Выбрать главу

— Bitte Schön, dit-il. J’ai remarqué quelque chose de bizarre. Vous voyez l’homme là-bas, assis sur un banc ? Il a un gros pistolet. Je me demande si ce n’est pas un jaloux qui attend sa femme, ou quelque chose comme ça…

L’autre le regarda, incrédule.

— Vous croyez ? Ça doit être une blague. Malko prit son ton le plus autoritaire.

— Ecoutez, si vous croyez que je plaisante, je vais signaler le fait au commissariat de l’aéroport. Je dirai également que ça vous a laissé froid…

— Faut pas dire ça, fit le flic. Mais vous comprenez, c’est gênant. Il ne fait rien de mal, ce type-là.

— Vous préférez attendre qu’il tue quelqu’un, alors !

Avec un soupir, le policier se décida. D’une main tâtonnante, il défit le rabattant de son étui à pistolet, puis se dirigea d’un pas lourd vers le tueur.

Malko observa la scène de loin. Le policier avait posé une question et l’autre ne répondait pas. Soudain le policier souleva le chapeau et fit un bond en arrière : il y avait un énorme pistolet terminé par une protubérance en forme de boîte de conserve sous le chapeau. Sa grosse main empoigna son parabellum de service et il hurla :

— Ne bougez pas.

De l’autre main, il faisait signe aux employés de la douane d’aller chercher du secours.

Mais le petit homme leva un regard doux sur l’arme qui le menaçait et ne fit pas mine de résister. Heureusement pour le flic, le parabellum étant toujours au cran de sûreté.

Deux autres policiers accoururent. Le premier enleva délicatement le gros pistolet des genoux du type, et le fit lever. C’est le moment que Malko choisit pour passer. Son regard croisa celui du tueur. Il n’y vit ni haine ni colère, seulement un reproche condescendant, comme un professeur agrégé à un mauvais élève auteur d’une mauvaise blague. Malko franchit la douane et la police pour se retrouver en salle de départ, au premier étage. Déjà les passagers du vol étaient groupés devant, la porte.

Un employé des Austrian Airlines appela :

— Les personnes munies d’une carte d’embarquement rouge, s’il vous plaît.

Quatre personnes, dont Malko s’avancèrent. L’appareil était un Bœing 727. Malko donna sa carte et l’hôtesse lui fit signe d’attendre de l’autre côté de la porte, les autres passagers de première. Puis elle prit la tête du petit groupe. L’avion était à une centaine de mètres et il n’y avait pas de bus. Malko leva la tête vers la terrasse du restaurant. Il y avait tout juste quelques familles, mais aucune trace des tueurs de Gehlen.

A gauche, il aperçut la Mercédès, de l’autre côté de la barrière clôturant le terrain ; Krisantem était au volant.

Brusquement, son sixième sens lui dit de ne pas partir. Le petit homme en noir était trop sûr de lui. L’absence des autres était étrange aussi. La vérité lui apparut aveuglante. On n’avait rien fait pour l’empêcher de partir. Donc, il ne fallait pas prendre cet avion. Le type au silencieux n’était là que par sécurité.

D’un pas tranquille, il bifurqua à gauche, droit sur la barrière. L’hôtesse ne s’en aperçut qu’en se retournant :

— Monsieur, vous vous trompez. Par ici.

Son ton était très aimable. Malko accéléra. Elle cria. Il se mit à courir et franchit la barrière d’un bond sous l’œil ahuri d’un balayeur. Les autres passagers s’étaient arrêtés, perplexes. On le prenait pour un fou.

Krisantem l’avait vu. Il se pencha pour ouvrir la portière. Malko sauta à l’intérieur de la voiture et le Turc démarra aussitôt.

— Ils sont partis, dit-il à Malko. Les trois voitures. Et la police a emmené le type en noir. Où allons-nous ?

— A Vienne. Ils me croient dans l’avion. Cela me donne une heure de paix au moins. Ils m’attendent certainement à Cologne.

Ils roulèrent sans incident jusqu’à Vienne. Ils rejoignirent le Ring, tournèrent à droite, franchirent le pont Alpern et enfilèrent la populaire Praterstrasse. Krisantem ouvrait de grands yeux ; il n’était jamais venu dans ce coin de Vienne. Malko guida le Turc jusqu’à Henmarkt, rue assez sordide qui prenait dans Praterstrasse, surtout fréquentée par les putains à 100 schillings et les employés de bureau en goguette. De temps en temps une comtesse venait s’y encanailler avec un étudiant trop pauvre pour l’emmener au Bristol ou à l’Impérial. Le joyau de cette zone était le « Goldener Spiner » hôtel de passe extrêmement fréquenté. A condition de ne pas rester plus d’une nuit, l’employé du desk ne posait aucune question.

Malko dépassa l’hôtel et arrêta la voiture beaucoup plus loin. Derrière les carreaux colorés d’un gasthaus, une poignée d’ivrognes regarda avec envie la belle voiture. Heureusement les trous de balles ne se voyaient pas trop. Par-dessus les maisons, on apercevait la grande roue du Prater, le parc d’attractions de Vienne, fermé en cette saison. On entendait le grondement de la circulation intense sur le pont Kaiser-Friedrich.

Malko et Krisantem remontèrent Henmarkt, sans que personne ne prête attention à eux. Soudain une silhouette se détacha d’une porte cochère : une fille, frileusement enroulée dans un imperméable blanc sale, les yeux charbonneux, avec une grosse tresse blonde. Elle pouvait avoir dix-sept ou dix-huit ans. Elle cligna de l’œil à Malko et murmura :

— ’gen, lieber ?

Il s’arrêta devant la fille qui le dévisageait effrontément. Elle renchérit :

— Tu m’offres un schnaps ? Il fait froid.

— Pourquoi n’irions-nous pas au Goldener Spiner ? dit Malko. La fille eut un rire canaille :

— Pas pour boire un schnaps, alors, mon gros.

— D’accord, fit Malko.

Elle se pendit à son bras et remarqua Krisantem, un peu en retrait.

— Ton copain, il vient aussi ? interrogea-t-elle le plus naturellement du monde.

— Oui.

— Alors, ça sera 300 schillings. Un prix de gros, quoi.

Le Turc sursauta. Il connaissait le goût de Malko pour les femmes, mais quand même…

Malko lui dit rapidement en turc :

— Quand on va dans un hôtel comme ça, il vaut mieux ne pas y entrer seul… N’oubliez pas que nous sommes recherchés par des gens dangereux et bien informés.

Le hall du Goldener Spiner était sinistre. De vieilles affiches de voyage couvraient les plaques de peinture arrachées. A la réception, un type chafouin, avec d’énormes lunettes aux verres épais et un col douteux jeta un regard méfiant au trio. La fille souriait aux anges et Krisantem baissa les yeux. Malko posa un billet de 500 schillings sur le comptoir.

— Je voudrais une chambre. Il ajouta 100 schillings.

— Et une bouteille de vodka.

Les billets disparurent, avalés par un aspirateur gluant. Le type attrapa une clef sous son comptoir et réussit quelque chose qui ressemblait à un sourire. A ce prix-là, on aurait pu monter avec une douzaine de petites filles.

— Le 7, au premier.

Puis il se replongea dans la lecture du Kronenzeilung{Quotidien populaire viennois.} section courses.

La fille avait pris la clef et montrait le chemin. En entrant dans la chambre, Malko recula devant l’odeur : un mélange de sueur gelée, de crasse et de brockenwurst{Saucisses très populaires à Vienne.}. Il n’y avait pas de salle de bains, mais un lavabo avec deux serviettes douteuses. Le plafond était si bas qu’on pouvait à peine se tenir debout. En sifflotant, la fille ôta son imperméable, dévoilant une robe de lainage vert. En un clin d’œil, elle la fit glisser et apparut en slip et soutien-gorge qui avaient été blancs. Après un passage dans une machine à laver, elle aurait été presque appétissante.