Выбрать главу

– Des excuses pour si peu! murmura-t-il, et il mit toute sa puissance d’indifférence en ces mots.

– Pardon, sire! des excuses: je vous les fais de bon cœur, non pas à cause du geste inconsidéré de mon fils, mais parce que je n’ai pas encore eu le courage de lui en faire le moindre reproche.

– Tout reproche est inutile, dit Charles-Quint. Le prince Henri est un charmant gentilhomme. Sa plaisanterie m’a paru digne de cette cour de France où je me sens en si parfaite sûreté…

– Hum! fit François Ier avec un éclat de rire. En parfaite sûreté?… Savez-vous, sire, le conseil que m’a donné cette bonne duchesse d’Étampes à qui, si galamment, vous baisiez la main tout à l’heure?

– Voyons, dit Charles-Quint, plus raide, plus impénétrable que jamais.

– Eh bien, elle me conseille, puisque je tiens Votre Majesté, de simplement vous garder prisonnier à Paris comme vous m’avez gardé à Madrid!… Qu’en pensez-vous, sire?

– Si le conseil est bon, dit Charles-Quint glacial, il faut le suivre.

Cette parole que l’Histoire a recueillie eut le don d’exaspérer François Ier. Il eut un geste violent; à son tour, il se raidit en une de ces attitudes de majesté que les Valois savaient prendre quand il leur fallait jouer leur rôle de roi; puis, brusquement, il marcha vers la porte.

Charles-Quint comprit que si le roi atteignait cette porte, s’il l’ouvrait, l’irréparable allait s’accomplir: l’ordre d’arrestation allait jaillir!…

Et, tranquillement, Charles-Quint prononça:

– Mais… est-ce que le comte de Loraydan ne va pas épouser une Espagnole?…

François Ier s’arrêta court… François Ier revint sur Charles-Quint, et, d’une voix altérée:

– Que veut dire Votre Majesté?…

– Je veux dire, mon cher frère et sire, que cet excellent gentilhomme est aujourd’hui exclusivement Français et qu’à bon droit, vous l’avouerez, je puis suspecter sa parfaite impartialité. Je veux dire que lorsqu’il aura épousé Léonor d’Ulloa, la moitié de son cœur au moins sera espagnol.

«Tu veux dire la moitié de ses intérêts», songea le roi.

– Je pourrai alors tenir son avis pour digne de toute ma confiance, continua paisiblement l’empereur. Sire, voulez-vous que, d’un commun accord, nous remettions toute décision concernant le Milanais au lendemain du mariage de Loraydan, bon Français, avec Léonor d’Ulloa, excellente Espagnole?

François Ier ne put s’empêcher d’éclater de rire.

«Bon! pensa Charles-Quint, dont le visage se détendit, l’arquebuse ne portera pas: la mèche est mouillée!»

En effet, déjà le roi de France oubliait cet ordre d’arrestation que l’instant d’avant il avait été tout près de jeter à son capitaine des gardes. François Ier, en lui-même, admira quel parti la subtile astuce de Charles-Quint tirait d’un simple projet d’union entre un Français et une Espagnole. Et il admira aussi que Loraydan fût ainsi devenu soudain l’arbitre des destinées d’un royaume et d’un empire.

«Si ce brave Amauri était là, songea-t-il, quel orgueil pour lui!» Charles-Quint, à ce moment, s’approchait de François Ier, et dans un mouvement d’expansion et d’abandon, qui semblait chez lui le comble de l’émotion et qui n’était que le comble de la fourberie, d’une voix grave, il prononça:

– Sire, vous passez dans le monde pour le monarque le plus loyal qui existe. On a pu vous faire bien des reproches. On a pu compter vos fautes de politique ou de guerrier. Nul n’a jamais refusé de voir en vous le roi chevaleresque par excellence. Dans notre époque, où se déchaînent les appétits où la foi jurée est si souvent oubliée, où les traités se déchirent, où la ruse et la violence dominent en maîtresses, vous êtes le dernier représentant de l’antique chevalerie. Sire, vous êtes le dernier roi chevalier!…

François Ier, tout pâle encore et les sourcils froncés, écoutait avec défiance cet éloge qui, pourtant, peu à peu, l’apaisait et dilatait son cœur, car rien n’est plus agréable à l’homme que de s’entendre décerner la qualité à laquelle, précisément, il aspire dans le secret de sa pensée.

– Aussi, continuait Charles-Quint, lorsque je vous ai vu vous diriger vers cette porte, derrière laquelle veillent vos gardes, étais-je bien tranquille, sire! Eussiez-vous même donné l’ordre de faire de votre hôte un prisonnier de guerre, ma confiance ne m’eût pas abandonné. J’étais trop certain que cet ordre, vous l’eussiez révoqué aussitôt. Mais songez, sire, songez à ce que, de vous, on eût pensé dans votre propre royaume, dans votre cœur, si l’imprudente parole vous eût échappé!

«En vain, continuait Charles-Quint l’instant d’après, j’en suis sûr, eussiez-vous déclaré que j’étais libre! Vous n’en eussiez pas moins vu la honte et l’indignation des gentilshommes qui m’eussent arrêté dans le palais où je suis venu accepter votre hospitalité. C’eût été une tache ineffaçable à votre réputation de loyauté jusqu’ici pure de tout soupçon! Notre-Dame en soit louée, je n’aurai pas à vous défendre du reproche de trahison!

Ces derniers mots constituaient un admirable mouvement tournant.

Charles-Quint se posait en suprême arbitre de la loyauté!… en défenseur de la réputation de son ennemi! François Ier n’avait plus qu’à se confondre en remerciements; il en était réduit à rougir d’avoir eu seulement la pensée de l’arrestation! Hâtons-nous d’ajouter que le roi ne sentit nullement le rouge monter à son front. Mais il ne demeura pas insensible aux adroites paroles de l’empereur qui, le voyant à peu près désarmé, s’empressa de lui porter le dernier coup:

– Mon cher sire, s’écria-t-il, tranchons une bonne fois cette sotte et irritante question du Milanais! Le beau duché, par ma foi! Et voilà une vraie pierre d’achoppement sur votre chemin! Je rougis que, pour si peu, nous ayons à réprimer la sympathie qui nous porte l’un vers l’autre!…

– À la bonne heure! dit François Ier tout heureux. Tranchons, mon frère, tranchons au plus vite!…

Charles-Quint prit place dans un fauteuil et François Ier, pour ne pas rester debout – signe d’infériorité – dut s’asseoir également. Or l’empereur disait que l’action impulsive est plus naturelle à un homme debout qu’à un homme assis; que le simple fait de se lever, d’abandonner un bon siège, fut souvent un obstacle à un acte violent, – obstacle précaire, il est vrai, obstacle tout de même. Nous n’avons pas eu occasion de faire des observations sur le bien ou mal fondé de cette remarque; nous nous en rapporterons donc à ce que disait l’empereur, car un empereur, comme l’affirmait ce bon Sanche d’Ulloa, ne saurait se tromper.

– Sire, continua Charles-Quint, je suis tout disposé à entrer dans les vues de Votre Majesté. De vous à moi, vous pouvez tenir pour certaine ma bonne volonté de vous rendre le Milanais…

– Ah! s’écria François Ier, ce serait la fin de nos discordes!

– Oui, mais que dira-t-on de moi si je vous fais ouvertement cet abandon, tandis que je suis votre hôte? Sire, on dira que j’ai eu peur. Sire, il ne faut pas que quelqu’un au monde puisse dire que l’empereur Charles a eu peur! Sire, je vous demande d’avoir de ma réputation de bravoure le même souci que je vous montre de votre réputation de loyauté… Voici donc ce que je vous propose, se hâta d’ajouter Charles-Quint avant que François Ier eût eu le temps de protester: remettons chacun nos pleins pouvoirs au comte de Loraydan… acceptez-vous ceci?