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Au Louvre, force officiers, force courtisans dans les cours, dans les escaliers, dans les antichambres, une sourde rumeur joyeuse dans le vaste palais, des gens qui s’abordaient en souriant d’un air de joie, comme si quelque grand bonheur leur fût advenu.

François Ier était en conférence avec l’empereur Charles-Quint.

Amauri de Loraydan se glissa dans les groupes, et, parvenu jusqu’à la porte du cabinet royal, avisa M. de Bassignac qui, aussitôt, lui fit signe d’approcher.

– Sa Majesté vous a fait déjà demander plusieurs fois, dit le valet de chambre. Je vais la prévenir de votre arrivée.

Dans les groupes de courtisans, on ne parlait que de la grande passe d’armes qui allait se tenir proche les vieilles Tuileries, et du beau dîner qui allait s’ensuivre.

Loraydan attendit une heure, après quoi il fut introduit dans une salle où il se trouva seul. Au bout de quelques minutes, une porte s’ouvrit: un instant, à travers cette porte, Amauri entrevit la sombre figure de Charles-Quint. Mais la porte se referma aussitôt, ayant livré passage à François Ier, qui vint en courant jusqu’au comte de Loraydan.

– Eh bien? lui demanda-t-il anxieusement. Le Commandeur d’Ulloa?…

– Sire, dit Loraydan, j’ai l’honneur et le bonheur d’informer Votre Majesté que ma mission auprès de M. le Commandeur d’Ulloa s’est terminée selon le désir du roi.

François Ier tressaillit de joie, saisit le bras du courtisan, et murmura:

– Quoi! Le Commandeur consent?…

– Il m’en a donné l’assurance formelle; il est résolu, dès le prochain conseil, à indiquer fortement que le duché de Milan doit, selon toute justice, faire retour à la couronne de France.

Amauri de Loraydan s’inclina très bas, et d’une voix émue, acheva:

– Que Dieu protège le roi!…

François Ier, dans un transport, saisit le comte dans ses bras, l’embrassa avec effusion:

– Loraydan, dit-il, ton père fut un vaillant. Il est mort avant d’avoir pu être récompensé. Toi, tu es son digne fils en courage. Mais tu es aussi un précieux ambassadeur. En toi, je veux récompenser le père et le fils. Loraydan, tu rends à ton roi le plus signalé service…

– Vive le roi! dit Loraydan d’une voix contenue.

– Tu me demanderas ce que tu voudras, au nom de ton père d’abord, en ton nom ensuite. Et pour commencer, viens: je veux te présenter moi-même à l’empereur.

Par la main, il entraîna Loraydan ébloui, enivré d’orgueil et d’espoir. Avoir été présenté à l’empereur par Ulloa, c’était un simple événement, plus ou moins heureux, selon qu’il saurait en user. Être présenté par le roi en personne, c’était la reconnaissance officielle d’une haute situation à la cour de France.

Charles-Quint vit venir à lui François Ier et Amauri de Loraydan. Il eut un de ces sourires pâles qui, parfois, donnaient à sa physionomie glacée une fugitive lueur indéfinissable – la lueur louche qu’on voit à la hache sur laquelle tombe un faux jour.

– Oui, oui, pensa l’empereur. Je vois. Je sais. Voici l’envoyé de mon bon frère François. Voici le digne sacripant qui n’a cessé d’évoluer autour de mon brave Ulloa… Il faut que je m’attache cet homme… Attention! Il va être question du Milanais!

– Mon cher sire et frère, dit François Ier, voici mon meilleur serviteur qui sera aussi un bon serviteur de Votre Majesté, voici le comte Amauri, de l’illustre lignée des Loraydan. Je serais heureux qu’une part de votre impériale bienveillance revint à ce digne gentilhomme…

– Je connais M. de Loraydan, dit Charles-Quint. Je le connais et l’apprécie à sa valeur. Je l’ai vu à l’œuvre sur la route de Poitiers à Paris, comme, sur les champs de bataille, j’avais vu son père à sa rude besogne. Vous me plaisez, comte. J’ai plaisir à vous répéter que ma bienveillance vous est acquise.

Loraydan mit un genou à terre, et de la même voix émue, contenue, révélatrice d’un dévouement sans borne:

– Dieu protège l’empereur!… Dieu protège le roi!…

Et tout à coup, tandis que Loraydan se relevait, Charles-Quint, dardant sur François Ier la pâle clarté bleuâtre de son regard:

– Mon cher sire et frère, dit-il froidement, ne pensez-vous pas qu’il serait bon, en ce conseil que nous tenons, de nous adjoindre chacun un conseiller sûr et avisé, digne de toute notre confiance? Ce serait pour vous le comte de Loraydan, qui me semble au fait. Pour moi, je prendrais mon cher et brave Ulloa. Qu’en pensez-vous, mon digne frère?

– Sire, dit François Ier en s’efforçant de cacher sa joie, j’allais faire la même proposition à Votre Majesté. – Il est venu! songea-t-il avec un soupir de furieuse allégresse. Je te tiens, Charles! Je tiens le Milanais!…

– Oui, se disait l’empereur, réjouis-toi, mon bon François! Tu viens de toi-même à mon piège! Ris, va, ris de bon cœur. Rira bien qui rira le dernier. – Puisque nous sommes d’accord, dit-il, nous pourrions, séance tenante, mander Ulloa près de nous. Et il me semble que l’envoyé chargé d’appeler le Commandeur doit être, tout naturellement, M. de Loraydan. Nos deux conseillers pourront ainsi se concerter une dernière fois, en venant au Louvre…

Charles-Quint prononça ces derniers mots de sa voix dure et métallique, et d’un ton tel que François Ier tressaillit d’une sourde et soudaine inquiétude. Mais l’empereur acheva:

– Se concerter au mieux des intérêts de la France et de l’Empire qui doivent désormais s’unir et travailler à réparer leurs dissensions passées. Ah! mon frère, ajouta Charles avec expansion, si vous le vouliez, étroitement alliés, à nous deux, nous serions maîtres du monde!

– Mon frère, dit François Ier, s’il ne tient qu’à moi, la paix est assurée entre nous. Quant à une alliance, elle répondrait au vœu le plus cher de mon cœur. Comme vous, j’ai souvent pensé que le monde changerait d’aspect si nos deux épées, de loyales adversaires qu’elles ont été, devenaient jamais amies et s’engageaient à une commune besogne. Si cela vous plaît, ce sont les bases mêmes de cette alliance que nous pouvons dès ce jour examiner de concert. Va donc, mon cher Loraydan, va et reviens au plus vite avec ce digne Commandeur à qui toute ma bienveillance est acquise puisqu’il a la confiance de l’empereur.

Charles-Quint s’inclina en signe de remerciement.

– Sire, dit Loraydan, où trouverai-je M. le Commandeur?

– À l’hôtel d’Arronces, dit François Ier.

Loraydan tressaillit. Il savait pourtant que le roi avait donné l’hôtel d’Arronces au Commandeur, mais ce nom résonnait toujours en lui parce qu’il évoquait aussitôt le logis Turquand.

– Oui, ajouta Charles-Quint, à l’hôtel d’Arronces que le Commandeur tient en toute propriété de la munificence royale, et qui, dans l’esprit d’Ulloa, doit faire partie de la dot de sa fille Léonor. Allez, comte, et songez que le Commandeur vous aime au point qu’il vous considère comme un fils…

Loraydan s’inclina au plus bas, mais sans avoir compris la véritable portée de ces paroles, car le Commandeur ne lui avait jamais parlé de sa fille. Il courut aux écuries du roi, se fit seller un cheval, et sortit du Louvre au galop.