Выбрать главу

Une sirène parut à la porte. Sans queue ni écailles, mais vraiment l’air d’une sirène. Quand j’eus recentré ma vision, je distinguai une jeune personne du type mammifère le plus convaincant, en short et en maillot, qui évoluait la tête en avant de manière à convaincre que la chute libre n’était pas une nouveauté pour elle. Elle me regarda sans sourire, se plaça contre le second pressoir, s’accrochant aux poignées mais sans boucler les courroies de sécurité. La musique atteignait son finale sonore, et je me sentis de plus en plus alourdi.

Deux G, ce n’est pas terrible, non, pas quand il y a une couche liquide pour vous soutenir. La membrane du pressoir à cidre portait sur toute ma superficie. Je me sentais seulement un tout petit peu pesant et j’avais quelque peine à respirer.

Oui ! on lit de ces histoires où les pilotes filent à toutes flammes sous des pressions de 10 G en éprouvant Dieu sait quelles tortures, et c’est sûrement vrai ! mais à deux G, et dans mon pressoir à cidre, je me sentais languissant, rien de plus, et incapable de mouvement.

Il me fallut un bout de temps pour me rendre compte que c’était bien à moi que s’adressait le haut-parleur du plafond :

— Lorenzo, qu’est-ce que tu deviens, vieille branche ?

— Merci, ça va ! (Oui, mais l’effort de parler me laissait pantelant.) Et pendant combien d’heures allons-nous devoir supporter ça ?

— Deux jours à peu près !

Je dus gémir, car Dak éclata de rire :

— Allez, ma vieille, cesse de chialer. Mon premier voyage, à moi, a duré trente-sept semaines. Trente-sept semaines de chute libre en décrivant une orbite elliptique ! Pour toi c’est une croisière de luxe, avec un petit deux G pendant une cinquantaine d’heures, et des relais à un seul G, une plaisanterie. On devrait te faire payer ta place !

Je me mis à lui communiquer ce que je pensais de son genre d’esprit, en langue verte des coulisses et du foyer des artistes, mais une dame était présente !

Mon père m’avait appris qu’une femme peut tout pardonner, même et y compris l’assaut avec violence, mais pas la grossièreté de langage. Le beau sexe donne dans le symbole. C’est d’autant plus curieux qu’elles sont d’esprit extrêmement pratique aussi. Quoi qu’il en soit, je n’ai jamais laissé aucun mot tabou franchir le seuil de mes lèvres au cas où il aurait pu offenser l’ouïe d’une personne du sexe, depuis la dernière fois que je reçus le revers de la main de mon père en plein sur la bouche… Papa aurait donné des leçons au Pr Pavlov en personne, pour ce qui est du conditionnement des réflexes.

De nouveau la voix de Dak :

— Penny, tu es là, ma cocotte ?

— Oui, capitaine, répondit la jeune personne qui m’avait fait songer aux habitantes des mers.

— Eh bien, fais-lui commencer ses devoirs. Je descends dès que son piège à feu aura retrouvé son ornière.

— A vos ordres, capitaine ! (Puis elle se tourna dans ma direction et dit de sa douce voix de contralto :) Le Dr Capek veut que vous vous décontractiez et que vous regardiez des films pendant plusieurs heures. Ce sera tout pour commencer. Je suis ici pour répondre aux questions en cas de besoin.

— Loué soit Dieu ! soupirai-je ; enfin quelqu’un qui me répondra.

Elle tourna un interrupteur, non sans un effort, et l’éclat des lampes fut remplacé par un écran de cinéma sonore et en relief. Je reconnus le personnage central, comme n’importe lequel des milliards de citoyens de l’Empire l’aurait reconnu à ma place. Et je compris en un éclair, enfin, combien Dak Broadbent s’était impitoyablement et totalement moqué de moi.

Le personnage central sur l’écran était Bonforte.

Je veux dire le Très Honorable John Joseph Bonforte, ancien Ministre Suprême, leader de l’Opposition Loyale, chef de la Coalition Expansionniste et l’homme le plus aimé (le plus haï également) du Système Solaire entier.

Mon esprit étonné venait de faire un prodigieux saut sans élan et sur place, et d’atteindre du coup ce qui paraissait une certitude logique :

Bonforte avait survécu à trois attentats.

Les journaux l’avaient annoncé.

Deux fois au moins, il s’en était tiré presque par miracle.

Et si ce n’avaient pas été des miracles ?

Et si ces trois attentats avaient été de parfaites réussites ?

Supposez que dans chacun de ces cas le cher Oncle Joe Bonforte se fût trouvé ailleurs au même moment.

On pouvait faire une très grande consommation d’acteurs en procédant ainsi.

3

Jamais je ne me suis mêlé de politique.

Mon père m’avait mis en garde :

— Ne va pas fourrer ton nez là-dedans, Larry.

Ce genre de publicité, c’est de la mauvaise publicité ! Le public n’aime pas ça.

Jamais je n’avais voté. Pas même après que l’amendement de 1998 eut permis à la « population flottante », comprenant les acteurs et gens de théâtre, d’exercer leurs droits électoraux.

De toute façon, et dans la mesure où j’avais des opinions politiques quelconques, elles ne me faisaient pencher d’aucune façon en faveur de Bonforte. Je le considérais comme dangereux, et même, peut-être, comme traître à l’humanité. La seule idée de le représenter et de me faire tuer à sa place, m’était, comment m’exprimer ? Mettons désagréable.

Mais… mais, quel rôle !

J’avais tenu le premier rôle dans L’Aiglon et j’avais joué Jules César. Mais jouer ce personnage dans la réalité ! Il y avait vraiment de quoi vous faire comprendre comment on irait à la guillotine à la place de quelqu’un d’autre, simplement pour jouer ce rôle ultime et surhumain, l’espace de quelques secondes, afin de créer une suprême, une parfaite œuvre d’art.

Je me demandais qui avaient été mes confrères incapables de résister à la tentation et qui avaient péri, victimes des occasions antérieures. Sans doute, leur anonymat même avait garanti le succès de leur création. Ou alors ? et j’essayai de me souvenir quand ces attentats s’étaient produits et quel confrère capable de tenir sa place était mort ou avait disparu à ce moment. Non, c’était inutile. Non seulement je ne m’étais pas intéressé aux détails de la vie politique, mais encore les acteurs disparaissent à une cadence décourageante. Notre profession est une profession précaire, même dans le cas du meilleur d’entre nous.

Et maintenant, je découvrais que je connaissais mon personnage.

Oui ! je sentais que je pouvais le jouer. Dans un fauteuil ! Et d’abord, il n’y avait pas de problème pour le physique. Bonforte et moi nous aurions pu troquer nos vêtements, sans un pli. Ces conspirateurs puérils qui m’avaient fait le coup du Sergent Recruteur d’Ancien Régime exagéraient l’importance de la ressemblance physique, puisque cette ressemblance, si elle ne s’appuie pas sur le talent, ne signifie rien du tout, et que, si l’acteur connaît son métier, elle ne doit pas du tout être frappante. N’empêche, cela peut aider. Et leur truc stupide de cerveau électronique avait eu pour résultat (tout à fait par accident !) le choix d’un véritable artiste qui, en même temps, pour ce qui était de la taille et de la structure, était le frère jumeau de l’homme politique. Son profil ressemblait au mien. Il avait les mains longues, effilées, aristocratiques comme les miennes. Et les mains sont plus difficiles à contrefaire que les visages.

Cette légère boiterie, provenant disait-on d’une des tentatives d’assassinat, ce n’était pas grand-chose. Au bout de quelques secondes d’observation, je savais que je pouvais descendre de ma couche, me lever et marcher rigoureusement de cette façon (à condition bien sûr que la pression soit d’un G seulement) et que jamais plus je n’aurais à m’y faire penser. Et cette manière de se gratter le menton, ce tic imperceptible qui précédait chacune des phrases qu’il allait prononcer, rien de tout cela ne présentait de difficulté. Tout cela pénétrait dans mon subconscient de même que l’eau s’infiltre dans le sable.