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De cet entretien, nous, conteur, n’avons le droit de tirer d’autre conclusion que celle-ci:

Plus éclatante que jamais s’affirmait la fortune d’Amauri de Loraydan. Plus pressante que jamais apparut au roi François Ier la nécessité du prompt mariage de Loraydan avec Léonor d’Ulloa…

Le soir de ce même jour, en effet, au jeu de Leurs Majestés, dans les salles du Louvre illuminées de mille flambeaux de cire, égayées par les musiques si douces des violes et des harpes, décorées par la foule des seigneurs aux merveilleux costumes et hautes dames ruisselantes de pierreries, le comte Amauri de Loraydan allait de groupe en groupe accompagné de Sansac et Essé redevenus ses intimes depuis qu’il les avait payés avec l’argent de Turquand, Amauri, disons-nous, cherchait à se rapprocher de son roi pour faire sa cour, lorsqu’il fut entraîné dans une embrasure par Nancey lui-même qui lui dit: «Ne bougez d’ici le roi veut vous parler!»

Quelques minutes plus tard, François Ier, vivement, venait le retrouver, et lui disait:

– Bon. Te voilà. Où en est ton mariage avec la fille du Commandeur?

– Sire… balbutia Loraydan étourdi.

– Oui oui tu m’as déjà dit que la belle ne veut pas entendre parler de toi. C’est une mauvaise raison, jour de Dieu. Donc à quand ton mariage?

– Sire dit Loraydan, il n’y a pas d’obstacle de mon côté. Donc, dès que Mme Léonor daignera m’accepter, je…

– Non pas! interrompit François Ier. Je ne puis attendre qu’elle veuille bien. C’est à toi de la décider, et promptement!

– Je veux bien, sire. Mais comment?

– Hé! Comment décide-t-on une fille à un mariage! Arrange-toi pour que ce mariage soit inévitable, mort-Dieu!… Et fais vite!

– C’est un ordre, sire?

– Un ordre formel. Si, dans quelques jours au plus tard, le mariage n’apparaît pas à Léonor d’Ulloa comme l’unique salut de son honneur, je t’exile!

– Sire! Sire!… murmura Loraydan qui frémit de terreur.

– Je t’exile! à moins que je ne te jette dans un cachot du Temple. Eh! Jour de Dieu, il faut que tout soit bien dégénéré! Nos jeunes hommes tremblent devant une donzelle qui leur dit: «Je ne veux pas de vous pour époux.» De mon temps, par Notre-Dame, c’était une raison de plus pour la vouloir en épousailles. Prompts à la bataille d’amour cela prouvait que nous pouvions être aussi prompts à la bataille des épées. Vous avez peur d’une femme… qui nous prouve que vous n’aurez pas peur de l’ennemi en guerre?…

– J’obéirai, sire! fit Loraydan tout pâle.

– Et bien tu feras!

Le roi fit un mouvement pour se retirer.

Mais revenant soudain sur Loraydan, la figure changée, l’œil luisant, le sourire aux lèvres:

– Tu me fais pitié. Je veux te donner une leçon et te montrer comment, de haute lutte, on emporte la victoire. Demain soir, à dix heures, viens me chercher au Louvre avec Essé et Sansac. Nous irons en expédition.

De pâle qu’il était, Loraydan devint livide. Il balbutia:

– Quelle expédition, sire?…

– Je veux vous montrer à tous trois comment un amoureux doit se comporter pour obtenir le respect et l’admiration de celle qu’il aime: demain soir, nous enlevons la fille de Turquand, la jolie Bérengère!…

Loraydan demeura foudroyé…

Le roi s’éloignait en chantant à mi-voix un lai d’amour.

XXXII LE LOGIS TURQUAND

Le lendemain, Amauri de Loraydan se rendit au logis Turquand et eut avec le père de Bérengère un entretien où il lui révéla les intentions du roi.

Turquand écouta fort tranquillement. Puis, lorsque le comte eut fini de parler, il le regarda longtemps en silence.

– Que pensez-vous, messire? finit par demander nerveusement Amauri. Enfer! Il semble que vous n’ayez pas compris ce que je viens de vous dire!

– C’est pourtant assez clair: le roi veut enlever ma fille, ce soir, entre dix heures et minuit, et pour l’aider en cette honorable besogne, il compte sur vous. C’est bien cela?

– Sur moi! sur Essé! sur Sansac!

– Bref, tous ceux que j’ai aidés, sauvés de la ruine, de la mort peut-être.

– Oui. Eh bien, que pensez-vous faire? Vous avez entendu l’infernal projet et vous me regardez sans rien dire. Parlez donc, mort-Dieu! Que ferez-vous?…

Turquand continuait à fixer Amauri de Loraydan comme s’il eût essayé de lire dans son âme.

– Notez, dit-il, que la question posée par vous à moi, ce serait à moi de vous la faire. Comte, un homme veut, ce soir, enlever votre fiancée pour en faire sa maîtresse. Que ferez-vous?

Et le regard de Turquand se fit plus aigu, son visage se fit plus sombre.

Loraydan détourna la tête pour échapper à l’implacable interrogation. Il essuya machinalement son front et, en même temps qu’il croyait ainsi apaiser une impression de brûlure, il se sentait grelotter de froid. Le démon de la jalousie faisait rage dans cette cervelle, non dans son cœur. Il finit par murmurer:

– C’est le roi! De par toutes les damnations, c’est le roi! Mais, aussi vrai que mon nom est Loraydan, s’il persiste jusqu’au bout dans son projet, je le tue et me tue après!

C’est peut-être la parole la plus honorable que le comte de Loraydan ait prononcée dans sa vie.

Turquand tressaillit. Un peu de rouge apparut à ses joues. Il eut comme un sourire et saisit les deux mains d’Amauri:

– Vous feriez cela?…

– Oui. Je le ferais.

Loraydan prononça ces mots avec une sorte de simplicité tragique, et en même temps il se sentait défaillir de terreur à la seule pensée que quelqu’un avait pu l’entendre proférer un aussi formidable blasphème: tuer le roi! Toucher à cet être plus près de Dieu que des hommes! Concevoir le plus effroyable des crimes: le régicide!… Lui!… Un Loraydan!…

– Mon fils! murmura Turquand.

Le comte repoussa rudement l’orfèvre… l’usurier. Hors de lui, furieusement, il bégaya:

– Pourquoi m’appelez-vous ainsi? Pourquoi me regardez-vous avec cette fixité qui m’exaspère?

– Je vous regardais, dit froidement Turquand, pour tâcher de savoir l’homme que vous êtes, et si je pouvais avoir confiance en vous. Eh bien, maintenant j’ai confiance.

– Confiance?… Pourquoi confiance?…

– Mon fils, dit Turquand avec sa sinistre douceur, autrefois, j’ai aimé, et j’ai été aimé… Celle que j’aimais, ajouta-t-il dans un soupir, c’était ma femme. Et ma femme, comte, c’était celle qui m’aimait. Vous entendez bien? Nous nous aimions, nous étions l’un pour l’autre tout le bonheur, toute la vie. Un seigneur de haut parage entra dans mon existence, et l’édifice de ce double bonheur s’écroula dans la honte et la mort. Il plut à ce noble sire d’enlever nuitamment et par violence la femme qui était mienne et qui m’aimait: elle se tua…

Loraydan eut un geste. Turquand reprit:

– Tout cela parce que je n’avais pris aucune précaution contre les chacals et loups-cerviers qui rôdent de par le monde…