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Il entendait. Il écoutait. Et il comprenait que le plan du roi, très simple, était infaillible. Il comprenait que Bérengère était perdue.

C’était sûr: Turquand lui ouvrirait à lui, Loraydan, sur son premier mot. Rien ne pouvait faire que Turquand n’ouvrit pas au fiancé de Bérengère. Le mécanisme de la porte de fer ne serait donc pas manœuvré. Bérengère ne serait donc pas prévenue d’avoir à fuir, puisque c’était le déclenchement même du mécanisme qui l’informait du danger en agissant sur la clochette d’alarme. Et les défenseurs étaient absents du logis… de la forteresse! puisque les huit valets étaient assemblés à l’hôtel Loraydan!… Ah! misérable imprudence du chef de la forteresse!

Toute l’admirable organisation de défense imaginée par Turquand était réduite à néant.

– Et c’est moi qui ferai ouvrir la porte! Et c’est moi qui livrerai Bérengère à ce larron d’honneur! Moi, Loraydan, moi, dis-je, moi, messager d’amour, comme il dit, messager d’infamie, messager de honte et de désespoir venu au nom du divin Cupidon…

Il eut un ricanement qui étonna François Ier.

– Tu m’écoutes? Par Vénus protectrice, il semble que tu médites des pensées de fou!

– Dois-je le tuer tout de suite? songeait Loraydan. Ou le poignarderai-je dans la maison de Turquand? Oui! Oui! C’est cela! Là-bas! Devant Bérengère!…

Et dans l’instant où cette résolution entra en lui, il reprit tout son sang-froid. Un rapide coup d’œil sur Sansac et Essé lui apprit que ses deux braves amis attendaient avec une fervente et puissante anxiété d’intérêt qu’il achevât de se perdre dans l’esprit du roi. Sur le visage du monarque, il lut le soupçon.

Ainsi l’embarcation du courtisan assaillie de toutes parts allait sombrer, il était temps de donner le coup de barre sauveur: si la nécessité persistait, de tuer le roi, il fallait écarter le soupçon jusqu’à la minute de l’acte; si, au contraire, le meurtre, pour quelque cause imprévue, devenait inutile, il fallait conserver la faveur de Sa Majesté…

Combine, cherche, invente, bon courtisan! Médite, nautonier d’ambition! Mais par tous les diables, fais vite, car ta fortune en dépend!…

– Sire, dit Loraydan avec une émotion bien calculée – juste ce qu’il en fallait et pas plus: il faut de la mesure, du tact et du savoir-faire, du savoir-dire, du savoir-se-grimer, de par tous les diables, il en faut! – sire, je méditais en effet, et complétais ce magnifique plan si simple que vient d’exposer Sa Majesté…

– N’est-ce pas que c’est bien simple? dit François Ier déjà radieux.

– Simple comme tout ce qui est génial, sire, mais…

– Oh! s’écria Essé, furieux, pour les expéditions amoureuses, nul ne peut être comparé à Sa Majesté.

– Chacun sait, gronda Sansac enragé, chacun sait qu’il n’y a pas d’esprit plus fertile que celui du roi!

C’était grossier. Les deux pauvres hères pataugeaient. C’étaient pourtant des gens d’esprit. Mais la rage les paralysait… François les écouta à peine. Il s’écria avec inquiétude:

– Tu as dit: mais… Loraydan! Cher ami! Est-ce que tu prévois un obstacle?

Essé et Sansac baissèrent la tête: ils étaient vaincus.

Un obstacle au désir du maître! Ah! c’est là le comble de l’art, le raffinement dans la gloire de la servitude! Alors que le maître croit n’avoir plus qu’à allonger la main pour saisir le jouet qu’il convoite, lui montrer un obstacle! Soulever en lui l’inquiétude! Surexciter par là son désir! Provoquer son dépit! Et alors, tout simplement, lui dire: «Maître, il y a un homme au monde qui peut supprimer l’obstacle. Et c’est moi!»

– Oui, sire. Un obstacle. Mais je suis là. L’obstacle, je l’écarte d’un geste. Voilà ce que je méditais. Seulement, le geste sera sanglant. Sire, lorsque, le premier, je serai entré dans le logis Turquand, lorsque vous y pénétrerez à votre tour, vous me verrez ou couvert du sang d’un autre, – ou mort moi-même; mais, dans ce dernier cas, ne me plaignez pas, puisque je serai mort en vous servant…

– Explique-toi, dit François Ier, je ne veux pas que tu risques inutilement ta vie.

– Ma vie est à vous, sire… Voici: je connais bien le logis Turquand. Et je connais bien Turquand lui-même. Ce misérable usurier a peur des voleurs de nuit. Le moindre bruit lui donne le frisson.

– Il a peur pour son trésor! s’écria le roi dans un éclat de rire.

– Pour son trésor, tressaillit Loraydan. Oui, sire. Donc, pour dormir tranquille, il a placé chez lui un homme qu’il paye fort cher, une sorte de colosse, choisi parmi les plus rudes francs-bourgeois de la truanderie; cet homme dort le jour et veille la nuit dans la salle du bas, prêt à tuer…

– Ah! ah! murmura le roi, pensif. Et alors?…

– Alors, dit Loraydan, j’entre le premier, et…

– Non pas, mort du diable! gronda Sansac.

– Nous en sommes! dit Essé.

– Paix, messieurs! ordonna le roi. Loraydan doit entrer le premier puisqu’il connaît bien le logis, l’usurier et le truand. Loraydan, je te nomme chef de l’expédition!

Quelque chose comme un sourire livide erra sur les lèvres blanches d’Amauri de Loraydan.

– Chef de l’expédition, sire!… Eh bien, mais c’est un commandement, cela!

– Et par Notre-Dame, je te le confirme. Seulement, ce commandement se confondra dans le titre que te vaudra ta charge à la cour de France!

Loraydan se courba, se coucha pour ramasser l’os. Il remercia en termes mesurés. Puis:

– J’entre donc le premier. Je vais droit à l’homme. Pour la paix de ma conscience, je lui demande s’il veut laisser le champ libre et s’en aller. S’il s’en va, il a vie sauve, car un chrétien ne doit pas en vain répandre le sang…

– Juste! Très juste! dit le roi avec sincérité. Et s’il résiste…

– Je le tue. Et vous appelle ensuite. Ou il me tue…

– Et ce sera à nous d’agir alors! fit impétueusement Sansac.

Le roi se leva et dit:

– Tout est ainsi fort bien réglé. Une fois que je serai dans la place, ne vous occupez plus de moi et retenez seulement le digne usurier de père. Quant à la fille, je m’en charge…

Une flamme passa dans les yeux du roi: quelque soudaine vision de violence… le fauve humain se ruant sur la serve qui palpite… Ce rêve rapide exaspérait sa passion.

Une flamme aussi dans les yeux de Loraydan: la rouge étincelle du meurtre…

– Allons! dit François Ier d’une voix brève et sèche, presqu’un grognement… oui: le grognement du maître qui va foncer sur la serve – misérable instrument de plaisir.

Et tous quatre sortirent, empressés.

XXXV AUX ABORDS DU LOGIS TURQUAND

En quelques minutes, les nobles rôdeurs arrivèrent devant la maison de l’usurier – donc devant la grille de l’hôtel d’Arronces. Le logis Turquand était silencieux et obscur. Et silencieuses, les ténèbres épandues sur Paris, sur le chemin de la Corderie, par cette nuit d’hiver. Une vraie nuit faite pour les larrons, pour les rôdeurs, pour les détrousseurs. Le guet-apens se plaît à ces ambiances: au grand jour, le truand d’amour, l’assassin d’honneur cligne des yeux, et son ennui est grand d’être forcé à emprunter figure d’homme, – un masque pesant. Par les nuits de ténèbre et de silence, il peut, en toute liberté, reprendre sa vraie figure, groin ou mufle, – et n’est-ce pas un soulagement? Il aurait fallu pouvoir, à ce moment, projeter un jet de lumière sur le mufle du roi François Ier: le spectacle eût, sans doute, été assez curieux, de cette face ordinairement blafarde, échauffée par les vins, enflammée par les visions de rut violent, c’était un roi, un de ces braves rois auxquels l’histoire témoigne une maternelle indulgence en raison même de leur petites fredaines… Il y avait par-ci par-là, dans Paris, quelques pauvres serves qui pleuraient, mais les pleurs des serves sont un appoint à la gloire, à l’honneur, à la joie du maître – maître par la force du bras… ou par le pouvoir… ou par l’argent… selon les temps, selon les mœurs, selon les vocabulaires.