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Si je comprenais !

Dak ne m’avait pas dit la chose telle que je me la disais à moi-même. Mais il m’avait accusé, ni plus ni moins, de lâcher la troupe. Et mon amertume venait de ce qu’il avait raison de m’accuser. Je n’étais pas en colère. J’avais honte. Idiot, j’avais été idiot de signer un contrat sans en savoir davantage sur ce qu’on me demandait. Mais le fait était là, j’avais accepté de jouer le rôle sans condition ni clause restrictive. Et à présent, voilà que je voulais me défiler comme un amateur qui a le trac !

Le plus vieil axiome du métier est : « le Rideau doit se lever ». Sans doute est-il dépourvu de vérité philosophique. Mais les choses qui font vivre l’humanité sont rarement sujettes à la démonstration logique. Mon père avait cru à cette vérité. Je l’avais vu jouer deux actes entiers avec l’appendice éclaté, et il avait attendu le baisser du rideau et la fin des applaudissements avant de se laisser emmener à l’hôpital. Je le voyais devant moi, méprisant pour l’acteur que j’étais qui avait laissé tomber son public.

— Dak, dis-je avec humilité, je regrette. J’ai eu tort.

— Vous ferez le travail ?

— Oui, répondis-je. (Mais soudain, je me rappelai un facteur qui me rendrait le rôle aussi impossible à jouer que celui de Blanche-Neige) C’est-à-dire… je veux bien, je le désire, mais…

— Quoi, encore votre caractère impossible ?

— Non ! ce n’est pas ça. Mais si je comprends bien, Dak, cela se passe sur Mars, n’est-ce pas, et il doit y avoir des Martiens tout autour ?

— Comment voulez-vous qu’il en soit autrement, à Mars, voyons ?

— C’est justement, Dak, c’est que je ne supporte pas les Martiens. Ils me donnent la chair de poule. J’aurais beau faire de mon mieux et vouloir de toute ma volonté, je peux très bien sortir du rôle à cause de ça.

— Si c’est tout ce qui vous inquiète, n’y pensez plus !

— Mais je ne peux pas ne plus y penser. Je n’y peux rien, je…

— Je vous ai dit : « N’y pensez plus. » Je vous le répète. Nous étions au courant, Lorenzo, de tout ce qui vous concerne. Votre crainte des Martiens est aussi enfantine, aussi irrationnelle que la peur des araignées ou des serpents. Mais nous y avons pensé, et le nécessaire sera fait.

— Très bien alors, je ne dis plus rien.

Et je me tus.

De son côté, Dak Broadbent tirait le communicator à lui, et, sans faire l’effort d’étouffer le message dans la boîte à borborygmes, cette fois, il commença :

— Pissenlit à Graine au Vent… Je dis Pissenlit à Graine au Vent… Annulez Opération Tache d’Encre. Nous poursuivons Mardi-Gras.

— Oh, Dak…

— Ça peut attendre. Je suis en train d’aborder les orbites. La prise de contact sera peut-être un peu rude. Je ne veux pas perdre mon temps à me faire du souci à propos d’histoires de dénivellations. Silence donc et tenez-vous.

Le contact, en effet, fut un peu rude.

Quand nous nous retrouvâmes sur le bateau-torche, je me réjouis de recommencer à tomber en chute libre ; ce qui est pire à supporter, mais qui ne dura que cinq minutes. Les trois hommes qui retournaient sur le Ya Moyen se pressaient dans le compartiment d’échange, alors que Dak et moi-même nous flottions dans le bateau-torche. Les quelques instants qui suivirent me parurent extrêmement confus. Je dois être un cochon de terrien endurci puisque je suis si facilement désorienté dès que je ne distingue plus très bien le plancher du plafond. Quelqu’un demanda :

— Où est-il ?

Et Dak répondit :

— Le voici !

— Lui ? fit encore le même, qui sans doute n’en pouvait croire ses yeux.

— Eh oui ! expliquait Broadbent : mais il est maquillé. Ne vous en faites pas. Tout va bien. Mais aidez-moi à le mettre dans le pressoir à cidre.

Une main m’accrocha par le bras, me remorqua le long de l’étroit passage puis à travers une sorte de cellule. Là, le long de la cloison, je vis les deux cadres ou « pressoirs à cidre », ces réservoirs à distribution de pression en forme de baignoire qu’on emploie pour l’accélération dans les bateaux-torches. Je n’en avais jamais vu. Mais nous avions employé d’excellents modèles réduits dans notre pièce sur l’astronavigation, Les Conquérants de la Terre.

Sur la paroi, l’on pouvait lire :

ATTENTION ! ! !
NE PRENEZ PAS PLUS DE TROIS G
SANS TENUE SPÉCIALE.
PAR ORDRE DU…

Mais je pivotai sur moi-même avant d’avoir terminé. Une main me poussait dans l’une des « presses à cidre ». Dak et quelqu’un d’autre m’y bouclaient dans les courroies, en toute hâte. Alors, quelque part à proximité, un klaxon éclata, déchirant l’air, remplacé au terme de quelques secondes par une voix :

— Signal rouge ! deux Gravités ! Signal rouge ! Trois Gravités !

Puis le klaxon reprit.

Dans le vacarme, j’entendis Dak demander :

— Le projecteur est en batterie, oui ? Le plein est fait ?

— Oui, ça va !

— Alors, vous avez préparé la piqûre, oui ? (puis Dak, surgi de nouveau près de moi, me dit :) Camarade, on va vous piquer. Ne vous inquiétez pas. C’est en partie du Nullgrav, en partie un remontant. Vous en aurez besoin pour rester éveillé et apprendre votre rôle. Seulement vous allez sentir les yeux vous chauffer et peut-être que ça va vous démanger aussi. Mais ça ne vous fera pas de mal.

— Écoutez, Dak, je…

— Pas le temps, il faut que je me mette à flamber maintenant.

Et il avait passé la porte avant que j’eusse pu protester. L’autre me soulevait la manche gauche, appuyait une seringue contre la peau et, avant de m’en être seulement rendu compte, j’avais reçu ma dose. L’homme était parti. Le klaxon. La voix :

— Signal Rouge ! Deux Gravités ! Deux minutes.

A cause de la piqûre, je me sentais encore plus perdu, J’avais les prunelles qui brûlaient et les dents aussi, et le dos commençait à me démanger de façon intolérable. Heureusement, les courroies qui me ligotaient m’interdisaient de me gratter. Et sans doute m’empêchèrent-elles de me briser le bras en raison de l’accélération. Encore le klaxon. Puis le baryton satisfait de Dak Broadbent :

— Dernier signal rouge ! Deux G ! Encore une minute ! Les beloteurs, ramassez vos cartes. Allez étendre votre graisse ! Ça va fumer !

Après quoi le klaxon fut remplacé par un enregistrement d’Ad Astra, d’Arkezian, opus 61 en ut majeur. Dans la version discutée du London Symphony, avec les Schrecknotten à 14-cycle, dissimulées parmi les timbales. Moulu, ahuri, drogué comme je l’étais, cela ne parut faire aucun effet sur moi. Allez donc mouiller une rivière.