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– Au fait! Pourquoi n’en serais-tu pas?

– Pourquoi ne serais-je pas comte breton?

– Je ne vois pas du tout pourquoi tu ne le serais pas.

– Vous voyez!…

– Sans doute. Mais comment sais-tu tout cela d’aujourd’hui? Jacquemin se redressa, considéra don Juan avec quelque pitié, se pencha, et murmura:

– Par ma fiancée… par cette jolie petite Denise à qui vous fîtes les yeux doux. Peine inutile, monsieur, je vous en préviens: c’est moi qu’elle aime…

– Elle te l’a dit?…

– En propres termes: «J’aime le seigneur Jacquemin de Corentin, comte breton.» Voilà ses paroles. Or Jacquemin de Corentin, c’est moi. Seulement, monsieur, je vous prierai de ne pas détromper cette pauvre enfant au sujet de ma seigneurie. Elle m’aime, et c’est ce qui fait qu’elle me croit… Mais qui sait si c’est elle qui se trompe? Qui sait si elle n’a pas appris je ne sais quoi touchant ma naissance?

Don Juan écoutait tout cela avec une étrange gravité. Un soupir gonfla sa poitrine et Jacquemin se dit:

– Il ne rit plus. C’est moi qui devrais rire. Mais le ciel ne me fit point cruel.

Don Juan, doucement, reprit:

– Puisqu’elle t’aime, Jacquemin, épouse-la.

– Monsieur, dit résolument Corentin, c’est ce que je compte faire, pas plus tard que dans trois jours. Vous ne m’en voulez pas, au moins?

– Moi? Au contraire. Je suis si satisfait de ce que tu m’apprends que je veux moi-même faire ton mariage.

– Vous voulez… vous-même?

– Faire ton mariage. Ne t’en inquiète pas. Mais, dis-moi, ne m’as-tu pas informé que, quand tu te maries, il est dans ton habitude de donner ton nom à celle que tu épouses?

– En France, monsieur, c’est la coutume, et je compte m’y soumettre.

– Bon. Je donnerai donc ton nom à cette petite intrigante de Denise, puisque tu le veux absolument. Va te coucher, Corentin, va dormir et tâche de faire d’heureux rêves.

– Merci, monsieur, dit Jacquemin ému du ton de douce gravité de son maître.

Et il s’en fut chercher les heureux rêves que, si généreusement, on lui souhaitait. Mais longtemps, avant de s’endormir, il fut tourmenté par la question de savoir en vertu de quelle lubie Denise voulait qu’il fût comte breton, et par quelle autre lubie son maître tenait à faire son mariage, à lui Corentin. Il lui semblait que de cette double lubie résultait pour lui une situation quelque peu ténébreuse. Il rêva qu’il était duc, que don Juan devenait son premier valet, et que Denise lui apportait en dot un monceau de carolus d’or.

Quand il se réveilla au matin, la tête lourde et les tempes serrées, il crut que son rêve continuait, car il vit don Juan debout au pied de son lit, qui le regardait toujours grave, et qui lui dit:

– Corentin, il faut hâter cette affaire de ton mariage… habille-toi donc au plus vite.

Corentin obéit, émerveillé de voir que don Juan, renversant les rôles, l’aidait de son mieux.

Quand il fut prêt, tous deux descendirent et montèrent à cheval.

Corentin tout ébahi suivit Juan Tenorio, qui sortit de Paris par la porte de Nesle. Quand il fut arrivé à une petite lieue des murs de Paris, don Juan s’arrêta et dit:

– Cher Corentin…

– Oh! oh! songea Jacquemin. Cher Corentin!… Il me ménage!… Ô mon rêve!…

– Cher Corentin, dis-moi combien te faut-il de temps pour aller à Blois?

– À Blois? Qu’ai-je à faire à Blois?… Mettons deux jours pour aller à Blois… Mais…

– C’est pour l’affaire de ton mariage, imbécile! Deux jours pour aller, un jour de repos, deux jours pour revenir. En tout cinq jours. Tâche de te trouver à l’auberge de la Devinière dans cinq jours, si tu ne veux que je te rompe les os à coups de bâton.

– Très bien, monsieur. Vous reprenez votre naturel. J’aime mieux cela.

– Eh bien? Qu’attends-tu pour partir?

– J’attends que vous me disiez ce que je vais faire à Blois.

– Ce que tu vas y faire? Eh! ne le devines-tu point, bélître? Je te dis que c’est pour ton mariage!

– Ah!… alors, c’est à Blois que…

– Oui. Quel mal vois-tu à cela? À Blois, tu t’arrêteras à l’hôtellerie du Soleil-d’Or. Tu y resteras un jour. Et puis, tu reviendras à Paris. Tu vois comme c’est simple. Il y a sûrement une auberge du Soleil-d’Or à Blois. S’il n’y en a pas, tu iras dans une autre: n’importe laquelle.

– Un jour. Et je reviendrai. C’est fort simple, dit Jacquemin ahuri.

– Tu vois? Allons, pars. Et songe que tu cours à ton bonheur.

Jacquemin Corentin partit au pas, tout triste, tout inquiet, jugeant que sa situation devenait de plus en plus ténébreuse, et que l’affaire de ce mariage pour lequel il se rendait à Blois n’était peut-être pas aussi simple que son maître voulait bien le dire. Mais telle était l’habitude d’obéir qui s’était invétérée en lui que le bon garçon ne songea pas une minute qu’il ferait tout aussi bien de rentrer aussitôt dans Paris pour y attendre les événements. Il poursuivit bel et bien son chemin jusqu’à Blois, y trouva réellement une auberge du Soleil-d’Or (il y en avait une dans toutes les villes), y demeura une journée à boire, à s’ennuyer, à regarder d’où venait le vent, et finalement, le soir du cinquième jour, fut de retour à la Devinière.

Quant à don Juan, une fois que Jacquemin eut disparu à l’horizon, il rentra fort tranquillement dans Paris en murmurant:

– Cet imbécile eût été fort capable de me faire manquer l’affaire de son mariage avec cette petite Denise qui est bien la plus jolie fille de Paris… c’est-à-dire de la rue Saint-Denis.

XXVI L’HÔTEL DE LORAYDAN

En ce matin même, et vers le moment où Jacquemin Corentin se mettait en route pour Blois, Clother de Ponthus descendit de son logis, suivi de Bel-Argent, ayant arrêté de se rendre à l’hôtel d’Arronces.

Comme il passait dans l’allée de la maison, devant une porte par où l’on pouvait entrer chez dame Jérôme Dimanche, il se rappela qu’il avait vu don Juan Tenorio entrer la veille chez la mère de Denise. Il se dit que ce serait grand dommage qu’il advînt quelque aventure à cette douce et si naïve Denise. Il s’était promis de mettre la vieille dame en garde contre les entreprises de don Juan. Il résolut de se tenir parole, et frappa à la porte.

Comme on ne lui répondait pas, il sortit dans la rue, et vit que le logis de dame Jérôme Dimanche, de ce côté-là aussi, était fermé.

Le logis était vide. Dame Dimanche était sortie. Et sortie sa jolie Denise!…

Et ce matin-là, Clother de Ponthus ne put donner ses bons avis! Ô Jacquemin Corentin, ta destinée le voulut ainsi: dame Jérôme Dimanche ne fut pas prévenue par Clother que ton maître Juan Tenorio était un dangereux maraudeur d’amour… son imposture ne fut pas dévoilée!

Et où étaient donc allées la mère et la fille?

Tout simplement à Saint-Merri!… Oui: à l’église Saint-Merri, où elles portaient des papiers fort en règle remis le matin même par don Juan, lesdits papiers au nom de Jacquemin de Corentin! À l’église Saint-Merri, où tout fut entendu, convenu, arrangé pour la célébration du mariage dudit Jacquemin de Corentin avec la demoiselle Denise, fille unique de dame Jérôme Dimanche, veuve de Jérôme Dimanche, drapier.