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– J’accepte de grand cœur, fit le roi avec empressement.

– Pleins pouvoirs qui ne seront valables que du jour où le comte de Loraydan sera devenu un peu Espagnol tout en restant encore un peu Français… c’est-à-dire du jour où il aura épousé la fille de mon brave Commandeur, Léonor d’Ulloa… acceptez-vous encore ceci?

– Certes, dit François Ier, qui en lui-même se faisait fort d’obliger Loraydan à demeurer plus Français qu’Espagnol. Par Dieu! sire, ajouta-t-il en riant, vous avez une singulière façon de disposer, chez ce brave Loraydan, de sa qualité de Français. Vous le faites à demi Espagnol…

– Non pas! dit gravement l’empereur. C’est son mariage qui le fait à demi Espagnol. En effet, j’ai promis au Commandeur de doter sa fille Léonor. Dans cette dot figureront, pour son époux, des prérogatives importantes qui créeront à cet époux des intérêts formels en Espagne. Il suit de là que l’époux de Léonor d’Ulloa, c’est-à-dire le comte de Loraydan, désigné comme tel par le Commandeur lui-même, aura autant de cœur à ménager mes propres intérêts qu’à soutenir les vôtres.

– Je me rends, sire: c’est Loraydan qui sera chargé de mes pleins pouvoirs en même temps que des vôtres. C’est donc lui qui décidera. C’est lui qui tranchera la question qui nous divise. Nous n’avons donc plus qu’à hâter son mariage, afin qu’il se trouve dans cette situation… à demi française et à demi espagnole que Votre Majesté dépeignait avec tant d’esprit tout à l’heure…

Charles-Quint se leva, saisit la main de son royal adversaire et, d’un accent chaleureux:

– Mon cher frère, je vous promets de me soumettre à la décision du comte de Loraydan, c’est-à-dire à une condition dont, sous quelque prétexte que ce soit, je ne saurais me départir…

– Voyons la condition! dit François Ier avec un soupir.

– La voici: notre commun ambassadeur, muni de nos doubles pleins pouvoirs dès le jour de son mariage avec Léonor d’Ulloa, m’apportera sa décision dès que j’aurai mis le pied en mes États…

– En vos États? tressaillit François Ier.

– Sire, vous n’accepteriez pas vous-même que je sois obligé de signer mon renoncement au Milanais, tandis que je suis encore en France… votre hôte… un demi-prisonnier! ajouta-t-il avec un pâle sourire. Dans mes États, au contraire, à Liège, par exemple, libre, maître de moi-même, sans apparente contrainte, mû seulement par mon désir de vous avoir à jamais pour ami et allié, poussé uniquement par l’obligation de tenir ma parole, je pourrai remettre à M. de Loraydan les signatures nécessaires, sans que je paraisse avoir cédé à la peur!… Préparez, mon frère, préparez la liste de vos revendications. Placez-y en tête mon renoncement au duché de Milan. Faites-moi apporter le parchemin revêtu de votre sceau royal. Que l’époux de Léonor d’Ulloa vienne me remettre ce parchemin en ma ville de Liège… et vous verrez, sire, oui, mon cher frère, vous verrez ce que vaut l’impériale parole de Charles!…

Ce dernier coup droit termina le dueclass="underline" percé de part en part, François Ier n’existait plus à l’état de combattant. Il serra son adversaire dans ses bras et s’écria:

– Votre impériale parole, sire, vaut tous les parchemins, toutes les signatures!…

Il y eut effusion… Il y eut échange d’éternelles amitiés, force congratulations suivies de l’éloge que chacun des deux monarques fit de son nouvel allié. François Ier exultait. Charles-Quint souriait…

– Ainsi donc, reprit le roi, à Liège?…

– À Liège! dit l’empereur avec bonhomie.

– Oui: dès que vous aurez châtié ces insolents bourgeois des Flandres… Ainsi donc, c’est Loraydan qui vous apportera la liste… vous dites la liste?…

– J’ai dit la liste, fit Charles-Quint toujours souriant. Que le comte de Loraydan me l’apporte dès le lendemain de son mariage avec Léonor d’Ulloa. – Et maintenant, mon cher sire, je veux vous demander une grâce, promettez-moi, à votre tour, de ne plus me toucher un mot de tout cela tant que j’aurai l’honneur d’être votre hôte.

– Plus un mot, sire, je vous le promets! s’écria François Ier.

– Que ceci demeure secret entre nous. Si vous le permettez, mon cher sire, j’irai dès demain matin m’installer en ce château de Chantilly que votre hospitalière sollicitude m’a désigné comme résidence pour le jour où je voudrais me reposer loin des fatigantes joies de votre cour.

– Eh quoi! Déjà quitter Paris!… Ah! Sire, laissez-moi vous montrer Paris!… Vous ne connaissez que ces fêtes de cour que justement vous appelez fatigantes. Vous ne connaissez pas Paris… Je veux, le soir, escortés seulement de quelques bons compagnons…

Charles-Quint pâlit.

Il se vit, par un soir noir, au détour de quelque méchante ruelle, assailli par les bons compagnons dont son hôte lui faisait fête… il se vit tomber au pied de quelque borne, un poignard entre les deux épaules, – et il frissonna.

– Mon frère, dit-il d’un ton bref, j’ai besoin de réfléchir à bien des choses: il me faut le repos, la solitude. Rien ne m’empêchera de gagner Chantilly dès demain… rien… sinon…

Il allait dire: sinon quelque trahison, quelque guet-apens.

– Sinon un désir formel de Votre Majesté, dit-il en souriant.

Mais François Ier, de son côté, venait de réfléchir!…

En évoquant ces nocturnes randonnées qu’il proposait à son hôte comme étant l’une des joies les plus passionnantes de son cher Paris, il venait de tout à coup se souvenir du chemin de la Corderie… de l’hôtel d’Arronces… du logis Turquand!

L’image de Bérengère se leva en lui…

Libre, débarrassé de la nécessité de faire fête à son impérial visiteur, débarrassé surtout, maintenant qu’il avait la parole de Charles-Quint, de l’obsédant souci de la question du Milanais, il redevenait le François Ier des légendaires équipées d’amour, plus jeune, plus hardi, plus ardent au plaisir que le plus hardi écolier de l’Université…

– Sire, dit-il avec empressement, à Dieu ne plaise que je veuille entraver les nobles travaux de Votre Majesté. Le plaisir a ses alarmes, et le labeur a son charme. Sans vous, le Louvre va me sembler bien vide. Mais puisque la solitude vous appelle, je vais faire préparer votre départ pour le château de Chantilly où tout est prêt déjà pour l’honneur qui lui est réservé… Vous partirez demain puisque tel est votre désir…

Ainsi fut décidé le départ de Charles-Quint pour Chantilly, d’où ensuite il devait s’élancer vers ce pays des Flandres qui, donnant son sang pour la liberté, devait se battre jusqu’à son dernier souffle en affirmant le droit qu’ont les hommes de refuser le joug des potentats…

Tel fut cet étrange entretien de François Ier et Charles-Quint, à la suite duquel le roi de France demeura convaincu qu’il venait enfin de reconquérir le Milanais, conviction qui s’effondra plus tard lorsqu’il sut enfin, de façon exacte et précise, ce que valait l’impériale parole de Charles!