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Je reniflai. Pas de doute. Cela sentait bien le parfum cher, le parfum capiteux. Et pourtant, fichtre ! aucun doute possible, c’était l’odeur des Martiens :

— Ce que j’aime cette odeur ! dis-je.

— Vous ne pouvez pas vous empêcher de l’aimer, dit le docteur.

— Vous avez renversé la bouteille entière ? On ne sent plus que ça dans toute la pièce.

— Qu’allez-vous croire. Je me suis contenté de vous passer le flacon ouvert sous les narines, il y a une demi-heure de ça. (Il renifle.) D’ailleurs ça ne sent plus rien. Le parfum s’appelle Désir Sauvage, de chez C…, Champs-Elysées à Paris.

Il se leva, éteignit la stéréo, et reprit :

— Assez pour l’instant. Passons à d’autres exercices qui s’avéreront d’une utilité plus grande.

Les images disparues, le parfum s’évanouit. Exactement comme c’est le cas pour le cinéma olfactif. J’étais bien forcé d’admettre que le spectacle se déroulait en effet dans ma tête. De toute façon, en qualité d’acteur, j’en étais intellectuellement persuadé depuis longtemps.

Quand Penny revint quelques instants plus tard, elle sentait le Martien.

Ce que j’aimais cette odeur !

4

C’est dans la même cabine (qui était la chambre d’ami, si j’ose dire, de M. Bonforte) que mon instruction devait poursuivre son cours jusqu’au moment de l’aiguillage. Je ne devais plus dormir, si ce n’est sous l’hypnose, mais je ne ressentais aucun besoin de sommeil. Le Dr Capek ou Penny étaient sans cesse à mon côté. Et ils m’assistaient. Heureusement que celui que je devais représenter avait été enregistré et photographié plus qu’aucun homme au monde, et que je disposais, en outre, de la coopération de ses intimes. La documentation était infinie. Le problème se posait de savoir ce que je pouvais m’en assimiler à l’état de veille ou sous l’hypnose.

J’ignore à quel moment je cessai de détester Bonforte. Capek devait m’assurer (et je crois qu’il disait la vérité) qu’il ne m’avait pas suggestionné sur ce point. Je ne lui avais pas demandé de le faire. Et Capek était à cheval sur ses responsabilités de médecin et d’hypnothérapeute. Non ! je suppose que c’était la conséquence fatale du rôle que j’apprenais à tenir. Je pense que je me mettrais à aimer Jack le Surineur, si j’avais à étudier son rôle. Car pour apprendre un rôle véritablement il faut pendant un temps donné devenir la personne que l’on joue. Et un homme s’aime ou alors il se suicide. Pas de milieu.

« Tout comprendre, c’est tout pardonner »… Je commençais à comprendre Bonforte.

Au moment de l’aiguillage, nous eûmes droit à ce repos d’un G que nous avait promis Dak. Nous ne fûmes jamais en chute libre. Pas un seul instant. Au lieu d’éteindre la fusée, ce que les pilotes doivent détester, tant qu’ils n’ont pas atteint terre, je suppose, l’astronef décrivit ce que Dak appelait un « tour oblique » de 180 degrés. Ce qui laisse l’astronef en plein élan, et qui est vite fait. Petit désavantage, l’effet sur le sens de l’équilibre est des plus incommodants. Cet effet a un nom… quelque chose comme Coriolanus, Coriolis ? du diable si je me rappelle !

Tout ce que je sais au sujet des astronefs ou navires de l’espace est qu’il en existe de deux sortes. Les premiers, qui partent de dessus la surface d’une planète donnée, sont véritablement des fusées. Les voyageurs (rappelons-le, c’est ainsi qu’on appelle dans les milieux spécialisés ceux qui commandent et conduisent ces engins) les ont surnommés « théières » en raison du jet de vapeur d’eau ou d’hydrogène au moyen de quoi elles se propulsent. On ne les considère pas comme de véritables « navires atomiques » même si la turbine est chauffée au moyen d’une pile atomique. Les appareils de long cours comme le Tom-Paine, surnommés navire-torche, sont vraiment des « navires atomiques », eux, qui appliquent la formule E égale MC au carré. A moins que ce ne soit M égale EC au carré ? Vous savez bien, ce truc inventé par Einstein.

Dak faisait de son mieux pour m’expliquer tout ça. Et, cela va sans dire, tout cela est du plus haut intérêt pour ceux qui se soucient de ce genre d’activités. Mais je ne puis m’imaginer la raison pour laquelle un gentleman s’en soucierait. Il me semble que chaque fois que les savants se mettent à manœuvrer leur règle à calculer, la vie devient plus compliquée. Et qu’est-ce qui n’allait pas avec le train du monde tel qu’il était ?

Pendant deux heures nous fûmes à un G, et l’on en profita pour m’installer dans la cabine de Bonforte. Je revêtis ses complets, je pris son apparence. Et chacun m’appela désormais « M. Bonforte » ou « Chef », ou (dans le cas du Dr Capek) « Joseph ». Tout cela pour m’aider à bien pénétrer le rôle.

Chacun, à l’exception de Penny, naturellement… Elle se refusait, tout bonnement, à m’appeler « M. Bonforte ». Elle faisait de son mieux pour nous aider, mais elle ne pouvait pas se décider à m’appeler de la sorte. Il était clair comme le jour que cette secrétaire aimait, en silence et sans espoir, son patron, et qu’elle m’en voulait, avec une amertume profonde, illogique, naturelle. Ce qui ne facilitait pas les choses. D’autant que je la trouvais charmante. Il est impossible qu’un homme fasse ce qu’il sait faire de mieux sous les yeux d’une femme constamment présente, en train de le mépriser. Je ne réussissais pas à la détester en retour. J’avais beau me sentir irrité, j’éprouvais du regret pour elle.

Une partie de l’équipage du Tom-Paine ignorait que je n’étais pas Bonforte. Je ne savais pas pour ma part qui exactement avait été mis au courant de la substitution, mais je n’étais autorisé à me détendre et à poser des questions qu’en présence de Dak, Penny, et du Dr Capek. J’étais persuadé que M. Washington, chef du secrétariat de Bonforte, était au courant. Mais il n’en laissa rien voir. C’était un vieux mulâtre maigre, aux lèvres serrées comme en ont les ascètes. Deux autres étaient au courant : mais ils se trouvaient non sur le Tom-Paine mais à bord du Roi des Cloches où ils nous servaient d’alibi et de couverture : Bill Corpsman, chargé des relations avec la presse, et Roger Clifton qui avait été ministre sans portefeuille, vous vous en souvenez sans doute, dans le cabinet Bonforte. Comment décrire les fonctions de Clifton ? Bonforte s’occupait de la politique, Clifton de la clientèle.

Quelqu’un avait eu la bonne idée de me procurer de véritables accessoires de maquillage. Mais je n’en usai presque point. De près, le maquillage se remarque. Même le Silicoflesh ne peut prendre la teinte exacte de la peau. Je me contentai de foncer mon teint avec du Semiperm, et de me faire la tête de Bonforte, « de l’intérieur ». Il me fallut toutefois sacrifier une partie de ma chevelure dont le Dr Capek détruisit les racines. Tant pis ! Un acteur peut toujours porter des postiches. Et j’étais maintenant convaincu que mon engagement actuel me rapporterait de quoi prendre définitivement ma retraite, au cas où tel serait mon désir.

D’un autre côté, j’avais parfois comme une bouffée de dégoût en me disant que je n’aurais pas le temps de la prendre, cette retraite. Que n’a-t-on pas dit au sujet de l’Homme-qui-en-Savait-Trop, et sur le silence de ceux qui ne sont plus. Mais non ! je commençais à avoir confiance. Ils étaient tous très gentils. Vraiment très gentils. Ce qui m’en apprenait autant au sujet de Bonforte que j’en avais déjà appris en écoutant ses discours et en regardant les films. J’apprenais qu’un homme politique n’est pas un homme seul mais une équipe homogène. Si Bonforte n’avait pas été quelqu’un de bien, il n’aurait pas eu autour de lui l’équipe qu’il avait.