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François Ier, à son tour, avec plus de galanterie peut-être que de sincérité, mais du moins avec toute la galanterie d’un Valois, s’inclinait devant elle, baisait sa main, et disait:

– Je n’ose, madame, comparer mon chagrin à celui de Sa Majesté l’empereur. Mais dans le Commandeur d’Ulloa, je puis dire que le roi de France perd un brave et loyal ami…

– Je veux le voir! dit brusquement Charles-Quint.

– Sire, dit Léonor courbée, la maison de mon père vous est ouverte…

Et elle entra la première, de son pas ferme et harmonieux, guidant ses hôtes sans nulle ostentation de respect ou de douleur, mais avec une sorte d’instinctive majesté.

Elle entra dans la salle d’honneur…

Et le seul geste de sujette qu’elle eut en cette circonstance fut que, de la main, elle écarta doucement le digne intendant qui, tout effaré, s’empressait, – et ce fut elle-même qui, à deux battants, ouvrit la porte. Et s’avançant vers le lit funèbre dressé au milieu de la salle:

– Mon père, dit-elle, c’est un grand honneur pour votre fille Léonor que de vous annoncer l’entrée dans votre maison de Sa Majesté l’empereur, roi des Espagnes, de Sa Majesté le roi de France…

Cette sorte d’annonce ou d’introduction fut si imprévue, elle fut prononcée d’un accent de si touchante tristesse et de si noble gratitude pour la démarche des deux rois, que Charles-Quint et François Ier, d’un même mouvement, s’inclinèrent.

Un lit, disons-nous, avait été dressé au milieu de la salle d’honneur afin que le corps y fût exposé, selon la coutume espagnole.

C’était un simple lit de camp, étroit et couvert d’une draperie de soie blanche dont les plis, de toutes parts, retombaient jusqu’au tapis qui s’étendait sur le parquet.

Le Commandeur don Sanche d’Ulloa reposait là, tout vêtu de son costume de velours noir, la tête sur un oreiller de soie, les mains jointes. Une écharpe entourait le cou, pour cacher la large blessure. Le visage et les mains semblaient de cire. Les yeux étaient fermés. Mais les traits gardaient une expression de calme étrange, ce calme terrible qui s’étend sur toutes les figures humaines à l’heure vertigineuse où toute passion s’éteint à jamais…

Quatre grands flambeaux éclairaient le corps, et au chevet du lit se dressait un crucifix d’argent…

François Ier s’étant incliné devant le corps, se recula de trois pas, et en reculant, se heurta à quelqu’un qui, aussitôt, se mit à multiplier les signes de respect… c’était Amauri de Loraydan qui était entré, lui aussi, entraîné par une irrésistible curiosité, plus forte que l’étiquette, et qui, fixant sur le cadavre des yeux de sombre amertume, semblait lui demander compte de ce trop prompt départ. Le roi le saisit par le bras, et, désignant le corps d’un regard:

– Ce n’est pas lui qui me fera rendre le Milanais, murmura-t-il.

– Sire! balbutia Loraydan.

– Silence! L’œuvre que tu avais entreprise auprès du Commandeur, tu dois tenter de l’achever auprès de l’empereur lui-même. Ainsi, tâche de te faire bien venir. Les récompenses que je t’ai promises sont à ce prix!

Loraydan tressaillit de joie…

Ainsi, le roi ne mettait pas en doute qu’il eût décidé le Commandeur à intervenir. Le roi avait foi en son habileté séductrice. Ainsi, pour assurer sa fortune, il ne s’agissait que de conquérir la confiance de l’empereur Charles…

Quant à l’empereur, il s’approcha du lit, contempla le visage du mort, et on put voir deux larmes glisser lentement sur ses joues pâles… Bien peu d’hommes ont pu voir pleurer Charles-Quint! Sa douleur était profonde, et sincère l’émotion qui l’étreignait à la gorge. D’une voix mal assurée, il prononça:

– Adieu, Sanche. Adieu, mon cher compagnon. Que te dirai-je, sinon que je dormais tranquille seulement les nuits où tu veillais sur moi? Qui me conseillera, maintenant? Qui donc osera ce qu’osait ta pure amitié: à savoir de me dire la vérité, si cruelle qu’elle me fût? Hélas! je vois encore beaucoup de braves gens d’armes autour de moi, et beaucoup de bons conseillers; je vois surtout beaucoup de courtisans, mais j’ai perdu mon ami. Adieu, donc, Ulloa. Voici le dernier gage de mon affection pour toi!…

En disant ces mots, l’empereur retira le collier de la Toison d’or qui étincelait sur sa poitrine, et, soulevant doucement la tête du Commandeur, le lui passa autour du cou… Ce fut une scène rapide d’où se dégagea la poignante, la rare émotion de la sincérité.

Et l’empereur, alors, continua:

– Du moins, Ulloa tu peux reposer en paix. En ce qui concerne la recommandation que tu me fis et sur laquelle je t’engageai ma promesse, tu peux être sûr que je tiendrai parole. La dot de tes enfants, c’est l’État qui la fera. Le mariage de ta chère Léonor ici présente, je le ferai selon ton vœu…

Charles-Quint se détourna, et reprenant soudain ce ton de commandement qui, autour de lui, courbait toutes les têtes:

– Approchez, comte de Loraydan. Approchez, Léonor d’Ulloa.

Loraydan et Léonor eurent le même tressaillement. D’instinct, ils se jetèrent un rapide regard. Du même coup, ils se sentirent ennemis. Loraydan comprit que Léonor allait devenir l’obstacle à son bonheur d’amour… qu’elle allait se dresser entre Bérengère et lui! Et Léonor comprit que jamais elle ne pourrait être la femme de cet homme! Dans un éblouissant éclair qui, tout à coup, incendia son esprit, elle comprit… oui! elle comprit que jamais elle ne pourrait aimer ni Loraydan ni tout autre… ah! tout autre que celui à qui, dans ses heures d’angoisse ou de détresse, elle en appelait dans le secret de son cœur.

Oui, tous deux comprirent qu’un abîme les séparait, dans la seconde même où ils comprirent le sens des impériales paroles, et pourquoi Charles-Quint, ayant parlé de mariage, venait de dire: «Approchez, Loraydan! Approchez, Léonor!…»

Le comte de Loraydan eut comme un mouvement de recul.

Mais à son oreille, François Ier glissa ces quelques mots:

– Par le ciel, voici l’occasion, Loraydan! Tu vas entrer dans la place!

Et Loraydan frissonna dans tout son être. Avec l’incalculable rapidité que l’esprit acquiert aux minutes décisives de la vie, il établissait:

– Refuser, c’est m’assurer la conquête de Bérengère. Oui, mais c’est m’assurer la haine du roi. Enfer! Pour la conquête de la fortune, je dois tenter la conquête de la confiance de l’empereur: Accepter, c’est ma fortune faite à la cour… Damnation, c’est perdre Bérengère!…

Et en calculant ainsi, Loraydan s’avança vers l’empereur! Il s’avança, l’échine courbée, le visage respectueux… il s’avança après avoir murmuré au roi:

– Sire, j’étais déjà fiancé. Mais périsse tout amour, soit brisé mon cœur! La gloire de Votre Majesté passe avant ma vie même!

Il s’avança!…

Renonçait-il à Bérengère?

Non: simplement, il était décidé à se laisser faire, à se laisser porter par l’événement là où l’événement voudrait le pousser… politique qui a réussi à bien des gens réputés pour leur profonde science de la vie et des hommes.