en du moins mes yeux: vous pouvez lire…

– Elle ne sait lire ni écrire, observa Corentin, à demi-voix.

– Ta langue, murmura don Juan, je la donnerai aux chiens! Vous pouvez, continua-t-il, tout haut, y lire mon amour ardent et sincère, si ces yeux ne me trahissent pas en leur expression.

Clother demeura stupéfait. Le Juan Tenorio, qui parlait ainsi, était-il bien le même homme qui avait crié, clamé, sangloté devant Léonor une si passionnée déclaration? Il regarda autour de lui pour admirer celle à qui s’adressait don Juan – et il vit une jeune fille portant avec une ingénue coquetterie l’élégant costume des demoiselles de la bourgeoisie aisée.

Il la reconnut aussitôt pour la fille de dame Jérôme Dimanche, la bonne veuve qui l’hébergeait en son logis, lequel, avons-nous dit, était sis presque vis-à-vis de la Devinière.

Cette petite s’appelait Denise. Le printemps de la vie fleurissait son charmant visage. Elle avait des yeux très doux, où s’allumait une toute petite flamme de curiosité émue. Et c’est avec une admiration mêlée de doute et d’espoir qu’elle écoutait ce gentilhomme qui lui parlait d’amour.

– Vous dites que vous m’aimez, osa-t-elle. C’est jeu de prince. Comment un grand seigneur comme vous pourrait-il aimer une petite bourgeoise telle que moi?

– Grand seigneur! s’écria Tenorio en joignant les mains. Suis-je un seigneur? Êtes-vous noble, bourgeoise ou vilaine?… Je suis celui qui vous aime. Et vous, oh! vous êtes…

– Vous êtes, nasilla Jacquemin Corentin, vous êtes une princesse que le sort a oublié de pourvoir d’un titre et d’une couronne, heureuse encore qu’il ne vous ait pas obligée à servir à boire en cette auberge. Vous ne saviez pas que vous êtes princesse? Voici mon maître qui vous l’apprendra. Vous pouvez croire à ses hâbleries. Au besoin il vous épousera, il en a épousé bien d’autres, allez!

Cette fois, don Juan ne dit rien. Mais d’un rapide et subtil mouvement du pied en arrière, il atteignit d’un coup sec la jambe du malencontreux Corentin qui jeta un cri de détresse:

– Juste sur l’os!…

– C’est bien fait! jubila Bel-Argent qui, entré sur les talons de Clother, assistait à la scène.

Dans l’embrasure d’une fenêtre, une jeune et jolie lingère s’occupait à repriser des nappes. Celle-là se nommait Javotte… et à celle-là, aussi, don Juan avait déjà lancé plus d’une œillade.

Et Javotte écoutait tout cela, et jetait à Denise un regard de dépit et d’envie.

Cependant, Ponthus, ayant considéré la fille de dame Jérôme Dimanche, disait:

– Eh quoi! Est-ce bien vous que je vois ici, demoiselle Denise?

La figure de la pauvre enfant devint une rose empourprée.

Elle balbutia une vague explication à propos d’une commission que sa mère lui avait commandée pour dame Grégoire, et s’enfuit… Elle s’enfuit pour aller s’enfermer dans sa virginale chambre, et y rêver…