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C’étaient là des secrets de famille: l’honneur du nom y était engagé. L’empereur était l’empereur: mais il n’avait rien à voir dans le secret de Christa!…

Simplement, elle répondit:

– Sire, je suis venue à Paris pour informer mon père d’un douloureux événement que je n’ai pas voulu lui apprendre par lettre: la mort de ma sœur aînée emportée en quelques heures par une fièvre que l’art même des médecins arabes fut impuissant à combattre…

À bout de forces, Léonor éclata en sanglots.

– Quoi! murmura Charles-Quint en tressaillant, tant de malheur en si peu de temps! Pauvre fille! Allons, allons, remettez-vous, Léonor!… Par Notre-Dame, je vous ferai oublier tout ce deuil, autant que de pareilles infortunes se puissent oublier. Ne pleurez donc pas…

– Sire, dit Léonor, je demande pardon de ma faiblesse à Votre Majesté… ces larmes que je répands à toute heure dans le secret de ma maison, c’est malgré moi qu’elles ont coulé devant vous.

– Elle est adorable, songea François Ier.

– Et ce Juan Tenorio, savez-vous ce qu’il faisait à Paris? reprit l’empereur.

– Belle question! se dit Loraydan. Ce Juan Tenorio est à Paris pour Léonor, c’est clair: et il a tué le Commandeur parce qu’il lui refusait sa fille…

– Non, sire, dit Léonor sans hésitation. Je ne sais pas, je ne veux pas savoir pourquoi cet homme se trouvait à Paris. Mais je suis sûre que mon vénéré père avait contre lui un puissant motif de haine, car lorsque Juan Tenorio a osé pénétrer hier jusque dans la salle de cet hôtel, le Commandeur lui a dit en quel mépris il le tenait…

– Et c’est alors que ce Juan Tenorio a meurtri mon brave Ulloa? Par le ciel, il sera cherché, on le trouvera, et il subira la mort des assassins…

Léonor tressaillit. La vaillante, la noble créature s’affirma qu’elle n’avait pas le droit de profiter de ces dispositions de l’empereur, que sa franchise immaculée ne devait pas s’abriter derrière un semblant de mensonge… Elle redressa la tête et, intrépide jusqu’au bout, se jura de dire l’exacte vérité.

– Sire, dit-elle, je hais cet homme. Mon mépris seul peut égaler l’horreur qu’il m’inspire. S’il fallait verser mon sang pour assurer la vengeance de… de mon père, dis-je, oui, je donnerais mon sang pour que meure Juan Tenorio. Mais devant Dieu qui m’écoute, je dois établir la vérité. Si mon père pouvait s’éveiller un instant, il dirait ce que je vais dire: Juan Tenorio n’a point assassiné… il a tué le Commandeur en combat singulier, et hormis la disproportion des âges, ce combat fut loyal d’un bout à l’autre. Je dois même proclamer que Juan Tenorio, d’abord, refusa la provocation de mon père. Je dois dire que mon père fut obligé de lever la main sur lui pour l’obliger à dégainer. Au premier contact, l’épée de Juan Tenorio se brisa contre celle de mon père. D’un accord tacite, les deux adversaires se servirent alors de leurs dagues: ce fut mon père qui tomba!

– Vous étiez là, dona Léonor?

– J’étais là! répondit Léonor avec une tragique simplicité.

Il y eut un long moment de silence funèbre pendant lequel les deux monarques, chacun à sa façon, admirèrent l’attitude de cette noble fille. Combien plus ils l’eussent admirée s’ils eussent compris tout ce qu’il y avait de pur, de brave, d’infiniment honnête dans ce récit qu’elle venait de faire, dans ce récit où elle lavait du crime d’assassinat ce Juan Tenorio qu’elle exécrait à l’égal du plus lâche, du plus vil des assassins…

– Ainsi, dit lentement Charles-Quint, il n’y eut point assassinat? Il y eut duel?

– Oui, Majesté; ce fut mon père qui provoqua Juan.

– Et ce fut le Commandeur qui demanda ce duel? Ce fut lui qui provoqua Juan Tenorio?

– Oui, Majesté; ce fut mon père qui provoqua Juan Tenorio.

Charles-Quint demeura un instant silencieux. Puis, se levant, il se tourna vers le comte de Loraydan:

– En ce cas, dit-il, ceci vous regarde seul, comte.

Et Loraydan, sous le regard de François Ier:

– C’est une affaire de famille, sire: ceci me regarde seul!

– Vous chercherez ce Juan Tenorio. Vous le provoquerez. Vous le tuerez.

– Je chercherai Juan Tenorio. Je le provoquerai. Je le tuerai.

Ce fut la fin de cet entretien où Léonor d’Ulloa fut fiancée à Amauri de Loraydan. Charles-Quint dit encore quelques mots de consolation à la fille du Commandeur, lui rappela qu’elle avait désormais un défenseur en son futur époux, refusa de se laisser escorter par elle hors la maison, et les hôtes royaux s’éloignèrent.

– Mon cher sire, disait Charles-Quint à François Ier, je vous serais reconnaissant d’employer votre police à veiller à ce que cette jeune fille ne quitte point Paris avant que son mariage ne soit accompli: j’y tiens.

– Sire, répondait François Ier, vous pouvez vous fier à moi. Cette gracieuse dame ne sortira de Paris qu’escortée par son époux, le comte de Loraydan…

Quelques instants plus tard, Léonor entendit le bruit sourd de la cavalcade dans le chemin de la Corderie. Alors seulement, elle se laissa tomber dans un fauteuil, et à bout de forces, s’évanouit.

À ce moment, voici ce qui se passait dans la salle d’honneur où reposait le Commandeur don Sanche d’Ulloa sur son lit de funèbre parade:

Lorsque l’empereur et le roi François avaient pénétré dans la salle, trois hommes qui s’y trouvaient s’étaient retirés sans bruit.

Au moment où les hôtes royaux sortirent de la salle, ces trois hommes y rentrèrent, et reprirent la besogne à laquelle ils s’activaient de leur mieux, pétrissant la glaise, maniant fébrilement leurs outils, modelant une longue chose encore informe, mais qui déjà prenait l’aspect d’un homme couché; l’un d’eux s’appliquait spécialement à la figure qui, bien qu’à peine esquissée, indiquait déjà une ressemblance avec la figure du mort…

Ces trois hommes étaient des sculpteurs que Léonor d’Ulloa avait mandés et auxquels elle avait donné des indications précises…

La chose à laquelle ils travaillaient avec tant de hâte méthodique, c’était la statue du Commandeur…

XXIX LE CHAPITRE DE BEL-ARGENT

Un chapitre pour ce truand, pour ce malandrin de grande route, un chapitre pour lui tout seul, c’est sans doute beaucoup d’honneur. Nous n’y pouvons rien. Dans l’histoire que nous contons, ce sacripant s’est taillé sa part; en toute justice, nous devons lui laisser cette part intacte, et ne rien lui rogner au nom de la vertu: nous devons avouer que le métier de censeur nous a toujours paru le plus haïssable des métiers. Censure donc qui voudra le malandrin qui ose s’attribuer l’honneur d’un chapitre: nous ne voulons être que le conteur impartial.

D’ailleurs, Bel-Argent, déjà, n’était plus tout à fait le sacripant de grand chemin: il avait pris l’habit d’un honnête valet; et en dépit du proverbe, nous pensons que l’habit fait tout au moins les trois quarts du moine.