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Mais lorsqu’il fut arrivé à son logis de la rue Saint-Denis, il comprit combien ces quatre journées de souffrance l’avaient épuisé.

Ce ne fut guère que cinq ou six jours plus tard que Clother se sentit redevenu à peu près ce qu’il était avant sa rencontre avec Amauri de Loraydan.

XXXI DUEL DE CHARLES-QUINT ET FRANÇOIS Ier

Cette matinée avait donc vu trois événements importants pour le drame que nous contons: le complet échec de l’imposture de don Juan Tenorio et de son audacieuse entreprise sur la fille de dame Jérôme Dimanche, échec dû à l’intervention de Bel-Argent; la rencontre du même Juan Tenorio avec le comte Amauri de Loraydan; la délivrance de Clother de Ponthus, due également à Bel-Argent, ce qui achève de démontrer que ce malandrin de grande route avait bien droit à un chapitre et même à deux chapitres pour lui tout seul.

Nous pouvons ajouter que cette même matinée vit d’autres événements qui ne laissaient pas que d’avoir leur importance au point de vue de cet autre vaste drame qui s’appelle l’histoire de France. Et c’est pourquoi nous prions le lecteur de nous suivre un instant au Louvre, dans le cabinet royal où François Ier et Charles-Quint, seul à seul, discutaient une fois de plus la question du Milanais. Discussion pleine d’embûches, curieux duel de paroles que nous voulons essayer d’esquisser, d’abord parce que la scène, en soi, ne manqua pas de pittoresque, ensuite parce que cette scène historique se rattache directement à certains épisodes du récit que nous avons entrepris. Côte à côte, l’empereur et le roi, se donnant familièrement le bras, déambulaient à travers l’immense et opulent cabinet royal, tout décoré de magnifiques tapisseries et de lambris sur lesquels serpentait la fameuse salamandre. Et sur un mot que François Ier venait de prononcer:

– Remettons, disait l’empereur, remettons, mon cher sire et frère; la mort imprévue du Commandeur Ulloa me prive d’un conseiller que j’avais chargé d’étudier tout spécialement cette question qui tient si fort au cœur de Votre Majesté… Ah! pauvre Ulloa! Tu devais, à Paris, me donner ton avis, et je m’y fusse rangé sans discussion, car je savais avec quel soin tu avais préparé la solution de ce problème!…

– Ainsi, disait François Ier, furieux et désespéré, Votre Majesté eût adopté l’avis du Commandeur?

– Sans contredit!…

Et l’empereur jetait au roi un sourire aigu, le sourire de la ruse triomphante.

Si nous étions respectueux des termes rituels, nous dirions la diplomatie triomphante. Mais les termes rituels nous effrayent, gélatineux qu’ils sont et de sens oblique.

Charles-Quint, donc, s’étant composé un visage de diplomate ou de fourberie, comme on voudra, poussa un soupir contrit.

– Sire, s’écria François Ier, il y a près de nous quelqu’un qui connaît la pensée du Commandeur Ulloa touchant le duché de Milan, quelqu’un en qui Votre Majesté a pleine confiance, quelqu’un qui possédait toute l’amitié de votre cher conseiller puisqu’il avait jugé digne d’épouser sa fille!

– Ah! vous voulez parler de votre cher conseiller à vous, du comte de Loraydan?

– Lui-même, sire; vous plaît-il de l’interroger? Je suis prêt à m’en rapporter à ses réponses.

– Vous en rapporter à ses réponses?… Admirable!… Parfait!… Je n’y songeais pas!…

Charles-Quint paraissait frappé de la justice de cette préposition et murmurait:

– En effet… Ulloa lui-même m’avait dit en quelle estime il tenait ce digne gentilhomme… Il est certain que le comte de Loraydan est dépositaire de la pensée du Commandeur… Je serais heureux d’avoir son avis et, sur ma foi, j’écouterai votre Loraydan comme j’eusse écouté mon brave Ulloa… c’est-à-dire avec la même impartialité.

– Mon cher sire, dit François Ier déjà tout radieux, je vais mander le comte…

– C’est cela, mandez le comte… c’est-à-dire… un instant je vous prie…

Charles-Quint parut se plonger en ces vastes réflexions qui viennent toujours au secours de ceux-là mêmes dont l’opinion est arrêtée d’avance, et qui n’ont nul besoin de réfléchir.

François Ier se rongeait d’impatience.

– Un instant… un instant… répétait l’empereur. C’est-à-dire… voici, mon cher frère et sire: le comte de Loraydan est Français, je crois?

– Sans doute, fit le roi étonné. Français de l’Ile-de-France.

– On ne peut mieux. En toute conscience, croyez-vous que le comte de Loraydan, Français de l’Ile-de-France, pourra donner un avis rigoureusement impartial sur une question qui, vous l’avouerez, touche les intérêts de la couronne d’Espagne, autant que ceux de la couronne de France?

– Sire, dit François Ier avec le bon sens de sa juste cause, il ne s’agit pas de connaître l’avis de Loraydan, mais seulement, par ce truchement, l’avis du Commandeur Ulloa…

– Très juste! s’écria l’empereur. Il n’en est pas moins vrai que ce bon gentilhomme ne pourra s’empêcher de faire tant soit peu pencher la balance du côté où va son cœur, c’est-à-dire vers vous, mon cher sire. Et qui pourrait lui en faire un crime? Que diriez-vous si je vous proposais de vous en rapporter aux dires d’un tel bon Espagnol après que je vous aurai juré qu’il connaît parfaitement la pensée du Commandeur Ulloa?

François Ier demeura sans réplique, mais entre ses dents il grommela:

– Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.

Et tout à coup, comme Charles-Quint le considérait avec ce même sourire d’indéfinissable ruse, le roi de France fut saisi d’un accès de colère d’autant plus terrible qu’il n’en pouvait rien laisser paraître. Il se mit à se promener avec agitation à travers son cabinet et il songeait amèrement:

«Je suis joué!… Que faire? Que dire?… Jour de Dieu! il me semble que l’heure n’est pas aux paroles, mais aux actes!… Ah! si j’osais! Si je ne craignais pas quelque reproche de félonie!… Et où serait après tout la félonie?… Ruse de guerre, tout au plus!…»

– Sire, fit-il soudain, je vous dois des excuses…

Charles-Quint tressaillit. Au son de la voix de son adversaire, il comprit que les choses se gâtaient. Il cessa de sourire. Son visage se figea. Son regard devint vitreux, et, du bout des lèvres:

– Des excuses?… De vous à moi?… Et à quel sujet, sire?

– Oui. On m’a conté l’algarade. Mon fils Henri est un peu écervelé. Et puis, si jeune encore!… On m’a assuré qu’hier, après le tournoi, ce maître fou sauta en croupe du cheval que montait Votre Majesté, qu’il eut l’audace de vous saisir dans ses bras, et de vous crier: «Sire, vous êtes prisonnier!»

Ce petit incident était parfaitement exact. Il n’avait en soi que peu d’importance. Mais il y eut une étrange vibration dans la voix de François lorsqu’il relata les paroles de son fils.

Charles-Quint se raidit. Des pensées sinistres l’assaillirent. Il jeta un prompt regard vers la porte derrière laquelle on entendait le bourdonnement des centaines de courtisans, tous bien armés, et vers les fenêtres qui donnaient sur la cour dans laquelle les mille Suisses du roi étaient rangés en ordre de parade… et de bataille. L’empereur frémit.